Jolin-Barrette tend la main à la France face au «rouleau compresseur anglo-américain»

MONTRÉAL — Le ministre québécois de la Langue française, Simon Jolin-Barrette, est venu jeudi «tendre la main» à l’Académie française, à Paris, face au «rouleau compresseur anglo-américain».

Le ministre Jolin-Barrette avait été invité à prendre la parole sous la célèbre coupole du quai de Conti devant un parterre d’académiciens et de 150 invités venus apprendre de quoi est faite la nouvelle mouture de la Charte de la langue française, adoptée en 1977 et revue par son gouvernement cette année.

Après avoir rappelé le parcours historique des Français en Amérique, depuis François 1er jusqu’à nos jours, M. Jolin-Barrette a expliqué pourquoi son gouvernement avait tenu à réactualiser la «loi 101». 

Au Québec, «l’anglais est devenu la lingua franca, a-t-il dit, selon le texte écrit de son discours. Jadis la langue de la puissante minorité coloniale, elle est devenue la langue de la mondialisation.

«Nous aurions tort de voir dans le mouvement massif vers l’anglais un phénomène anodin. On nous le présente comme une ouverture sur le monde, en balayant du revers de la main toutes les objections, a-t-il dit.

«Le choix massif de l’anglais n’est pas à l’abri de la critique. A fortiori quand il s’agit moins de la langue de Shakespeare que de celle de la Silicon Valley. Ce qu’on présente comme une ouverture sur le monde masque trop souvent l’acculturation, qui vient avec une importante perte de mémoire et d’identité.»

Le tout premier ministre de la Langue française de l’histoire du Québec a estimé que la «révolution numérique des GAFAM est un rouleau compresseur anglo-américain, qui bouscule l’écosystème de notre langue et de notre culture (…) favorise les grands ensembles et compromet l’équilibre de nos sociétés. 

«Rien ne serait plus naturel que la France, dans ce monde nouveau, se fasse le porte-parole de la diversité des cultures et de la dignité des nations, a souligné M. Jolin-Barrette. Le Québec vous tend la main. Il vous convie à une union des forces entre nos deux nations, basée sur la certitude que le français n’est pas une cause du passé, mais un ferment d’avenir. Un moteur de résistance et de renaissance.»

Le ministre a lancé quelques piques au régime fédéral, «où les droits individuels sont devenus quasi absolus», et il a soutenu que la réforme adoptée cette année, «ce geste en faveur des droits collectifs de notre nation, constitue un contrepoids déterminant».

«Le projet de la Charte de la langue française bute, depuis son adoption, sur le cadre constitutionnel de la fédération canadienne, que je propose ici de rebaptiser, non sans humour, le  »Bouclier canadien »», a indiqué le ministre.

«Bien que notre projet soit contrecarré par le multiculturalisme canadien, qui trouve un équivalent dans ce que vous appelez le communautarisme et qui combat les prétentions du Québec à se constituer en nation distincte, la langue française doit devenir réellement la langue d’usage de tous les Québécois», soutient le ministre dans la version écrite de son discours.

Le ministre a aussi déploré la «bilinguisation» de certains secteurs au Québec. «Une personne peut obtenir, sur demande, des services publics en français ou en anglais, exactement à la manière d’un libre-service dans une entreprise (…) Pour contrer ce phénomène préoccupant, il nous faut réhabiliter au plus tôt l’exemplarité de l’État. Nous avons le devoir de nous poser en acteur cohérent.»

En matière d’intégration des immigrants, il a aussi expliqué à son auditoire que la «dynamique linguistique continentale et mondiale favorise en tout point l’anglais», et que le français devait être «une langue d’intégration, un principe d’unité, et un vecteur précieux de participation à notre vie démocratique».

Il a aussi déploré que «récemment, des articles diffamatoires contre le Québec aient été publiés avec trop de complaisance dans des journaux américains et canadiens anglais».

«Des auteurs peu rigoureux y dépeignent notre combat sous l’angle le plus dénigrant et le plus insultant, en tentant de le faire passer pour un combat d’arrière-garde, une forme d’autoritarisme, estime le ministre. Notre combat pour la langue française est juste, c’est un combat universel, celui d’une nation qui a résisté pacifiquement à la volonté de puissance des plus forts.»

Il est exceptionnel qu’un élu qui n’est ni chef de gouvernement ni chef d’État soit invité à s’adresser ainsi aux membres de l’assemblée qui réunit l’élite de la littérature d’expression française. L’Académie française a été fondée en 1634 et compte 40 membres, dont l’écrivain québécois d’origine haïtienne Dany Laferrière.

En présentant le ministre, Xavier Darcos, chancelier de l’Institut de France, a dit: «Vous allez donc nous donner un exemple de fidélité et un exemple d’ardeur». 

«Nous pourrons sans doute nous en inspirer dans notre volonté de promouvoir valoriser et protéger notre langue, ce patrimoine que nous avons en commun.» 

Hélène Carrère d’Encausse, secrétaire perpétuelle de l’Académie, a déploré que la langue française, «vénérée au Québec», soit «maltraitée en ses terres d’origine, la douce France».

«Les descendants de Jacques Cartier ont droit à notre gratitude», a-t-elle dit.

Au cours de sa brève mission de quelques jours en France, le ministre Jolin-Barrette prévoit aussi des rencontres à titre de ministre de la Justice.