Il y avait consensus pour invoquer la Loi sur les mesures d’urgence, dit Trudeau

OTTAWA — Le premier ministre Justin Trudeau a assuré vendredi qu’il y avait un consensus à la table du Groupe d’intervention en cas d’incident qui se reflétait à celle du conseil des ministres la veille du recours à la Loi sur les mesures d’urgence.

Appelé à clarifier comment l’atteinte du seuil requis pour invoquer la pièce législative de dernier recours a été déterminée durant son témoignage clôturant les audiences publiques de la commission Rouleau, M. Trudeau a abordé en détail une rencontre de ce groupe ayant eu lieu le 13 février, suivie d’une autre avec ses ministres.

«Il y a eu une bonne discussion autour de la table. Tous les ministres qui voulaient parler ont pu parler et, sans partager les délibérations, je peux dire qu’on est sorti avec un consensus clair que je devais procéder aux prochaines étapes», a-t-il dit en français.

Le premier ministre a précisé au passage que l’unanimité n’est pas légalement requise, mais que, dans ce cas, il y avait «un niveau de confort et de consensus». Il a ajouté que si une voix s’était objectée à la table du Groupe d’intervention en cas d’incident, il l’aurait prise en considération, martelant que cela n’a pas été le cas.

Il a spécifié que c’est au lendemain, le 14 février, que la décision définitive a été prise sur recommandation de la plus haute fonctionnaire, Janice Charette, soit peu de temps avant le moment de l’annonce.

Un soi-disant plan de la police

M. Trudeau a invoqué la loi pour la première fois depuis sa promulgation en 1988 afin de mettre fin au «convoi de la liberté» qui a paralysé le centre-ville d’Ottawa en février dernier. Neuf jours plus tard, les pouvoirs exceptionnels décrétés, ayant notamment permis de geler environ 280 comptes bancaires, ont été révoqués.

Le premier ministre a identifié au cours de son témoignage les risques de violence comme des éléments clés derrière le choix d’aller de l’avant, pourfendant au passage un plan de la police d’Ottawa pour déloger les participants et sympathisants du «convoi» souvent évoqué durant les travaux de la commission Rouleau.

«Je recommanderais aux gens de regarder ce qu’est en fait le plan et qui n’en était pas un du tout.»

Lorsque contre-interrogé par une avocate de l’Association canadienne des libertés civiles (ACLC), le premier ministre a indiqué qu’on lui avait parlé du plan de la police d’Ottawa, au moment où il devait décider d’invoquer la Loi sur les mesures d’urgence ou non, mais qu’il ne l’avait pas vu de ses propres yeux. Les politiciens ne peuvent s’ingérer dans les décisions opérationnelles de corps policiers.

M. Trudeau a, plus tard, noté qu’il avait consulté des informations sur le plan et que cela l’a conforté dans son constat.

Une avocate représentant le Service de police d’Ottawa a toutefois emmené le premier ministre à admettre qu’il n’avait jamais lu le plan d’une cellule intégrée impliquant d’autres corps policiers, comme la Police provinciale de l’Ontario.

«Comme vous pouvez voir, il y a un document de 73 pages daté du 13 février qu’un haut membre de la GRC a signé», a-t-elle dit.

Le premier ministre s’est justifié en disant qu’il se basait sur les conseils des experts qui l’entourent.

M. Trudeau a aussi eu à répondre à des critiques de membres et sympathisants du mouvement de protestation, une avocate avançant qu’il avait qualifié les personnes non vaccinées contre la COVID-19 de racistes et misogynes.

Il s’est défendu de les avoir insultés en leur affublant de pareilles étiquettes. «J’ai souligné qu’il y a une différence entre ceux qui hésitent à se faire vacciner pour toute une panoplie de raisons et ceux qui répandent délibérément de la désinformation», a-t-il répondu.

M. Trudeau a aussi affirmé avoir été «touché» après la lecture, par la même avocate, de témoignages de Canadiens rapportés comme les raisons qui les ont incités à joindre le «convoi». L’avocate a, entre autres, mentionné l’espoir.

«Je (le) suis et je (l’) ai été alors que j’ai entendu ces témoignages, quand je voyais l’ampleur de la souffrance et l’anxiété au sujet du présent ainsi que du futur exprimé par tant de gens (durant la pandémie)», a répondu le premier ministre.

Or, il a aussi maintenu sa que se décision de ne pas rencontrer les manifestants était la bonne, ce qui lui a attiré quelques moqueries qui se sont font entendre dans la salle d’audience.

Seuil atteint?

Le premier ministre a, par ailleurs, confirmé que le seuil d’état d’urgence culminant à une crise nationale tel que défini en vertu de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) n’était pas atteint.

Le directeur du SCRS, David Vigneault, l’avait souligné dans son propre témoignage devant la Commission sur l’état d’urgence présidée par le juge Paul Rouleau. Il avait spécifié qu’il était convaincu qu’une «menace envers la sécurité du Canada» devait être interprétée différemment dans le contexte qui s’est vu et qu’il était d’accord avec le recours à la Loi sur les mesures d’urgence.

Les avis juridiques sous-tendant la décision du gouvernement n’ont jamais été divulgués durant les six semaines d’audiences publiques, la notion du secret professionnel de l’avocat ayant été évoquée à multiples reprises.

Dans un communiqué, l’ACLC a déclaré avoir vu dans le témoignage de M. Trudeau une admission que «le seuil requis pour invoquer la Loi sur les mesures d’urgence ne devrait pas être inférieur à celui utilisé par le (SCRS)».

«Le fait que le premier ministre l’ait admis aujourd’hui confirme que le seuil à partir duquel il est possible de restreindre sérieusement les libertés civiles au nom de l’ordre public est élevé. L’ACLC maintient que ce seuil n’avait pas été atteint», a-t-on plaidé.

D’autres intervenants ont aussi dénoncé le recours à la Loi sur les mesures d’urgence tout au long des travaux de la commission, comme les provinces de la Saskatchewan et de l’Alberta.

L’avocat représentant la première de ces deux provinces de l’Ouest a tranché durant la série de déclarations de clôture de chaque partie que les consultations du fédéral avec les gouvernements provinciaux ont été «inadéquates».

Le commissaire Rouleau doit remettre son rapport final au plus tard le 6 février, conformément à des dispositions incluses dans la Loi sur les mesures d’urgence. L’exercice qu’il mène, requis légalement, porte sur le fondement de la décision du gouvernement Trudeau d’invoquer cette loi de dernier recours.

– Avec des informations de Michel Saba, de Stephanie Taylor et de Lee Berthiaume