Paroles citoyennes : la sablière d’Arthabaska
Les conseillers municipaux Michael Provencher et James Casey, représentant les districts d’Arthabaska Ouest et Est, ont accepté, à notre demande, de participer à une rencontre citoyenne qui s’est tenue lundi soir, le 25 novembre, au Centre communautaire d’Arthabaska.
Les organisateurs, Gilles Labrosse et moi-même, appuyés par quelques bénévoles (que nous remercions), souhaitions donner la parole aux citoyens sur le projet contesté de construction d’environ 300 logements sur le site de la sablière d’Arthabaska. Nos conseillers municipaux ont donc eu l’occasion d’entendre les opinions, arguments, témoignages, souhaits et solutions des quelque 45 personnes présentes et ont tenté de répondre à leurs nombreuses questions. L’attaché politique du maire, Benoit Plamondon, était également présent.
Préserver la biodiversité et restaurer un espace naturel précieux
Si un consensus devait être dégagé des propos entendus lors de cette assemblée, c’est l’opposition unanime au projet mis de l’avant par Construction Binette. La sablière fait partie d’un écosystème précieux formé du Boisé des Frères, de la rivière Nicolet et des marais adjacents, avec en son centre une sablière qui certes s’est dégradée au fil des ans, mais qui pourrait être préservée et restaurée, pour en faire un parc-nature. C’est d’ailleurs ce que demandait la pétition signée par près de 1400 personnes, déposée il y a deux mois au conseil de ville.
La fragmentation de cet espace naturel nuirait tant à la flore et la faune qui doivent être préservées qu’aux humains qui fréquentent ce lieu paisible souvent depuis des décennies. Les citoyens ont demandé à leur conseil de ville d’avoir de la vision, comme en ont eu jadis les créateurs de Terre des jeunes, ainsi que nous le rappelait d’ailleurs Henri-Paul Labonté, un des actuels défenseurs de la création d’un nouvel espace naturel d’envergure.
Certains citoyens, comme Pierre Bastien et Frédéric Boyé, se sont dits surpris, voire choqués par la passivité du conseil municipal face aux préoccupations écologistes des citoyens alors que Victoriaville s’affiche comme le berceau du développement durable. Les valeurs affichées si fièrement ne devraient-elles pas se refléter dans les actions de la ville?
Préserver le patrimoine
D’autres personnes ont soulevé un argument qu’on avait peu entendu jusqu’ici : la préservation du patrimoine. Pour Sylvie Garneau, marcher dans la sablière, c’est se sentir imprégnée de l’histoire de la région, c’est revoir les toiles de Suzor-Côté qui a peint l’église de Saint-Christophe, mais aussi la sablière elle-même. D‘ailleurs, le professeur d’histoire Gaëtan St-Arnaud en parle comme d’un secteur à haute valeur patrimoniale, marqué notamment par le passage des Abénakis, bien avant le peuplement de notre région par les colons venus des seigneuries en bordure du Saint-Laurent. Il a tenu à souligner que la Ville a adopté, du temps de la conseillère France Auger, une politique du patrimoine, dont M. Casey est maintenant le responsable puisqu’il est chargé du dossier de la culture. C’est non seulement le patrimoine bâti, mais aussi le patrimoine naturel qui doit être protégé, « pour éviter les erreurs du passé ». On a entendu le conseiller Casey affirmer plus tard qu’il allait se prononcer de façon à protéger le patrimoine. On l’espère vivement.
Une densification douce?
Plusieurs personnes se sont aussi interrogées sur la densification de la ville souhaitée par le maire et son conseil, une densification encadrée dans un guide municipal. Comme l’a souligné Audrey Murray, dans le secteur du vieil Arthabaska, la densification doit se faire en respectant les principes suivants : préservation du patrimoine, densification à échelle humaine et protection des espaces verts. « Pourquoi le projet de Binette construction ne respecte-t-il pas ces principes? », a-t-elle demandé. « À quel prix, le développement de la ville et l’étalement urbain? Le guide de densification est-il vraiment pris en considération? » Le conseiller Provencher a répondu que de nombreux projets de densification sont en cours à Victoriaville et que la Ville essaie de suivre son guide de densification.
Un projet ou pas de projet?
M. Provencher, bien qu’ayant assuré, à plusieurs reprises, qu’actuellement, « il n’y a pas de projet » à la sablière, a tout de même concédé que des ingénieurs et fonctionnaires municipaux collaboraient avec l’entrepreneur pour vérifier « la faisabilité du projet », notamment en ce qui concerne les égouts et l’aqueduc qui doivent être conformes à la réglementation municipale. Quelques personnes se sont impatientées : comment alors peut-on dire sérieusement qu’il n’y a pas de projet? M. Provencher a rétorqué que le développement domiciliaire en question est en fait « un avant-projet qui n’a rien de définitif ». Si un permis de construire devait lui être accordé, avait-il précisé plus tôt, cela devrait faire l’objet d’une résolution du conseil, puis d’une consultation et d’une résolution finale. (Citoyens concernés, voilà un processus qu’on devra suivre sérieusement, en se présentant régulièrement aux assemblées de l’hôtel de ville).
« Il n’y a pas de projet, dites-vous. Pourtant, le directeur de l’urbanisme a lui-même présenté le projet en juin dernier. Quand un fonctionnaire présente un projet en séance d’information publique, ça laisse entendre que la Ville est derrière le projet. En plus, il y a du travail d’ingénierie qui se fait. On sent qu’officieusement, c’est en marche, même s’il n’y a pas beaucoup d’acceptation sociale.» À ces propos de Pierre Bastien, le même conseiller municipal a répliqué qu’une chargée de projet du promoteur a fait une présentation, le 17 juin dernier, à l’hôtel de ville, mais que lui-même, M. Provencher, a personnellement déploré que le promoteur en personne n’ait pas, à cette occasion, défendu son propre projet. « Ça m’a mis en colère », a-t-il dit.
Un conflit d’intérêts potentiel?
Après avoir admis qu’aucun biologiste n’a été embauché par la Ville elle-même, mais que celle-ci se base sur des études du promoteur, M. Provencher a dû affronter une série d’interventions indignées soulevant la question d’un conflit d’intérêts potentiel.
« A-t-on cédé le contrôle de la ville aux promoteurs? » s’est demandé Mme Murray, qui est toujours en attente de pouvoir lire les études sur lesquelles s’appuie la Ville, mais qui ont en fait été réalisées par le promoteur. Comme ces études ne lui appartiennent pas, la Ville ne peut les divulguer. Et le promoteur pourrait refuser de les fournir, c’est son droit le plus strict, a précisé M. Provencher.
La Ville est-elle véritablement neutre? « Se fier au promoteur est une aberration », s’est exclamée Manon Leclerc. « Vous dites qu’il ne faut pas voir là de complot, mais c’est une question d’éthique, on doit avoir des experts indépendants… », a affirmé M. St-Arnaud.
Des critères ou pas de critères?
À son tour, François Duguay a demandé quels étaient les critères de la Ville pour juger si le projet était acceptable. Ce à quoi M. Provencher a répondu qu’il n’y avait pas de critères définis comme tels, que ce sera jugé selon les informations connues, que le conseil de ville prendra en compte l’ensemble des éléments : le caractère privé de la propriété, le patrimoine, l’environnement. Mais il n’y a pas de critères précis sauf le respect de la réglementation municipale en matière d’urbanisme.
Bref, y a-t-il des critères ou pas? L’assemblée citoyenne a dû se contenter de ce flou contradictoire.
Une approbation gouvernementale encore incertaine
Parmi les autres sujets de préoccupation citoyenne, reste à examiner la question complexe des zones inondables, de plus en plus pressante vu les effets des changements climatiques; il faudra attendre que soit connue la réglementation définitive applicable à la sablière, a-t-on su de la bouche du conseiller Provencher. Le projet devra-t-il être soumis au BAPE? Ça devra être vérifié, ont dit les conseillers. Mais une autorisation ministérielle est requise, selon le participant Denis Gélinas qui a questionné un biologiste. C’est à vérifier.
Quelles attentes envers le conseil de ville?
Pour finir, Sophie Harvey a exprimé ses attentes envers les élus : « Soyons éthiques, pensons environnement, patrimoine, représentation citoyenne. Je demande aux élus de porter la cause des citoyens, de protéger nos derniers milieux naturels à Victoriaville. Il ne nous en reste que quatre, dont trois sont privés ou semi-privés. Le mont Arthabaska est semi-privé. La sablière est privée. Le boisé colonial est privé. Seule Terre des jeunes est publique, créée par des visionnaires à la fin des années 70 et au début des années 80 (…). Je vous demande de réviser vos priorités, de mettre les budgets aux bonnes places. (…). «
D’autres moyens d’expression démocratique
C’est ainsi que s’est terminé cet exercice essentiel à la démocratie municipale qui mériterait d’être tenu plus fréquemment. Gilles et moi remercions encore les conseillers et les citoyens présents dont le nombre aurait certes pu être plus grand si l’on avait pu bénéficier d’une salle plus spacieuse. Comme ce soir-là, je me permets de rappeler que chacun a la possibilité de se présenter à l’hôtel de ville à 18 h, le premier lundi du mois (porte 2) (par exemple : dès lundi prochain) pour poser ses questions au conseil de ville, après son assemblée. Quant à la pétition de Sauvons la sablière d’Arthabaska, on peut encore la signer en cliquant sur le lien ci-bas. Merci de votre appui. Nous restons quant à nous aux aguets et mobilisés.
Par Silvie Lemelin
Citoyenne engagée de Victoriaville,
Membre du comité d’action mobilisation de Sauvons la sablière d’Arthabaska