Plaidoyer pour une vague d’apostasie

L’apostasie définit le geste de renoncer publiquement à une religion ou à une croyance. Dans la religion chrétienne, elle correspond à conjurer le baptême et au Québec, il est possible d’effectuer ce geste tout simplement en envoyant un message à votre diocèse pour qu’il vous renvoie une confirmation.

Il s’agit donc d’une tâche assez facile et nécessaire pour tous les athées, car il signifie clairement que désormais, les dirigeants de l’Église ne pourront plus s’exprimer en votre nom lorsqu’ils prétendront sauver le monde en s’attaquant aux homosexuels, aux femmes ou à n’importe quel autre groupe.

L’apostasie est un geste politique, car par le rejet de notre appartenance officielle à l’Église nous agissons directement sur les statistiques utilisées par le gouvernement et nous démontrons que le déclin de la religion et de son expression dans la vie publique est plus qu’un fait, il est désirable. C’est pourquoi dans ce plaidoyer j’invite tous les sans dieu(x) à rejoindre leur diocèse et à demander l’apostasie. En guise d’explication longue à la question «pourquoi abandonner l’Église?», j’ai choisi de présenter ma propre lettre d’apostasie dans laquelle je détaille mes arguments, la voici :

Bonjour monsieur X, dans l’échange que nous avons eu par courriel, vous m’avez demandé de vous fournir quelques renseignements en plus d’une explication concernant ma demande d’apostasie. Je vous écris donc à sujet.

En premier lieu, je n’ai jamais été croyant. J’ai effectué tous les rites et toutes les tâches nécessaires pour la simple raison qu’il s’agissait d’une habitude et d’une tradition. Toutefois, je n’ai jamais cru les enseignements de la Bible. Vous conviendrez que cela a peu d’importance, car l’on peut être chrétien tout en sachant qu’Adam et Ève, le déluge et les autres récits ne sont que des fables servant à délivrer un message. Ce n’est pas la forme que je conteste, mais bien son contenu.

La principale tare de la religion est pour moi sa négation de la vie terrestre pour glorifier la vie après la mort. La philosophie chrétienne, comme la plupart des philosophies idéalistes et spiritualistes, nous invite à penser la vie après la mort. Le matérialiste que je suis pense plutôt qu’il nous faut réfléchir sur la vie avant la mort. Le christianisme est un dualisme extrême : séparation de l’humain et de la nature, séparation de la terre et du paradis, séparation du corps et de l’âme, séparation de la morale et des conséquences, etc. Contre une philosophie qui tourne le dos au monde terrestre au profit d’un paradis transcendant, je revendique une philosophie qui pense le monde immanent de l’ici-bas. Contre une philosophie qui divise le corps et l’âme pour mettre sur un piédestal l’esprit, je revendique une philosophie moniste qui aime le corps mortel. Contre une philosophie qui donne un sens à priori à notre existence, je revendique une philosophie du sens donné a posteriori, car l’existence précède l’essence.

En ce qui a trait à la morale et à l’éthique, je me place aussi en antithèse de l’Église. La philosophie chrétienne nous enjoint depuis sa création à suivre un code moral strict et prescriptif issu principalement du décalogue. Or cette morale judéo-chrétienne est, selon moi, très inadéquate pour des êtres vivants dans un monde concret. En effet, le décalogue nie les conséquences des actes ainsi que les contextes. Ainsi, ne pas voler dans une société inégalitaire condamne la survie du pauvre tout en laissant indemne le nanti. Ne pas tuer dans un régime autoritaire fait du résistant un être immoral et du policier qui l’emprisonne un héros de la non-violence. C’est pourquoi j’oppose à la morale idéaliste et déontologique judéo-chrétienne une éthique conséquentialiste par delà le Bien et le Mal. Au lieu d’un Bien absolu et idéal, le bon, contextuel et soumis aux conséquences : est bon ce qui augmente le bonheur, le plaisir et ce qui émancipe. Cette morale hédoniste est postchrétienne parce qu’elle dépasse la morale binaire vieille de plusieurs millénaires.

Sur le plan politique aussi un gouffre me sépare du christianisme. Un survol de l’histoire de l’Église nous permettrait de soulever quelques faits assez particuliers : création d’immenses écarts de richesse, persécution d’autochtones, élimination de la dissidence, légitimation de l’infériorité de la femme, intimidation des minorités sexuelles, compagnonnage avec les régimes autoritaires d’extrême droite (Salazar, Franco, Hitler, Mussolini), destruction d’œuvres philosophiques majeures (Démocrite et Épicure), participation à la colonisation brutale de l’Afrique, de l’Asie, de l’Océanie, de l’Amérique, opposition au suffrage féminin, protection d’individus pédophiles, lutte contre l’éducation laïque, incitation à la haine des juifs et des musulmans, et plusieurs autres. Je ne pense certainement pas que tous les religieux soient d’accord avec ces gestes et je suis conscient que la vaste majorité des croyants n’ont aucun lien avec ces événements. Toutefois, il faut admettre qu’officiellement, l’Église en tant qu’institution a exécuté plusieurs politiques énumérées plus haut et a soutenu idéologiquement les autres. Encore une fois, je me pose en antithèse de la philosophie chrétienne en défendant une politique radicalement libertaire et socialiste qui reconnait à tous et à toutes le respect de leur vie, quels que soient leur origine ethnique, leur religion, leur sexe et leur préférence sexuelle.

En résumé, je suis matérialiste, moniste, existentialiste, hédoniste, socialiste, libertaire et surtout, athée alors que l’Église chrétienne défend une philosophie idéaliste, dualiste, essentialiste, déontologique, élitiste, autoritaire. Considérez par vous-même la somme imposante de différences qui forment le gouffre qui me sépare de la religion chrétienne (et de toutes les autres). Pour toutes ces raisons, je demande l’apostasie pour rayer un baptême auquel je n’ai jamais consenti.

William Fortier

Étudiant en Sciences humaines au cégep de Victoriaville