La prison ou une absolution pour Joël Poliquin?

VICTORIAVILLE. Que décidera le juge Jacques Trudel pour Joël Poliquin? Le ministère public réclame une peine ferme de neuf mois de détention tandis que la défense soutient qu’une absolution conditionnelle peut s’appliquer dans le présent cas. Au terme des représentations sur la peine, jeudi matin, le magistrat a fait savoir qu’il s’accorde un temps de réflexion. Il tranchera le 15 juillet.

Le 14 avril dernier, le juge Trudel a reconnu Joël Poliquin coupable de contacts sexuels par une personne en situation d’autorité ou de confiance pour des gestes commis en 1998 sur une étudiante alors qu’il enseignait la musique à l’École secondaire Monique-Proulx de Warwick.

En début d’audience, Me Ann Marie Prince, procureure aux poursuites criminelles et pénales, a fait savoir qu’elle n’avait aucune preuve à offrir à ce stade des représentations sur la peine.

En défense, Me Guy Boisvert a fait entendre son client, Joël Poliquin, un musicien réputé qui, au moment de son arrestation en 2012, occupait un poste de direction à la polyvalente La Samare de Plessisville.

Joël Poliquin a confié qu’un psychiatre le suivait depuis son arrestation, qu’on lui a confirmé un diagnostic de dépression et qu’il le voyait maintenant toutes les deux semaines.

Le processus judiciaire lui a fait très mal, a-t-il souligné. «Mon arrestation a amené une perte importante de revenus. La médiatisation a été extrême. Je n’ai plus grand-chose dans la vie. J’ai perdu contact avec mes enfants, mais j’ai renoué avec eux depuis peu», a-t-il exprimé.

Interrogé sur ses occupations professionnelles, Joël Poliquin a indiqué qu’il jouait de la musique dans des événements corporatifs, qu’il faisait de temps à autre de la musique dans les bars. «Je réalise des arrangements musicaux pour certains, je fais aussi des compositions. Mais j’ai perdu beaucoup de contrats, j’ai moins de demandes et de clients qu’avant», a-t-il dit, ajoutant qu’il a aussi trouvé du travail dans certains organismes et qu’il continuait activement sa recherche d’emploi.

Le Drummondvillois d’adoption dit n’avoir jamais bénéficié de l’aide sociale, mais il a eu recours à l’assurance-emploi. «Je fais des démarches pour trouver un emploi stable. J’aimerais avoir ma propre entreprise», a-t-il fait savoir, tout en exhibant aussi au juge Trudel un papier attestant de son admission en plomberie chauffage dans un centre de formation professionnelle.

Joël Poliquin a fait valoir la difficulté de la recherche d’emploi vu sa situation. «Mais je joue franc-jeu. Je ne joue pas à la victime. Je continue à me battre pour remettre en place des morceaux de ma vie», a-t-il confié, précisant avoir un soutien indéfectible de sa conjointe qu’il fréquente depuis 2006. «Moi, je ne suis pas en super forme, mais elle est très soutenante. Elle tente de me transmettre le bonheur», a mentionné celui qui a aussi perdu beaucoup d’amis. «Il ne m’en reste peu, mais ceux que j’ai, ils sont toujours là pour moi.»

Avec son suivi médical, Joël Poliquin estime avoir progressé. «J’ai découvert beaucoup de choses sur moi. Il ne me reste pas beaucoup de choses dans ma vie, mais ces bouts-là, j’y tiens et je les contrôle bien», a-t-il exprimé.

«Je veux bâtir avec le petit peu que j’ai, avec des gens qui ont confiance en moi et qui m’aident à m’en sortir. J’ai retrouvé mes enfants, ça donne un sens, a-t-il ajouté. Toute cette affaire m’a ralenti. Je ne vis plus à 200 milles à l’heure. J’ai les mains sur le volant.»

En contre-interrogatoire, la représentante de la poursuite, Me Prince, a posé quelques questions à Joël Poliquin, à savoir notamment si cette affaire avait suscité chez lui une réflexion. «Oui, bien sûr, a-t-il répondu. En aucun cas, je n’ai voulu abuser de mon autorité. J’admets que j’ai eu une relation. J’en mesure aujourd’hui l’étendue dans le sens que cette relation n’avait pas lieu d’être.»

La plaidoirie du ministère public

Première à prendre la parole, Me Ann Marie Prince de la poursuite a, d’entrée de jeu, indiqué que la jurisprudence en la matière se montrait «assez sévère» et qu’il s’agissait, règle générale, d’une détention ferme.

La procureure a soumis trois décisions, dont l’arrêt Pontbriand, un jugement récent qui, a-t-elle noté, fait une vaste revue de la jurisprudence. «Des peines entre six mois et deux ans de détention constituent la fourchette de peines couvrant l’éventail très large de la jurisprudence», a-t-elle signalé.

La représentante du ministère public a réfuté la prétention de Joël Poliquin soutenant avoir fait l’objet d’une médiatisation extrême. «On ne peut parler de médiatisation extrême ici. Oui, cela a été difficile pour lui, mais le Tribunal ne doit pas tenir compte de cet aspect comme un facteur atténuant», a-t-elle fait valoir, tout en ajoutant que l’absence de séquelle chez la victime ne devait pas non plus figurer dans la colonne des facteurs atténuants. «C’est un droit et non un privilège d’avoir des enseignants dignes de confiance», a-t-elle plaidé.

Quant à la perte d’emploi, il ne s’agit pas non plus, selon elle, d’un facteur atténuant. «C’est la conséquence directe de ses gestes.»

Certaines décisions des tribunaux font état de peines à purger dans la collectivité, a reconnu Me Prince. «Mais c’est souvent dans les cas de gestes uniques et non intrusifs. Dans le présent cas, on parle de relations sexuelles complètes durant six mois. On parle de répétition des gestes survenus même à l’école et lors d’activités parascolaires», a-t-elle fait remarquer.

«L’absence de séquelle ne suffit pas, a-t-elle poursuivi, pour justifier une peine dans la collectivité. L’esprit de la loi vise à protéger la vulnérabilité et la naïveté des étudiants. C’est aux professeurs de refuser les avances.»

Ainsi, Me Prince a réclamé une peine ferme de neuf mois d’emprisonnement. «Une peine raisonnable se situant au bas de la fourchette», a-t-elle conclu.

Les arguments de la défense

En défense, Me Guy Boisvert a admis qu’objectivement, les gestes posés par son client constituent un crime grave. «Mais subjectivement, dans les circonstances, les gestes se situent au bas de l’échelle. Il s’agit d’une relation consensuelle, non pas sur une adolescente de 12 ou 14 ans, mais sur une fille de 17 ans qui allait avoir 18 ans dans les mois suivants et ça allait devenir légal. Une jeune fille qui finit son secondaire, qui fantasme sur son prof et qui finit par avoir une relation sexuelle», a fait valoir le criminaliste tout en ajoutant que la plaignante ne se considérait pas comme une victime, qu’elle n’en éprouve aucune dommage ni préjudice. «Elle n’a jamais été exploitée», a-t-il précisé.

Me Boisvert a observé, par ailleurs, que la plainte a été déposée 14 ans après les événements. «Je vous dirais, Monsieur le juge, autre temps, autres mœurs. Si cette affaire s’était produite il y a deux ans, je ne plaiderais pas la même chose. Depuis l’affaire Nathalie Simard, les gens sont davantage conscientisés», a-t-il noté, évoquant même le cas d’un de ses clients, à sa première année de pratique en 1992, qui avait été déclaré coupable mais qui avait obtenu une absolution inconditionnelle de consentement avec la poursuite puisqu’il s’agissait d’une relation consentante.

L’avocat est d’avis que son client est dissuadé de commettre un autre délit de la sorte. «L’affaire a été médiatisée, il a perdu son emploi. L’isoler de la société n’est pas nécessaire. Il n’a aucun antécédent judiciaire. Depuis sa remise en liberté, il n’a commis aucun geste pour lequel il a été condamné. Et mon client, malgré sa condition médicale, fait tout pour s’en sortir. Sa réhabilitation ne passe certainement pas par une peine de neuf mois de détention», a soutenu Me Boisvert.

«On n’a pas besoin de l’incarcérer, a plaidé Me Boisvert. Il reconnaît que la situation était inappropriée. Il est suivi, il s’est responsabilisé.»

L’avocat estime que le cas de Joël Poliquin serait admissible à une absolution conditionnelle ou à un sursis de sentence. «Je crois qu’une absolution conditionnelle, ce serait opportun. Peut-être pourrait-il récupérer son emploi. Comme directeur, il n’a pas nécessairement de contact avec les élèves. Il est en mesure d’effectuer un don et de réaliser des travaux communautaires. Chose certaine, une peine de prison serait déraisonnable et inappropriée», a conclu l’avocat.

Après avoir écouté les parties, le juge Trudel a fait savoir qu’il s’accordait un temps de réflexion. Il rendra donc sa décision le 15 juillet.