Disques Victo : 30 ans et 129 titres plus tard

C’est en octobre 1986 que Disques Victo a enregistré son premier disque intitulé «Nous autres» de Fred Frith et René Lussier. Depuis ce temps, des titres se sont ajoutés et l’engouement pour les disques s’est modifié.

Trente ans plus tard, un des deux propriétaires de Disques Victo, Michel Levasseur (qui est aussi directeur général et artistique du Festival international de musique actuelle de Victoriaville), trace un portrait un peu sombre de l’avenir du CD qui connaît un déclin depuis quelques années.

Pas plus encouragé non plus par la hausse de popularité de la musique en continu (streaming) qui donne accès aux auditeurs à une infinité de musiques, mais qui, pour les distributeurs et les artistes, rapporte des sommes ridicules. «En un mois, ça a rapporté 199,25 $ à Disques Victo», explique-t-il. Un montant minime si on considère qu’il a été généré par l’écoute de 4600 pièces environ (ce qui représente en moyenne 0,02 $ par écoute).

Et depuis l’arrivée de la musique en continu, comme il ajoute, les téléchargements en ligne, qui offraient une meilleure rétribution, sont à la baisse. «Le «streaming», c’est l’attrape qui continue à donner de l’espoir au monde entier», déclare-t-il. Parce qu’au lieu de jouer les pièces dans des radios officielles et obtenir des redevances comme avant, elles se retrouvent en continu. «Il y a un questionnement des gens qui se demandent comment ils vont survivre là-dedans», note Michel.

Malgré tout, Disques Victo continue ses activités, même après 30 ans d’existence, mais à moins grande échelle. Des quatre-cinq productions annuelles, c’est davantage un ou deux disques compacts qui sortent chaque année. «Question de garder une renommée.»

Petite histoire

Disques Victo a été créé le giron de Productions Plate-Forme, pour offrir une extension de diffusion de la musique actuelle au FIMAV, bref une valeur ajoutée ou un moyen de publicité. «Ça permettait avec les disques de toucher un public hors Québec et hors Canada», se souvient-il.

Et à cette époque aussi (ce qui n’est plus le cas depuis quelques années), Radio-Canada enregistrait environ la moitié des concerts présentés au FIMAV et c’est parmi ces enregistrements que Disques Victo choisissait les productions de l’année. Parce que l’entreprise a toujours, sauf une ou deux exceptions, produit des artistes qui sont passés au FIMAV.

Les années ont passé et la marge de profit n’a jamais véritablement été au rendez-vous. Sans déficit toutefois faut-il préciser. En 1997, parce qu’il était devenu difficile pour Plate-Forme de financer les disques, et que c’était davantage devenu un projet personnel pour Michel, il a voulu en faire l’acquisition avec sa conjointe Joanne Vézina.  Le tout a été fait en bonne et due forme et entériné par le conseil d’administration, faisant de l’entreprise un organisme apparenté à Plate-Forme qui, à partir de ce moment, n’a été que le producteur du FIMAV. «Nous avons continué en espérant qu’on pourrait peut-être en vivre, mais ce n’est pas arrivé», ajoute Michel.

Aujourd’hui, Disques Victo est devenu, pour le couple, davantage une passion, un passe-temps qui permet de conserver un patrimoine artistique et musical. D’ailleurs, environ 35 000 disques sont toujours en réserve. «Avant lorsqu’un titre était épuisé, nous le rééditions, mais nous ne le faisons plus aujourd’hui. Tout de même, tous les titres (sauf deux) sont encore disponibles. Et en cinq ans, le chiffre d’affaires a diminué de 70%, à l’image des autres compagnies semblables», précise-t-il.

Demeurant réaliste face à l’avenir, le propriétaire se dit même surpris de voir que l’organisme s’est rendu à ce trentième anniversaire. «Il n’y a presque plus de distributeurs. Le seul espoir, c’était la vente en ligne que le «streaming» est en train de faire mourir», remarque-t-il.

L’anniversaire est d’autant plus important à souligner puisque vient d’être lancé, sous l’étiquette victoriavilloise, un album marquant qui a été enregistré lors du plus récent FIMAV, «Musica Elettronica Viva, Symphony No 106». Un album présenté à New York il y a quelques jours.

Le temps a passé et il est intéressant de savoir que le titre qui a connu le plus haut taux de vente est le premier enregistré (de Frith et Lussier). En effet, plus de 5000 copies ont trouvé preneurs alors, qu’en moyenne, ce sont un millier d’exemplaires qui sont vendus.

Tout cela n’empêche pas les deux propriétaires de rester fiers de leur étiquette. Pour eux, le disque demeure un produit artistique. D’ailleurs, plusieurs pochettes sont constituées de reproductions d’œuvres d’art, comme le fait remarquer Michel.

Il existe toujours un marché pour les disques, lors des concerts et festivals ce qui laisse espérer que Disques Victo pourra résister encore quelques années en continuant d’être actif et garder le catalogue vivant. Mais, comme le souligne Michel Levasseur, il faut que les gens soient conscientisés à ce que rapporte (ou pas) le «streaming» aux artistes et diffuseurs.

Si on ne peut prédire l’avenir du disque physique, Michel Levasseur peut toutefois annoncer que l’anniversaire de Disques Victo sera souligné au prochain FIMAV, lors d’une soirée.