Être privilégiée… autrement

Le 15 mars, je devais partir en voyage. Des vacances planifiées depuis un an. Ce voyage ne s’est jamais fait. Toutefois, un tout autre voyage s’apprêtait à prendre forme.

Quelques heures suivant l’annulation forcée de mon voyage, j’appris que l’organisme communautaire pour lequel je travaille se retrouvait sans bénévoles.  Nos bénévoles de plus de 70 ans étaient sommés de ne plus se présenter « au travail ».  Nous nous retrouvions sans ces bénévoles qui représentent 80% de nos effectifs.  Alors qu’eux perdaient ce qui nourrit leur âme et leur cœur,  moi je m’embarquais pour un voyage inattendu.

Faire une différence est ce à quoi j’aspirais depuis longtemps. Mon travail m’amenait à croire que c’est ce que je faisais… une différence.  Une petite différence pour des aînés bénéficiaires de popote.  Leur faciliter la vie est le trajet que j’empruntais, croyant que ce serait le seul qui me permettrait de faire cette différence.

C’est toutefois le 16 mars, à 10 h 30, que mon aventure débuta. Je devenais « un service essentiel ».

Ainsi, par le biais de ce service que je gère, je contribue à fournir à «mes» aînés non pas seulement des repas congelés, mais une attention propre à chacun. Dans le brouhaha d’ajustements inhabituels et déstabilisants, je refais leur monde pour qu’ils ne soient pas inquiets. Je les entends, et vais au-devant de leur discours. Je leur ouvre une porte d’écoute. Je prends le temps. Je prends le temps de leur dire que ce qu’ils vivent n’est pas rien.

Que c’est difficile, et que je suis fière d’entendre leur résilience. J’insiste sur cette fierté qui m’habite, car je tiens à eux et je veux qu’ils captent ce qui vibre en moi, pour eux… je suis attachée à des gens que je n’ai jamais vus.  Je partage avec eux des expériences personnelles qu’il ne m’aurait jamais été possible de partager, en d’autres temps.

Avoir l’opportunité de leur parler un à un, me permet de semer une graine chaque fois. Une graine d’espoir. Même si à leur question «c’est quand que tu penses que ça va être fini?», je n’ai pas réponse. Je les amène au 24 heures à la fois… au pied de la montagne et non au sommet inaccessible pour l’instant. Et pour chaque graine semée… je réalise que là… je fais une différence.

Ce qui m’habite est indescriptible. C’est énorme, étonnant et emportant. Et c’est cet état qui me pousse et qui me tient là.

Je suis privilégiée de participer à leur bien-être physique, par le biais de repas congelés. Mais je le suis davantage de pouvoir leur apporter une paix d’esprit le temps d’une conversation. Une équanimité… quel beau mot.

Johanne Thérien