Un couple d’agriculteurs, atteint du Parkinson, accuse les pesticides

Une réflexion jonchée de retours en arrière hante le quotidien de Thérèse et Denis (noms fictifs). Et s’ils n’avaient pas manipulé de pesticides? S’ils avaient su, à l’époque, les conséquences que l’on associe aujourd’hui à ces substances? Chose certaine, pour le couple atteint de la maladie de Parkinson, le futur devra être fait d’une plus grande reconnaissance des risques associés aux pesticides par le gouvernement et d’une compensation financière pour tous les agriculteurs, comme eux, à qui on a «coupé les ailes».

Les septuagénaires, qui n’estiment pas avoir l’énergie de mener un combat public sous leurs vrais noms, ont reçu un diagnostic respectivement en 2015 et en 2018. À la lumière des informations qu’ils amassent depuis, les liens entre leur plantation de sapins et la maladie se font plus clairs que jamais. Des gens comme Thérèse et Denis, il pourrait y en avoir près de 600 au Québec, croit Romain Rigal, directeur des programmes et services pour Parkinson Québec. Et ce ne sont que les estimations les liées à la maladie de Parkinson. Or, «ce sont des particules qui peuvent développer bien d’autres maladies, comme les lymphomes non hodgkiniens, les myélomes et les cancers de la prostate», résume M. Rigal, qui occupe le rôle de vice-président du conseil d’administration d’une toute nouvelle entité : Victimes des pesticides du Québec.

En effet, depuis lundi, les voix des victimes de ces substances toxiques peuvent se rassembler sous une seule association. «On veut montrer que ce n’est pas lié à une problématique de santé unique. C’est un enjeu sociétal majeur», dit-il.

Un an après les auditions parlementaires sur les pesticides de la Commission de l’agriculture, dans le cadre de laquelle M. Rigal a déposé un rapport rassemblant les plus récents constats de la communauté scientifique, Victimes des pesticides du Québec exige du gouvernement qu’il prenne «toutes les actions nécessaires pour éviter aux jeunes Québécoises et Québécois le legs de toute maladie».

Plus précisément, on le presse de faire reconnaître les maladies citées plus haut comme des maladies professionnelles dans le contexte agricole, en plus de créer un fonds d’indemnisation pour les travailleurs qui en sont atteints, puisqu’ils ne sont qu’une minorité à cotiser à la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail.

La France reconnaît d’ailleurs déjà la maladie de Parkinson, les myélomes et les lymphomes non hodgkiniens comme des maladies professionnelles. «C’est justement une association de patients qui a fait pression sur le gouvernement pour faire avancer les choses là-bas. C’est laisser le poids de ce travail à des gens qui sont malades. Parfois, on ne peut pas mener plusieurs combats en même temps», plaide M. Rigal.

Pas la retraite imaginée 

Thérèse et Denis ont démarré une plantation de sapins de Noël dans les années 80. «Au début, on n’utilisait pas de pesticides, mais on s’est aperçus que si tu ne mets rien, tu n’as rien», raconte Thérèse, qui a décidé d’assumer cette tâche tout en bénéficiant régulièrement de l’aide de son conjoint.

«Après quelques années, on s’est joints au Club agroenvironnemental de l’Estrie. C’est là qu’on a appris les dangers de ça. On a commencé à suivre des formations et à se protéger. La combinaison, les masques, les gants…»

Jusqu’à la vente de leur plantation il y a un peu plus de cinq ans, elle se rappelle avoir utilisé de nombreux produits pour empêcher mauvaises herbes et insectes d’endommager sa culture. Le plus fréquemment utilisé : le Roundup, un produit à base de glyphosate, une substance classée en 2015 comme un agent «probablement cancérigène pour les humains» par l’Organisation mondiale de la santé. Tandis que le fabricant de Roundup a indemnisé des milliers de plaignants américains atteints de cancer durant l’été, les villes de Montréal, Québec et Sherbrooke ont promis de se pencher sur une possible interdiction du glyphosate sur leur territoire.

«Je ne peux pas croire que ce soit autre chose que les pesticides. On mange bien. On a toujours travaillé fort et personne, dans nos deux familles, n’a déjà eu cette maladie-là», affirme Thérèse, qui se demande si la contamination n’a eu lieu que durant les années où ils ne se sont pas protégés.

En réalité, les équipements de protection n’auraient pas démontré d’incidence sur le risque de développer la maladie de Parkinson, répond M. Rigal. «Malheureusement, ça protège des réactions aiguës, et il faut les porter. Mais ils n’ont pas prouvé que ça réduisait le risque de développer la maladie.»

Aujourd’hui, le couple se considère chanceux, comparativement à d’autres victimes de la maladie de Parkinson, même si leur situation «n’a rien de drôle». « Je ne m’imaginais pas, à mon âge, faire aussi peu de choses comme je le fais maintenant, confie Thérèse. Disons que ça nous a coupé les ailes. On a des raideurs. On a de la difficulté à marcher comme avant. Avant, on partait marcher des journées entières, mais là, on ne peut plus faire ça. Je dois plutôt prendre mon fauteuil roulant ou mon déambulateur.»

Le lien entre pesticides et Parkinson 

L’association entre la maladie de Parkinson et l’exposition aux pesticides est «indiscutable», note Romain Rigal, qui s’appuie sur plusieurs méta-analyses regroupant de nombreuses études faites sur le sujet. Toutes arrivent au même résultat : les pesticides doublent les chances de développer cette maladie.

«Les pesticides ont une grande affinité pour les neurones qui contrôlent le mouvement, les neurones dopaminergiques. Quand ils entrent dans ces neurones-là, ils vont détruire le moteur de ces cellules. Ces cellules ne sont plus capables de produire d’énergie, et elles vont mourir. Ces neurones-là, c’est eux qui contrôlent nos mouvements. Quand il n’y en a plus, c’est la maladie de Parkinson. En fait, pour faire une souris Parkinson en laboratoire, ils lui injectent directement des pesticides.»

La Tribune