Ottawa sonde l’opinion publique sur la réforme de la justice criminelle

Le ministère fédéral de la Justice sollicite l’avis des Canadiens sur les changements que les libéraux souhaitent apporter à certaines dispositions du Code criminel adoptées par le précédent gouvernement conservateur, notamment sur les peines minimales obligatoires.

Dans un sondage en ligne, Ottawa demande notamment aux citoyens canadiens de se faire juge dans des causes fictives, où les accusés ne sont pas des «criminels endurcis» et où les circonstances peuvent être qualifiées d’«atténuantes».

On présente ainsi le cas d’un jeune homme, par ailleurs citoyen exemplaire, qui, en état d’ébriété, a «cherché à tripoter» une fille de 15 ans dans un autobus. Lorsque le répondant a décidé du verdict et de la peine, on lui rappelle qu’à l’heure actuelle, un juge n’aurait d’autres choix que de prononcer la peine minimale — six mois de prison — pour agression sexuelle impliquant une personne mineure.

«Les juges n’ont aucune marge de manoeuvre et ne peuvent pas choisir une autre forme de peine, y compris une période d’emprisonnement plus courte», poursuit-on. Le sondage, réalisé par la firme EKOS, demande ensuite au répondant si cette peine minimale obligatoire lui semble «appropriée et juste» dans ces circonstances.

Les libéraux avaient promis de modifier la loi pour débarrasser les juges de cette obligation de peines minimales — les conservateurs en ont adopté des dizaines au cours de leur passage à Ottawa.

Les partisans de telles peines minimales obligatoires soutiennent qu’elles contribuent à conserver une certaine uniformité dans les peines prononcées par les tribunaux; les opposants estiment qu’elles empêchent les juges de faire preuve de discernement pour prononcer une peine qui soit non seulement proportionnelle au crime, mais aussi à l’accusé.

La ministre de la Justice, Jody Wilson-Raybould, estimait cet été que la moitié environ des contestations judiciaires déposées à son ministère et qui sont fondées sur la Charte des droits et libertés sont justement liées à ces peines minimales obligatoires.

Les libéraux reportent inlassablement le dépôt d’un projet de loi, qui est maintenant prévu pour l’automne.

Populisme ?

Le criminaliste Michael Spratt s’inquiète toutefois de voir le gouvernement libéral se baser sur l’opinion populaire, plutôt que sur les connaissances, pour élaborer une politique publique. «Il s’agit d’un petit jeu dangereux, qui pourrait miner la primauté du droit et mettre en péril d’importants garde-fous constitutionnels», estime-t-il.

Yvon Dandurand, professeur de criminologie à l’Université Fraser Valley à Abbotsford, en Colombie-Britannique, ne partage pas ces craintes: il se dit convaincu que les libéraux font beaucoup plus que sonder l’opinion publique lorsque vient le temps de réformer le système de justice pénale. «Ils ont fait leurs devoirs pour élaborer une politique cohérente en matière de peines, et le sondage d’opinion ne constitue qu’une des étapes de tout ce processus», croit-il.

Au cabinet de la ministre Wilson-Raybould, la porte-parole, Kathleen Davis, explique que le sondage, qui n’a pas été élaboré par son bureau, fait partie d’un ensemble de mesures visant à impliquer les citoyens dans le débat public, y compris des groupes cibles et des sondages plus traditionnels, avec échantillons aléatoires — ce qui n’est pas le cas avec un sondage en ligne.

Mme Davis indique par ailleurs qu’à l’automne, on se penchera aussi sur la justice réparatrice, les agressions sexuelles, les délais devant les tribunaux, la santé mentale et les questions qui touchent particulièrement les Autochtones.

Le porte-parole néo-démocrate en matière de justice, Alistair MacGregor, espère que la tenue de ce sondage signifie que les libéraux seront bientôt prêts à respecter leur promesse et à déposer enfin un projet de loi. «J’imagine qu’il faut dire: mieux vaut tard que jamais.»