Marie Bourassa… quarante ans à entretenir son Rayon de soleil
Il fallait à la fois de l’audace et de la vision pour se lancer dans la création d’une garderie sans but lucratif. Marie Bourassa a eu de tout cela, elle qui, il y a 40 ans cofondait ce qu’on appelle aujourd’hui le Centre de la petite enfance (CPE) Rayon de soleil, première garderie éducative à Victoriaville et dans les Bois-Francs. Quarante ans plus tard, pourtant retraitée, Marie s’y trouve toujours, heureuse d’y «bénévoler».
En compagnie du directeur général des trois installations du CPE, Normand Tessier, et de la directrice adjointe au site du 790, boulevard des Bois-Francs Sud, Mélanie Dechêne, Marie se souvient et raconte.
Il faut camper le paysage d’alors, dans ces années où encore bien des femmes portaient le nom, même le prénom, de leur mari. Où l’idée de faire «garder» ses enfants tous les jours de la semaine tenait presque de l’hérésie. D’ailleurs, pendant longtemps, les éducatrices se faisaient appeler «gardiennes».
S’étant formée en techniques de garde au Collège Marguerite-d’Youville, Marie Bourassa et ses collègues d’alors, Lucie Provencher et France Comeau, s’étaient mises en quête… et en tête de créer une garderie gérée par un conseil d’administration administré par les parents, ce qui est toujours le cas d’ailleurs.
Un local à l’hôpital
Fille du pharmacien Jacques Bourassa et travaillant, étudiante, à l’hôpital, Marie avait repéré une salle au deuxième étage de l’ancienne École des infirmières (le pavillon F, celui qui arbore la grande fresque à l’extérieur) pour implanter la garderie. «On visait offrir ce service de garde surtout pour le personnel de l’hôpital», rappelle l’éducatrice.
La création de la Garderie éducative Rayon de soleil – le mot éducative s’imposait puisqu’il existait une autre garderie portant ce nom dans le coin de Québec – a nécessité de nombreuses démarches… et beaucoup de «magasinage».
Il a d’abord fallu convaincre sœur Claire Perreault alors directrice générale de l’hôpital de la pertinence du service. Et puis, rappelle Marie, les subventions étant quasi inexistantes, il fallait solliciter les dons privés pour établir et faire rouler la garderie. Gédéon Grenier, propriétaire de l’épicerie portant son prénom (devenue Provigo, puis Loblaws) a fréquemment contribué à nourrir les enfants.
«On a ouvert dans un mauvais moment», se souvient encore la cofondatrice, en pleine grève à l’Hôtel-Dieu.
Beaucoup de changements
Les débuts ont été lents, la garderie dotée d’un permis pour 30 enfants (de plus de 18 mois) étant plutôt considérée comme un service de dépannage.
Les temps et les habitudes ont bien changé. De même que les installations. Le CPE Rayon de soleil en exploite trois: sa «maison mère» construite au 378, rue Girouard en 1984 et agrandie en 2000; celle du 790, boulevard des Bois-Francs Sud construite en 2005 et celle du 1185, rue Notre-Dame Est construite en 2010. Dans ses trois sites, la soixantaine de membres du personnel accueille quelque 200 petits avec un budget oscillant autour des 3,5 millions $, note M. Tessier.
En quarante ans, les enfants et les parents ont changé, observe encore Marie… et les éducatrices sont mieux formées pour intervenir auprès des uns et des autres. Chez les petits, les éducatrices ont à composer avec davantage de troubles de comportement. «Et beaucoup de problèmes d’intolérances alimentaires et d’allergies.»
Quant aux parents, ils expriment plus d’attentes qu’auparavant. Cela s’explique aisément, soutiennent Mélanie Dechêne et Normand Tessier. Les enfants passent beaucoup de temps en CPE, de sorte que les parents réclament pour eux des activités, des cours, des sorties.
Ce qui ne change pas
Beaucoup de choses ont changé en 40 ans, les garderies publiques étant devenues des CPE dans la foulée de l’adoption de la politique familiale en 1997. Ce qui, toutefois, demeure inchangé, c’est que le travail demeure essentiellement féminin. L’éducateur de formation Normand Tessier, travaillant à Rayon de soleil depuis 38 ans, est le seul homme à s’y trouver à temps plein. La grande équipe du CPE en compte un autre, oeuvrant comme remplaçant.
Mélanie Duchêne admet que les préjugés et les stéréotypes subsistent à l’égard d’un travail nécessitant de prendre soin des enfants. «Ça reste associé à un travail féminin.» Elle ajoute que même des parents ne cachent pas leur inquiétude vis-à-vis une présence masculine auprès de leur enfant.
Les éducateurs s’orientent davantage vers le milieu scolaire où les enfants sont plus vieux, remarque-t-on encore.
La famille élargie
Tous s’accordent à considérer que l’éducatrice en CPE finit par faire partie de la «famille élargie» de l’enfant. «Parce qu’ils y sont tous les jours, les enfants «nouent des liens bien particuliers avec leur éducatrice», affirme Marie.
Et c’est probablement parce que le travail de l’éducatrice dépasse largement l’animation, l’occupationnel, qu’elle ne s’en lasse pas. Elle a été forcée de prendre sa retraite pour des raisons de santé, mais ne peut renoncer à continuer d’œuvrer auprès des enfants et soutenir les éducatrices.
Quatre matinées par semaine, elle ajoute son rayon au soleil de ces «petits tout neufs» qu’elle prend plaisir à habiller pour jouer dehors, à bercer, à consoler, à faire manger. «Son bénévolat est magique», dit Normand Tessier, ajoutant qu’on «ne peut prendre sa retraite d’une passion».
«Je n’ai pas le sentiment de donner parce que ça me nourrit tellement», réplique Marie qui se dévoue aussi à la Maison de soins palliatifs Marie-Pagé.
Elle se dit heureuse que la garderie ait traversé le temps, qu’elle soit belle et bonne, offrant des locaux adéquats et de grandes cours pour que les enfants puissent y bouger.