Les jambes croches, il ne devait jamais marcher

Des gens comme Denis Roy, il y en a peu. Il y en a peu parce que sa maladie, l’ostéogenèse imparfaite qu’on appelle aussi la maladie des os de verre, demeure une affection peu commune. Il y en a peu parce que ceux qui en sont affligés sont incapables de marcher. Ce qu’il a commencé à faire à l’âge de 18 ans, lui qui s’était traîné sur les fesses depuis sa tendre enfance.

Résidant à Saints-Martyrs-Canadiens depuis 2009, l’homme originaire de Black Lake s’est d’abord confié au Journal de Montréal au début de novembre. Jamais il n’avait parlé de sa maladie et de son long parcours parsemé d’une centaine de fractures et d’une quarantaine d’opérations chirurgicales. Il avait lu, sous la plume de la même journaliste, Amélie St-Yves, un article traitant d’un cas similaire.

«Je suis né en 1958, j’ai 58 ans, je me dis que c’est mon année chanceuse et qu’en parlant de ce que j’ai vécu, je peux sensibiliser les gens à cette maladie, donner de l’espoir à ceux qui en sont atteints. Parce que ceux qui en sont atteints sous tous en fauteuil roulant.» Donner de l’espoir tout court à ceux qui souffrent, croit M. Roy.

Né, septième d’une famille de dix enfants, Denis Roy n’a reçu son diagnostic qu’à l’âge de 2 ans et demi. Ses parents, Émilienne Fournier et Adélard Roy, ayant remarqué que le petit Denis s’arrêtait de marcher et que de petites bosses apparaissaient un peu partout sur ses jambes.

La radiographie a révélé que ses os n’avaient aucune opacité, l’ostéogenèse imparfaite faisant en sorte que le collagène manque pour les nourrir et les solidifier.

Enfance, souffrances

Toutes les deux ou trois semaines, le moindre mouvement pouvait provoquer une fracture. Denis Roy fait rimer enfance avec souffrances.

««Ne dépensez pas d’argent, il n’y a rien à faire», disaient les médecins à mes parents.»

Ses jambes étaient complètement déformées par les multiples fractures et on ne trouvait rien d’autre pour le soulager que de lui installer des planchettes de bois pour l’immobiliser. «On ne pouvait me plâtrer parce que j’aurais perdu trop de muscle.» La douleur lui coupait l’appétit. «C’est ce qui explique que j’étais si petit», dit-il en montrant une photo de lui avant son opération. Il se souvient aussi d’avoir songé à se faire couper les jambes pour en finir avec sa souffrance. «Mais je ne l’ai pas dit tout haut, me disant que si je le faisais, on me les couperait et je le regretterais.»

Son état paraissait tout aussi désespéré que désespérant. Denis Roy se souvient s’être senti comme un extra-terrestre lorsque, à l’hôpital, une trentaine de médecins posaient leur regard curieux sur ses jambes toutes croches.

Différent, mais pas handicapé

Jamais, au grand jamais, le petit garçon, puis l’homme qu’il est devenu, ne s’est perçu comme une personne handicapée. «Je me sentais différent. Mais différent comme pouvaient l’être mon frère et ma sœur.»

Sa première année scolaire, il l’a passée à la maison. Puis, son frère l’emmenait à l’école avec un traîneau l’hiver. «Je pouvais, l’été, me déplacer avec un tricycle.» Dans l’école, il se véhiculait en fauteuil roulant.

Quant à la douleur, il s’y résignait. Se disant que demain, ce sera mieux. Que l’on est capable d’avoir ce qu’on est capable de vivre, jamais plus. «Je préférais que ce soit moi qui vive cela que l’un de mes frères ou de mes sœurs.»

Ses parents, raconte-t-il, ne l’ont jamais surprotégé, ont multiplié les démarches et les prières pour lui. «Ils étaient croyants. Tous les soirs, ils récitaient le chapelet. Tous étaient à genoux, sauf moi qui étais assis. Je crois moi aussi, à une source de vie, à une puissance.»

Une opération déterminante

Il raconte encore que c’est une rencontre entre ses parents et ceux d’une petite fille (Marie-Josée Hallé, aujourd’hui décédée) affligée du même mal, opérée par le Dr Anthony Trias du CHUS à Sherbrooke, qui a été déterminante pour lui.

L’orthopédiste, originaire d’Espagne, spécialiste de ce genre de cas, lui a littéralement reconstruit les jambes. Pendant douze heures, le chirurgien a retiré les os des jambes du garçon de onze ans pour les couper à tous les demi-pouces, les reliant ensuite par une tige de métal.

«Tout ce que je voulais, c’est qu’on me redresse les jambes. J’avais un complexe. Ma mère me mettait toujours des pantalons longs pour cacher mes jambes croches. Un jour, un oncle a vu mes jambes et est devenu tout blanc.»

Le séjour à l’hôpital a duré des mois, l’enfant étant immobilisé, les jambes écartées, enfermé dans un carcan de plâtre allant jusqu’à la poitrine.

L’opération n’avait jamais été pratiquée pour lui donner espoir de marcher. Personne, pas même lui, n’avait envisagé cette perspective.

C’est plus tard, beaucoup plus tard, à l’âge de 18 ans qu’il a réalisé qu’il pouvait faire quelques pas sans ses béquilles. Et c’est progressivement qu’il a fait confiance à ses jambes. «Quand tu as toujours été assis, tu as peur quand tu te retrouves debout. Je me demandais si mes jambes allaient tenir.»

La douleur le tenaille toujours, mais aujourd’hui la médication pallie un peu.

Depuis cette opération subie à 11 ans, il s’est retrouvé sur le billard à au moins quarante reprises, la tige originelle n’étant pas extensible, les os demeurant toujours fragiles.

Denis Roy peut marcher sur de courtes distances, ratisser son grand terrain, s’affairer à tout ce que sa conjointe, Lucie Turgeon, lui demande de faire, dit-elle en riant.

Il n’a pas d’aversion pour son fauteuil roulant qui lui a permis de se lancer dans les sports (volleyball, basketball, tennis, course). Il est compétitif… et orgueilleux. «Je suis à l’aise en fauteuil roulant, aussi à l’aise que le cycliste sur son vélo.»

De Black Lake à Saints-Martyrs-Canadiens, il a résidé à Thetford, à Montréal, à Victoriaville ayant travaillé comme moniteur de conduite automobile, gardien dans une maison de thérapie pour jeunes toxicomanes, oeuvrant en informatique.

Qu’espère-t-il? «Quand j’avais 20 ans, j’espérais marcher jusqu’à 30 ans. Quand j’ai eu 30 ans, j’espérais le faire jusqu’à 45 ans. À 45 ans, je me suis dit que j’espérais marcher tout le temps.» La foi, l’espoir, l’amour de la vie le font mettre un pied devant l’autre.

On peut le joindre par courriel (denis.roy12@hotmail.com) parce qu’il croit pouvoir venir en aide à ceux qui en ont besoin.