Les «facilitateurs de passage» de la Maison Marie-Pagé
VICTORIAVILLE. Ils portent le même patronyme, Raymond, mais n’ont aucun lien de parenté. Leur parcours de vie est fort différent. Pourtant, leurs routes ont fini par se croiser, là, au chevet des gens qui rendent leur dernier souffle dans une des dix chambres de la Maison Marie-Pagé ouverte il y a tout juste un an.
Ils ont chacun les mots pour dire… et pour écrire, car Claude et André y sont habiles.
Assis l’un à côté de l’autre pour l’entrevue, ils parlent des gestes qu’ils posent, de l’esprit qui les anime, de la vie, de l’humain, de l’amour. De la gratuité et de l’inconditionnel amour.
De l’attachement à l’instant présent, parce que les gens en fin de vie sont à la fois ouverts et fragiles, vulnérables, qu’ils achèvent de faire le «délestage» de tout ce qui a été leur vie, comme le souligne Claude.
Sortie de scène
Claude dira que les bénévoles sont des «facilitateurs de passage». Homme de théâtre, André évoquera la métaphore «sortie de scène».
Les deux se sont engagés à la Maison Marie-Pagé pour des raisons totalement différentes. Par une sorte d’élan naturel pour Claude. Par accident pour André.
Jadis, pendant ses études, Claude avait œuvré comme préposé aux bénéficiaires. Le contact avec la maladie, avec la mort même, ne l’a jamais effarouché. Pas plus la mort des autres que la sienne, dit-il. «J’ai toujours été fasciné par elle.»
Il raconte que s’il avait connu plus tôt cette expérience auprès des malades, sa carrière professionnelle aurait probablement été différente, lui qui, à 64 ans, se refuse toujours à retraiter de son travail de communicateur et de conseiller stratégique.
Il a bellement écrit sa fascination pour la mort «parce qu’elle nous pousse dans nos derniers retranchements, là où tous les hommes et toutes les femmes se ressemblent plus que jamais.»
Le chemin d’André diffère, même s’il dit qu’il a trouvé chez Marie-Pagé l’amour sans attente. C’est d’ailleurs par le chemin de Compostelle qu’il a commencé, de loin, à s’approcher des personnes malades. En 2011, il avait offert de marcher pour des personnes atteintes de cancer. Outre les commandites en argent recueillies pour Albatros, il consacrait une journée de marche à une personne en particulier.
Et son avancée jusqu’au chevet des gens en fin de vie aura probablement été plus laborieuse que celle de Claude. «Je ne savais pas quoi leur dire… Je me souviens de m’être approché d’un homme en échappant un automatique «Comment ça va?». Je m’en suis excusé. Mais l’homme m’a dit que brailler il pouvait faire ça tout seul et qu’il voulait être considéré comme un vivant.»
À cette forme de bénévolat, André Raymond s’y est attelé comme à un «défi», chaque pas lui nécessitant un effort. Des défis, le prof retraité du Collège Clarétain dit s’en être imposé toute sa vie, troisième garçon d’une famille de huit, timide, admiratif de ses grands frères. Par son engagement bénévole à la Maison Marie-Pagé, «je découvre ce qu’il y a en moi, même si je me sens encore malhabile. J’apprivoise ma propre sortie.» Même qu’il n’a pas trouvé si souffrante la maladie qui l’a affligé il y a quelques mois… parce qu’il sait qu’il y a pire.
Écouter
Auprès des personnes dont la vie s’essouffle, Claude et André s’affairent de toutes sortes de manières. Ils parlent moins qu’ils écoutent. «On s’aperçoit que l’écoute alimente la conversation», observe André.
Les deux ont un don pour la jasette, mais ils se retiennent. Les deux peuvent se mettre à chantonner, l’un pour taire sa «grande gueule», l’autre pour se donner contenance.
Claude se sent plus habile à nouer des contacts physiques. Il souligne d’ailleurs que son «métier» d’accompagnateur est très physique, qu’il est un «exterminateur d’irritants». Masser les pieds, le dos, caresser les cheveux, humecter les lèvres, tenir la main, procéder à la toilette, même intime.
Et on parlera d’éthique et de dignité, une formation que Claude offre d’ailleurs.
Il dira que le «concept» de dignité humaine n’a rien de flou. La dignité humaine, c’est un droit fondamental du malade. «Elle régule le comportement que l’on doit avoir à son égard. Le malade doit pouvoir toujours se sentir une personne à part entière jusqu’à la fin, même s’il est incontinent, a de la difficulté à se mobiliser, à parler.» Il ne sera jamais un estomac que l’on gave, un sac que l’on déplace.
André renchérit en disant que les gens méritent une belle sortie et que c’est de leur rendre hommage que de contribuer à rendre plus confortable leur dernier voyage.
Il y a toutes sortes de morts. Certains partent avec de la colère, d’autres avec grande sérénité, la plupart, entre les deux, en acceptant leur fin. «Des départs éloquents avec «le» mot de la fin, je n’en ai pas vu!», confie Claude. Et André de percevoir la mort d’un résident comme sa délivrance.
Cette mort que l’on voit venir, Claude et André disent que c’est ce qu’ils souhaiteraient pour eux-mêmes. «Quand je me suis engagé ici, j’avais dit à Nicole (Cloutier) qu’il me faudrait beaucoup de morts avant de devenir bon», dit Claude, consacrant tout un jeudi par semaine et un dimanche par mois afin de le devenir.
Les deux bénévoles estiment que leur engagement ne fait pas d’eux de meilleures personnes, mais qu’il leur procure un lieu et un profond moment pour aimer l’humain. «J’écris mon journal depuis le 26 décembre et ce bénévolat influence ma façon d’être», révèle l’ancien prof.
Les deux ont été grandement impressionnés par la gratitude exprimée par les familles des 75 défunts lors d’une récente cérémonie de commémoration organisée par la Maison à l’occasion de son premier anniversaire.
Quelques données
79
Le nombre de bénévoles qui, par mois, passent par la Maison Marie-Pagé, pour les soins aux résidents, la cuisine, l’entretien ménager. Ils effectuent, ensemble, 256 heures par semaine.
48
Le nombre de bénévoles qui, chaque semaine, vont au chevet des résidents
60%
Ce sont des femmes à 60% qui se dévouent à la Maison Marie-Pagé. Mais l’amour de l’humain n’a pas de sexe, dira Claude Raymond.
64,5
L’âge moyen des bénévoles