La Retouche entre bonnes mains
Christiane Dupuis a passé 38 ans de sa vie, non seulement à raccommoder vêtements et tissus, mais également à tisser des liens avec sa clientèle de La Retouche, un commerce qu’elle a ouvert en 1985 dans ce même local du centre-ville de Victoriaville, au 9, rue Saint-Dominique. Le vendredi 24 février a marqué un tournant dans son existence, le début de sa retraite.
Alors que certains commerces ont dû fermer, faute de relève, la couturière d’expérience se réjouit de pouvoir passer le flambeau à Sandra Barrios Bermudez, une immigrante arrivée de Colombie il y a neuf ans et qui l’épaule depuis maintenant huit ans.
Âgée de près de 75 ans, l’heure de la retraite avait sonné pour Christiane Dupuis. « A un moment donné, il faut aussi arrêter. Mon mari, qui est retraité, avait hâte que j’arrête », confie-t-elle en entrevue avec le www.lanouvelle.net.
Mais, sans la présence de Sandra, elle serait toujours derrière sa machine à coudre. « Parce que j’aime ça encore. Sans elle, j’aurais continué peut-être encore sept ou huit ans. Je trouve toutefois que c’était le meilleur moment, mais aussi la meilleure personne. Sandra est avec moi depuis huit ans, elle connaît la clientèle, elle n’a rien à apprendre. C’est même elle qui nous apprend des choses. »
Retour en arrière
La couture n’était pas un monde étranger à Christiane Dupuis. Un peu une affaire de famille, si on veut. Son oncle Oscar Fecteau s’y adonnait à même un atelier dans sa résidence de la rue Saint-Jean-Baptiste. « Il faisait de la confection de vêtements pour hommes et des réparations. Je me disais que j’aimerais bien avoir quelque chose moi aussi, mais je ne savais pas quoi », raconte-t-elle.
Sa grand-mère faisait aussi beaucoup de couture. « Je trouvais ça beau et plaisant. Une belle-sœur également cousait très bien et m’a demandé si ça me tentait de travailler avec elle. Ça a commencé un peu comme ça, relate la septuagénaire. Je me cherchais quelque chose et en passant dans la rue, ici, j’ai vu que le local était vide. Je me suis informée sur ce que ça prenait, sur les machines, et ça a démarré comme ça. »
La Retouche était née. Et l’entreprise a toujours occupé les mêmes locaux.
Christiane Dupuis a développé son expertise, non dans la confection, mais dans la réparation et la modification de vêtements. « Quand j’ai commencé, raconte-t-elle, il y avait mon oncle Oscar Fecteau et moi. Il n’y en avait pas d’autres. Ensuite, ça s’est développé un peu, sauf qu’il y en avait beaucoup dans les maisons privées. Mais peu au niveau commercial. »
De fil en aiguille, la clientèle a grandi, tout comme le nombre d’employées. « On s’est rendu jusqu’à au moins six ou sept personnes. Et, à une époque, nous utilisions aussi le sous-sol. Un atelier y avait été aménagé », rappelle-t-elle.
En plus des particuliers, La Retouche avait comme clientèle de nombreux magasins de vêtements. L’ouvrage n’a jamais manqué. « À l’époque, on ouvrait du lundi au samedi, et en soirée, les jeudis et vendredis », souligne Christiane Dupuis. Jamais les années n’ont atténué cette passion qui l’animait. « Ce n’est pas vraiment un travail. Ça a toujours été un plaisir. Ça n’a jamais été forçant de venir au travail, de servir une clientèle fidèle. Ça devient ton monde. J’aime encore ça. C’est parce que Sandra est en mesure de continuer que je peux quitter », répète-t-elle. « Je pars la conscience tranquille parce que tout va continuer. »
La suite
La Retouche demeure entre bonnes mains avec Sandra Barrios Bermudez, une dessinatrice de mode de profession. « J’ai eu, en Colombie, une petite entreprise de vêtements, pour les femmes d’abord, et ensuite on a fait la confection d’uniformes pour les entreprises. Je connais bien les aspects de la couture », précise-t-elle.
Avec mari et enfants, Sandra s’est établie à Victoriaville. Elle ne parlait alors aucun mot de français. C’est après une année de francisation qu’elle croise le chemin de Christiane Dupuis. « Je demeurais à ce moment non loin sur la rue Saint-Antoine », note-t-elle.
Avec Christiane Dupuis, elle a développé une belle complicité et amitié. La venue de Sandra a ainsi pavé la voie à une retraite bien méritée. Les deux femmes s’en étaient d’ailleurs déjà parlé. « On se l’était dit aussi dans le passé quand elle a commencé. Oui je voulais (lui laisser le commerce) et elle aussi. C’est peut-être moi qui retardais le tout parce que j’étais bien, mais à un certain moment, c’est assez, exprime Mme Dupuis. C’est elle qui m’a convaincue que le temps était venu de lui laisser la place. Ce n’est pas compliqué pour elle. Elle connaît tout, elle est aimée, tout le monde l’aime! »
Sandra Barrios Bermudez reprend donc le collier avec des projets en tête. « C’est une période de transition. Dans les premiers temps, on va travailler en gang, en famille. Bien sûr, mon mari et mes enfants ont tous un travail stable, mais les trois connaissent le domaine de la couture, car j’y ai travaillé toute ma vie. On va analyser les besoins », mentionne-t-elle.
Chose certaine, la famille mijote de grandes rénovations. « On va pour ainsi dire donner un nouveau visage à la Retouche. L’image va changer un petit peu, mais le travail va continuer avec la même mission », assure-t-elle.
« Ils ont de beaux projets, renchérit Christiane. C’est vrai que ça va changer complètement le décor. Ce sera très beau. »
Le mot de la fin, on le laisse à la nouvelle retraitée, satisfaite de son parcours et de la suite des choses. « Je suis heureuse de ces 38 années, j’en suis très fière. Heureuse aussi que Sandra puisse perpétuer le nom de La Retouche. Après 38 ans, ça aurait pu être terminé, mais non, ça se poursuit encore plusieurs années. Je trouve ça merveilleux. Avoir été obligé de mettre la clé sous la porte, ça aurait été difficile », avoue Christiane Dupuis.
Ce qu’elle trouve le plus difficile avec la retraite, ajoute-t-elle, c’est de dire au revoir à sa clientèle, à ses clients fidèles. « Des clients que j’ai depuis 38 ans. J’avais des dames comme clientes et aujourd’hui, ce sont leurs petits-enfants qui viennent », observe-t-elle.
Christiane Dupuis entend bien profiter de la vie le plus possible, en famille, avec son conjoint, ses enfants et ses petits-enfants, dont la toute petite dernière, Elsa, fille de Karine Dupuis et Jérôme Tardif. « Oui, je passerai voir Sandra de temps à autre. Mais je ne suis vraiment pas inquiète. Et encore une fois, je suis vraiment contente que ce soit elle », conclut-elle.