La récolte des fruits du sacrifice

L’automne vient d’arriver. Cette période rime avec le retour en classe pour beaucoup de familles, mais aussi avec l’abondance et la récolte de ce qu’il convient d’appeler « les fruits du sacrifice ». 

C’est le moment où je vais au marché faire des provisions pour la saison froide qui arrive. Je suis de la génération qui fait encore des conserves, transforme le basilic en pesto, fait sécher des herbes, fait mariner des cornichons et fermenter des piments pour de la sauce piquante, et ce, pour l’année entière ou jusqu’à la prochaine récolte.  

Pour d’autres, cette période diffère à peine des saisons précédentes, qu’on parle du mois d’avril ou de la troisième semaine de février : les étals des épiceries débordent toujours de fruits et légumes frais, saison des récoltes ou pas.

Je me souviens encore de mes visites au Marché des Jardiniers, à La Prairie, avec ma mère. Comme c’était beau et comme ça sentait bon. Des étals pleins et colorés de fruits, de légumes et de céréales. Même aujourd’hui, je vois de jeunes enfants au marché qui ont l’air tout aussi émerveillés que je pouvais l’être. Quand le premier maïs sucré arrivait, c’était magique. Les premiers cantaloups goûtaient le ciel et nous nous goinfrions de tous ces fruits et légumes frais et abordables du Québec. Il y avait trois producteurs de maïs sucré au marché, mais nous prenions toujours le nôtre au même endroit. Je me souviens de madame Louise, une femme heureuse et souriante. Elle me donnait toujours un sac avec 13 épis et me disait qu’il y en avait un de plus pour moi. Je me sentais choyé.

Ce sont de beaux souvenirs. Pour moi, le marché est un endroit merveilleux où règnent l’abondance, la joie de vivre, le plaisir des sens et l’espoir de bons repas à venir. Cependant, savez-vous à quoi je n’ai jamais pensé quand j’étais au marché et qui m’échappe encore souvent quand j’y retourne? À nos producteurs, au travail acharné de ceux qui, contre vents et marées, viennent nous porter jour après jour le fruit de leurs sacrifices.

Madame Louise devait être debout à cinq heures le matin pour aller cueillir le maïs. Elle devait se lever à cette heure-là de cinq à six jours par semaine. Elle passait la journée debout à nous accueillir avec le sourire et la gentillesse d’une grand-mère. À cette époque, je ne me doutais pas des sacrifices qu’elle devait faire, des milliers d’heures de travail nécessaires afin que je puisse profiter de ces beaux moments et de ces bons légumes.

Être producteur agricole est une vocation, maintenant plus que jamais. Plusieurs raisons rendent la réussite de plus en plus difficile : le consommateur, qui désire des fruits et légumes d’apparence parfaite, sans pesticides; le coût des intrants, qui ne cesse d’augmenter; le manque de main-d’œuvre criant; la température, qui varie de plus en plus; les gels hâtifs et tardifs; les périodes de sécheresse et les canicules; les insectes et les maladies, qu’ils nous viennent d’ici ou d’ailleurs; le commerce international, qui envoie des produits frais à l’année; ou encore le salaire minimum, qui ne cesse d’augmenter et qui n’est pas le même partout. Ce ne sont que quelques exemples des défis qu’un producteur doit relever afin de réussir à vivre de sa passion.

La prochaine fois que vous irez au marché, pensez-y. Regardez les jeunes qui sont émerveillés par les beaux étals remplis de fruits et légumes frais du Québec. Regardez les petits qui découvrent les odeurs et les saveurs en riant et en dégustant les tomates de madame Unetelle ou de monsieur Untel et qui grimacent en voyant le brocoli dans le sac. Pensez à ces producteurs qui ont planifié les semis et les plantations, qui sont restés debout durant plusieurs nuits au printemps pour sauver la récolte du gel ou qui ont travaillé tard le soir pour terminer le sarclage. Pensez à ces hommes et ces femmes qui se sont levés tôt pour effectuer la récolte avant la pluie, pour être au marché à temps ou pour livrer votre souper en devenir à l’épicerie du coin. 

Remémorez-vous tous les sacrifices qui se cachent dans chacun de vos repas. Profitez de l’abondance, partagez, régalez-vous et dites merci. Dites merci à votre producteur local qui, jour après jour, travaille pour lui, pour vous et pour nous tous.

Vous pouvez profiter du fruit de ses sacrifices et il est savoureux!