«En 1976, on avait une motivation extraordinaire»

Les plus jeunes le connaissent, du moins de nom. Les plus de 40 ans s’en souviennent. Le 15 novembre 1976, Jacques Baril, alors âgé de 34 ans, devenait député d’Arthabaska. Son Parti québécois dirigé par le chef René Lévesque remportait sa première victoire avec 71 députés (sur 110) et 41% des suffrages. «Peuh!, s’était exclamé un homme d’affaires déçu de la victoire du «cultivateur» qui l’avait emporté sur l’ingénieur et ex-maire de Victoriaville, Denis Saint-Pierre. Jacques Baril aurait tant à raconter de ses 23 ans à la députation d’Arthabaska.

Sur son compte Facebook, entre des photos de pêche et de vacances, il a récemment raconté en quelques lignes ce que 1976 évoquait pour lui, à la demande de son ancienne attachée politique, Chantal Charest. «Grande décision, grand changement, grand espoir», écrivait-il d’entrée de jeu.

Il aurait aimé que ce 40e anniversaire soit souligné dans Arthabaska, avait commencé à dresser une liste des personnes de son organisation électorale, celles qui ont contribué à le faire élire chaque fois qu’il s’est présenté, en 1976, en 1981, en 1989, en 1994 et en 1998.

«J’avais une liste de 80 noms. J’aurais aimé que quelque chose s’organise, qu’on se rassemble… pour s’aimer», dit-il.

Puis, il a renoncé à poursuivre sa liste, craignant tellement d’inviter l’un et pas l’autre. Il aurait souhaité que l’exécutif ponctue l’anniversaire. Pour réaliser que parmi les jeunes membres du Parti québécois dans Arthabaska, plusieurs d’entre eux n’étaient pas nés en 1976!

Mardi prochain, il se retrouvera à Québec avec d’anciens collègues pour participer à la fête qu’organise l’Assemblée nationale afin de rendre hommage au député péquiste François Gendron, élu il y a 40 ans, détenant maintenant le record de longévité à l’Assemblée nationale du Québec.

Depuis sa décision de ne pas solliciter un nouveau mandat en 2003, l’ex-ministre délégué aux Transports et à la Politique maritime n’a jamais cessé de rester attentif au paysage politique. Il n’a jamais été question pour lui de redevenir député, pas même de se permettre des sorties publiques sauf, évidemment, pour donner son appui aux candidates et candidats péquistes qui se sont succédé dans Arthabaska, depuis son départ. Il dit d’ailleurs que l’«attriste énormément» le fait que jamais le PQ ne se soit fait réélire dans Arthabaska. Arthabaska était-elle péquiste ou Baril? «J’ai toujours fait attention de mettre le parti en avant. Parce que c’est le parti qui a fait qu’on a pu obtenir la région Centre-du-Québec, l’élargissement de la route 116,  l’agrandissement de la résidence Le Chêne, la création du CIFIT.»

S’il s’affaire encore avec son fils à sa ferme céréalière de Princeville, il se surprend souvent à réagir à une nouvelle de nature politique en sachant ce qu’il ferait ou dirait s’il était encore de l’«autre côté», c’est-à-dire au gouvernement.

Il parle sans regret ni nostalgie de ses années en politique. Capable d’évoquer ses grandes déceptions – les résultats aux deux référendums en sont -, comme la défaite «crève-cœur» de Pauline Marois dont il dit qu’elle n’aurait jamais dû déclencher une élection, des compromis que le Parti québécois aurait dû faire sur la charte.

Les rêves ont changé

Entre 1976 et aujourd’hui, beaucoup de choses ont changé, constate-t-il. «Les mentalités, les valeurs, les rêves ont changé. En 1976, on avait une motivation extraordinaire, celle de mener des grandes réformes. On avait la fierté d’être Québécois.»

Cette fierté s’est édulcorée, constate-t-il. Sans porter un jugement sur la jeune génération, il dit qu’elle n’a pas eu la possibilité comme lui de connaître ces «grands élans» de l’époque amorcés avec la Révolution tranquille de Jean Lesage. «Oui, les jeunes s’intéressent encore à la politique, mais ils ont davantage la tête à l’international et à la mondialisation. Ils n’ont pas l’esprit collectif, mais je ne leur jette pas la pierre.»

Et le désabusement gagne de plus en plus la population, ajoute-t-il. «Ce désabusement vis-à-vis des gouvernements et des politiciens, c’est bien de la faute aux élus avec tous ces cas de corruption qui s’accumulent.» L’ex-député considère que le pouvoir de changer les choses est passé des mains des élus à celles des fonctionnaires. Même si ces derniers sont pris en défaut, personne ne leur tape sur les doigts, s’indigne-t-il.

Au surlendemain de l’élection américaine, il prédit que le désabusement des électeurs de Donald Trump sera encore plus grand parce qu’il ne pourra réaliser tout ce qu’il a promis.

Toujours indépendantiste

Deux raisons l’avaient incité à se lancer en politique à l’époque. L’agriculture qu’il défendait mordicus, révolté par le fait que les producteurs reçoivent une facture plutôt qu’un chèque pour amener leurs bêtes à l’encan.

Et il y avait l’indépendance du Québec. «Je suis indépendantiste et j’y crois encore. Mais le contexte ne se présente pas.»

Le Québec ne demeure toujours qu’une province, déplore-t-il, qui s’est toujours contentée de réagir plutôt que d’agir, qui ne peut apporter de grands changements, se butant aux chartes et ne disposant pas de tous ses moyens financiers. «Québec vit entre l’austérité du gouvernement Couillard et le déficit que se permet le gouvernement Trudeau. Québec devra absorber 22% de ce déficit!»

C’est la chaîne agroalimentaire du Québec que le gouvernement canadien a sacrifiée au profit des autres secteurs avec le traité du libre-échange avec l’Europe, poursuit-il. «Et on nous dit que le Québec va pouvoir vendre son fromage en Europe alors qu’elle en produit trop!»

À 74 ans, Jacques Baril a encore l’énergie de bûcher… et de raconter. Devant ses boîtes pleines de photos et de coupures de journaux, il soupire. La hache lui paraît moins lourde que la plume qu’il lui faudrait pour écrire ses mémoires, partant de son enfance, du temps… et des tempêtes qu’il a traversés.