Cellulaires en classe : un premier pas timide et frileux, selon Étienne Bergeron

L’enseignant Étienne Bergeron de Warwick, à l’origine d’une pétition qui a recueilli 8000 signatures depuis le 17 août, éprouve un sentiment partagé devant la décision du ministre de l’Éducation, Bernard Drainville, d’interdire dans un avenir rapproché, par le biais d’une directive, le téléphone cellulaire en classe. L’appareil pourrait toutefois être permis à des fins pédagogiques. Un enseignant pourrait décider d’en permettre l’usage de façon exceptionnelle.

« Je suis mi-figue mi-raisin. Ma première réaction, ça a été de me dire « enfin ». Mais j’ai plusieurs bémols », a-t-il confié en entrevue téléphonique en fin d’avant-midi, mercredi.

L’enseignant juge que le gouvernement ne va pas assez loin. « La pétition en ligne demande l’interdiction des dispositifs électroniques personnels dans toute l’école. C’est un peu vague, mais c’est volontaire. Si on met un règlement pour les cellulaires, on fait quoi avec les montres intelligentes? Ce sera quoi la prochaine technologie? On fera quoi avec un jeune qui se présentera avec un casque de réalité virtuelle? », se questionne-t-il.

L’aspect juridique préoccupe aussi Étienne Bergeron. « Est-ce qu’une directive ministérielle a suffisamment de dents pour permettre au milieu scolaire, par exemple, d’être protégé advenant la saisie du téléphone d’un élève récalcitrant? Suis-je protégé comme enseignant si j’effectue une saisie on encore en cas de vol ou de bris d’un cellulaire? »

Oui, l’enseignant warwickois considère l’annonce du ministre Drainville comme une première étape, un pas dans la bonne direction. « Mais je trouve cela tellement timide et frileux, je trouve que c’est un manque de courage. Pour moi, l’école, c’est du début à la fin de la journée. Ce n’est pas juste pendant les cours. Je suis d’accord qu’on dise pas de cellulaire quand les jeunes sont en apprentissage, explique-t-il. Mais l’apprentissage ne se vit pas qu’entre deux cloches. C’est le cas aussi pendant les pauses. L’école, c’est un milieu de vie,  c’est le savoir-vivre ensemble, la socialisation. »

Il perçoit comme un statu quo la directive ministérielle qui obligera les milieux scolaires à la mise en place de règles. « Des milieux ont déjà mis en place des règles. Concrètement, sur le plancher des vaches, ça ne change pas grand-chose », exprime M. Bergeron estimant que le ministre, sentant un momentum, s’est dit qu’il se devait de faire quelque chose.

« Je m’attends à plus de courage que ça, plaide l’enseignant, car ce courage doit s’appuyer sur des données, sur la communauté scientifique. »

Depuis des années, Étienne Bergeron s’interroge et s’informe de l’impact des écrans sur l’apprentissage des jeunes. « Plus ça va, dit-il, plus les études sont clairs. Et nos jeunes passent de plus en plus de temps devant l’écran. Au moins, si on est capable de gérer ce temps à l’école… Je pense qu’on peut être encore plus féroce dans notre encadrement des écrans en milieu scolaire. »

Son action, au-delà de l’éducation, il la mène pour le bien-être des jeunes. « Je n’ai rien à gagner, je le fais pour la santé de nos jeunes, d’abord. Ce que j’ai remarqué dans ma pratique, note-t-il, c’est que les écrans sont devenus la principale source de danger de santé publique pour nos jeunes. »

Le nombre de signatures recueillies par la pétition lui démontre l’intérêt et les préoccupations des citoyens à cet égard. « Plusieurs sont interpellés, je crois, car ils vivent la situation à la maison avec leurs enfants. Plusieurs se posent cette question de l’impact. La pétition, je pense, vient juste cristalliser ce questionnement. »

S’il souhaite l’interdiction des appareils électroniques à l’école, Étienne Bergeron voulait en premier lieu qu’on traite sur la place publique de cet enjeu qui, selon lui, passait sous le radar. « Mon premier objectif, c’était d’en parler pour qu’on se questionne et qu’on développe ce débat. C’est pourquoi j’ai déposé une pétition sans savoir que ça réagirait autant », confie-t-il.

Il le dit lui-même. Il n’est pas un spécialiste en la matière. Mais il craint qu’une simple directive, contrairement à une loi comme celle de l’Ontario, n’ait pas aussi d’impact. « Il nous faut les outils nécessaires », souligne-t-il.

Cela dit, Étienne Bergeron fait savoir qu’il n’est nullement contre la technologie. Même qu’il agit comme responsable du laboratoire créatif, ce qui l’amène à concevoir des jeux vidéo avec les jeunes. « Mais on ne joue pas, on les fabrique les jeux. On les fait, on fait des textures, on fait la musique et les petits personnages qui se déplacent, on apprend à programmer. On constate toute la logique derrière tout cela. C’est ce que je souhaite comme technologies à l’école, des technologies qui soient productives, créatives, et non passives. Je ne suis pas contre la technologie, comme je ne suis pas contre la nourriture, mais j’en ai contre la malbouffe ou les jeux vidéo à outrance pendant les heures d’école », conclut-il.