Ce qui fait le plus mal? Le regard des autres

PORTRAIT. De Claude Champoux qui vit depuis près de 65 ans avec les séquelles de la poliomyélite, on pourrait s’attendre à ce qu’il parle de ses douleurs musculaires, de ses levers toujours difficiles où il lui faut remettre en marche sa «machine corporelle». Mais ce n’est pas ce qu’il répond lorsqu’on lui demande ce qui lui fait le plus mal. Ce qui le fait le plus souffrir, c’est le jugement dans le regard des autres, de ceux qui le croisent, le voient pour la première fois, le ravalant d’un coup d’oeil à la restrictive étiquette de personne handicapée.

À l’aube de son 65e anniversaire de naissance – le 28 septembre – Claude Champoux s’apprête à retraiter de son travail chez Ébénisterie Hi-Tech à Saint-Christophe-d’Arthabaska où il oeuvrait depuis près de dix ans.

«C’est un homme d’exception», résume le président Jean-Sébastien Turcotte. «Mon champion, un modèle inspirant», affirme son collègue débiteur Daniel Lemay. «Un travailleur compétent, organisé, fiable et ponctuel», ajoute le directeur de production Ghislain Nolet. «Il démontre qu’il ne faut jamais se fier aux apparences», ajoute M. Nolet.

Et en apparence, M. Champoux marche en boitillant et son élocution est laborieuse. Il aurait pu vivre de prestations d’invalidité. Il n’en a jamais voulu. Pas plus que de la vignette des personnes handicapées.

«La polio? Tu vis avec!», répond-il.

Marcher à 5 ans

Il faut relire l’histoire pour se rappeler que des milliers d’enfants canadiens ont été affectés de cette maladie paralysante avant l’arrivée du vaccin en 1955. Certains ont été condamnés au fauteuil roulant, d’autres en sont morts.

Si elle se prévient, la polio ne se soigne pas. «Je ne connais pas d’autre personne qui, comme moi, en a été atteint et même mon médecin ne savait pas grand-chose de la maladie.»

Aîné d’une famille de sept enfants, M. Champoux n’était âgé que de deux semaines lorsqu’il a contracté le poliovirus.

Peut-être que de grandir sur la ferme laitière de ses parents à Saint-Adrien-de-Ham a contribué à inoculer cette force de caractère qui lui a fait traverser toutes sortes d’épreuves, la volonté, l’assurance et la confiance en soi. Il y avait, chez lui, des parents qui l’encourageaient et le stimulaient, le travail à la ferme… et la possibilité de se patenter des aides à la mobilité.

La polio attaquant les muscles de ses jambes, le petit Claude met du temps à marcher. «Je n’ai commencé à marcher qu’à 5 ans.» Et il se souvient que grâce à deux roues montées sur un essieu de carriole à chevaux il pouvait courir.

«Je chauffais un tracteur à 5 ans… et une auto à 8 ans!», ajoute-t-il.

À l’école, il ne se souvient pas d’avoir été discriminé ou intimidé. «J’étais malcommode et ratoureux», s’exclame-t-il en riant.

Il n’a pas poursuivi ses études au-delà de la moitié d’une première année au secondaire, prêt à donner son coup de main pour les travaux à la ferme familiale.

Une kyrielle d’emplois

Il en est parti à 17 ans pour occuper, pendant près de 50 ans, une kyrielle d’emplois. Il n’est resté que quelques mois à l’ancienne manufacture de bâtons de hockey des frères Mailhot rue Campagna à Victoriaville d’où il est parti un peu découragé d’avoir à monter et descendre un escalier comptant exactement 32 marches à plusieurs reprises dans la journée.

Il s’est attardé à la ferme de Martin Vachon dans le rang Desharnais, puis quelques mois à l’ancienne Snow Prince à Princeville. Les gens de Solide Fourniture de Chesterville l’ont fait travailler pendant quatre ans. Mais c’est chez Cuisines Bois-Francs qu’il est resté le plus longtemps, 20 ans. C’était avant la récession.

Il a trouvé un nouvel emploi chez Ébénisterie 116 où l’actuel propriétaire d’Ébénisterie Hi-Tech l’a connu… et recruté par la suite dans son entreprise.

Claude Champoux a choisi Saint-Christophe-d’Arthabaska comme lieu de travail et de résidence.

À l’ère numérique

À l’usine, il a d’abord travaillé au sablage, puis à la finition, particulièrement à la machine à encoller des bandes de chant.

Il y a trois ans, il a craint de ne pouvoir composer avec cette immense machine à contrôle numérique… lui qui n’a pas encore touché l’ordinateur de la maison.

Mais il a appris… et bien appris. Ces semaines-ci, il veille à l’entraînement d’une collègue qui lui succédera aux commandes.

Rencontré le 1er septembre, Claude Champoux prend la mesure du dernier mois de travail qui lui reste avant de retraiter. Il dit qu’il retraitera avec fierté et exprime sa gratitude à l’égard de ses patrons. «Ils m’ont toujours appuyé, m’ont aussi attendu quand j’ai été malade.»

Marié à Marguerite Paquette il y a près de 40 ans, Claude Champoux a eu, avec elle, à surmonter d’autres épreuves, le décès d’un de leurs deux fils. Et la sclérose en plaques pour celui qui reste. «Il se dit que si moi j’ai pu vivre avec la maladie, lui aussi peut le faire!»

Le futur retraité a encore du boulot en perspective, une salle de bain à réaménager dans sa maison et à effectuer du ménage sur sa terre à bois.

Ses collègues lui feront la fête et plusieurs s’entendent pour dire qu’ils regretteront sa présence respectueuse et souriante.