À 80 ans, il accroche ses ciseaux

Pierre Hamel a fait les cheveux pour la dernière fois de sa vie le vendredi 23 juin. Et c’est Luc Pelletier, client depuis 60 ans, son plus vieux, qui, pour l’occasion, a pris place sur la chaise du barbier. « Il a été mon tout dernier client. Il y avait des larmes, c’était émouvant », confie-t-il.

Âgé de 80 ans, Pierre Hamel vient de prendre sa retraite après une longue et belle aventure de 63 ans. Mais il avoue avoir souhaité continuer jusqu’à 85 ans, question de battre le record de Hervé Gagnon, le plus vieux barbier de Victoriaville. Mais certains signes au niveau de sa santé l’ont convaincu qu’il valait mieux se retirer.

Reste que le Victoriavillois a connu une carrière s’échelonnant sur plus de six décennies, une aventure marquée aussi par l’enseignement et un séjour de quelques années aux États-Unis.

Au fil des ans, Pierre Hamel a travaillé pour d’autres, mais il a aussi ouvert différents salons et procuré du travail à des coiffeurs et coiffeuses.

On pourrait aussi le qualifier de « barbier révolutionnaire ». On lui doit le premier salon sur rendez-vous, le premier salon avec des plantes à l’intérieur et le premier établissement unisexe qui accueillait tant les hommes que les femmes. « Mais aussi le premier salon non-fumeurs. C’était la révolution à Victoriaville », souligne-t-il.

Le début de l’histoire

Tout a commencé, se souvient Pierre Hamel, le 1er mai 1961. Il entreprend alors une formation de six mois à l’école de barbier Moreau de Montréal. La demande est grande à l’époque. Un coiffeur de Trois-Rivières le recrute un mois avant la fin de son cours. Sa formation terminée, il se retrouve dans la Cité de Laviolette où il y demeurera pendant trois ans.

Il revient ensuite dans son patelin pour y ouvrir, en mai 1964, son premier salon, le Figaro. Il embauchera Marcel Paris quatre mois plus tard. Les deux coiffeurs exerceront ensemble leur art jusqu’en 1976, moment où Pierre Hamel décide de lui vendre le salon pour s’exiler aux États-Unis avec sa femme Thérèse Potvin et son fils Luc.

Le séjour en sol américain durera quatre ans. Pour pouvoir exercer son métier, il a dû suivre une formation à Orlando. « Mais avec mes 16, 17 ans d’expérience, j’enseignais plus que j’étudiais », note-t-il.

Cette formation ne l’empêchait pas de continuer sa pratique puisque, chaque matin, il travaillait dans un salon de barbier d’une base militaire des forces aériennes. 

Contrairement à ce qu’on pourrait croire, non, ce n’était pas des coupes militaires au rasoir. « On faisait des coupes régulières. J’y ai œuvré 13 mois, le temps de faire mon cours et de réussir mes examens pour ensuite avoir le droit de travailler en coiffure. En 13 mois, précise-t-il, j’ai réalisé environ 15 000 coupes de cheveux, environ 50 à 60 par jour. »

Après la base militaire, avec son droit de pratique, Pierre Hamel a travaillé « au civil » dans un salon de coiffure unisexe.

Retour au bercail

Juin 1980 marque le retour de la famille à Victoriaville. Pierre Hamel repart à zéro en ouvrant son deuxième établissement, le Salon Pierre, au centre-ville. Il retrouvera environ 15% de ses anciens clients.

Un incendie, survenu dans l’immeuble en janvier 1992, l’obligera à déménager au printemps. « J’ai été chanceux, mon salon n’a pas subi de dommages par le feu, mais l’odeur de fumée persistait jusqu’à nous donner des maux de tête, à moi et à Louis Lamontagne que j’avais engagé à l’époque. On a travaillé ensemble 19 ans », raconte-t-il.

Le barbier Hamel ira occuper un nouvel espace, voisin du restaurant Plus du boulevard des Bois-Francs Sud, un salon unisexe, avec six coiffeurs et coiffeuses pour hommes et femmes. 

À cette période, fait-il savoir, le gouvernement accordait un soutien financier pour initier les coiffeurs à la coiffure pour dames.

« Un bon jour, j’ai reçu un coup de fil. On me demandait de dispenser des cours. Fort de mes 30 ans d’expérience, j’ai élaboré une formation et je l’ai présentée à la direction de l’école de coiffure de Plessisville, relate-t-il. On m’a dit que c’était parfait. C’est ainsi que j’ai enseigné les rudiments de la coiffure pour hommes à des coiffeuses pour dames. Aujourd’hui, ils enseignent les deux. »

L’idée du salon unisexe a donc pris de l’ampleur à partir de 1992. « Ça a amené

de la clientèle, fait remarquer Pierre Hamel. Les femmes disaient : mon mari va venir, les hommes la même chose. »

Le restaurant souhaitant s’agrandir, le coiffeur a dû fermer boutique trois ans et demi après son ouverture. Pierre Hamel change alors complètement de direction. Plutôt que d’ouvrir un autre salon, il décide de louer une chaise au Salon Diane coiffure au masculin. Il y restera pendant cinq ans jusqu’à la fermeture du salon.

Le coiffeur ramasse son matériel et se retrouve alors au Salon Yvon Labbé, voisin du Cactus.  « J’y ai travaillé quelques années jusqu’à ce le propriétaire du salon, au coin Bois-Francs Nord et Saint-Georges, m’appelle pour me dire qu’il prenait sa retraite et qu’il me verrait à sa place », souligne-t-il.

Pierre Hamel est allé avoir. Il s’est même assis au restaurant de l’autre côté du boulevard pour observer les gens, la clientèle. Et il a signé le bail avec le propriétaire. C’était il y a 16 ans, au début du mois de février 2007. Et jusqu’à sa retraite, l’homme y a accueilli sa clientèle, lui qui n’avait jamais travaillé seul de sa vie, lui qui avait toujours eu des gens autour de lui.

Un confident

Il faut l’aimer son métier pour le pratiquer pendant toutes ces années. Mais il faut surtout aimer les gens. « Ce que j’aimais dans ce métier,  c’est la chaleur humaine, le contact avec les gens. C’est ce qui va me manquer le plus », confie-t-il, ajoutant que les coiffeurs ont cette impression d’abandonner leurs clients.

D’autant, ajoute Pierre Hamel, que les coiffeurs deviennent bien souvent des confidents. « Je sais des choses sur des gens que d’autres ignorent », signale-t-il.

Il souvient d’ailleurs de la surprise qu’il a eue lorsqu’un homme, un professionnel, aujourd’hui décédé, lui a confié qu’il était alcoolique. « J’ai été surpris. Il avait besoin de le dire à quelqu’un. J’étais son coiffeur depuis une quinzaine d’années.  On devient des confidents, des amis…C’est spécial quand même. »

Interrogé à savoir s’il avait eu envie de faire autre chose à un certain moment, Pierre Hamel répond qu’il a travaillé cinq ans dans une usine à Drummondville, tout en continuant, le matin, à exercer son métier de coiffure.

Un métier qui l’a amené aussi à jouer le rôle de juge lors de compétitions de coiffure entre écoles et d’évaluateur lors des examens de coiffure.

Un truc aussi, dont il est fier, c’est sa contribution à un ouvrage il y a une quinzaine d’années.  « On a refait le livre d’enseignement de la coiffure. L’ouvrage qu’on avait était incomplet, des notions manquaient. Avec les photos, je démontre les mouvements appropriés. J’ai fourni les explications à une coiffeuse qui s’affairait à la rédaction. J’en suis bien fier », exprime-t-il, notant que le document a fait du chemin, son frère alors directeur du Cégep de Sorel-Tracy découvrant avec surprise la participation de son frangin à l’ouvrage.

Pierre Hamel tient à remercier sa conjointe Thérèse qui l’a accompagné durant toutes ces années. « Elle me demandait toujours : à quelle heure tu viens dîner? Je lui répondais : entre et quart et moins quarts. »  C’était l’époque des sans rendez-vous.

Il adresse également ses remerciements à son fils Luc Hamel « pour sa grande générosité et à sa compagne Cynthia qui nous a donné deux belles grandes filles, Emmy et Livia ».

Pierre Hamel vit maintenant sa nouvelle vie de retraité. Toujours actif, il continuera à jouer au Club de golf des Bois-Francs à Princeville avec ses partenaires des dernières années.

Le ski alpin le passionne aussi, de même que le vélo. Matinal, il profite de ses journées. « Je me lève à 5 h 30. Je trouve ça beau le matin… »