Une histoire de fierté et d’amitié

VICTORIAVILLE. On pourrait dire que Rolland Beaudoin a transplanté sa fierté d’agriculteur de Sainte-Élizabeth à Victoriaville. D’une terre de 1000 acres à un terrain de 600 pieds carrés. Son luxuriant potager d’où sortent d’exubérants légumes fait des envieux ou des jaloux, c’est selon. «C’est pour le plaisir de les voir pousser et parce que c’est plaisant de venir cueillir sa tomate ou son concombre», dit-il lorsqu’on lui demande pourquoi il persiste à jardiner.

À l’aube de ses 90 ans – il les aura en novembre -, M. Beaudoin a cependant bien failli renoncer à bêcher son annuel jardin le printemps dernier. Marcel Lavoie, son nouveau voisin, l’en a dissuadé.

Retraité depuis 15 ans de la Société de financement agricole Canada, M. Lavoie s’est installé dans un condo à quelques pas de la résidence de M. Beaudoin.

Les deux hommes se connaissent, puisque l’octogénaire fréquentait la bleuetière qu’exploitait M. Lavoie à Saint-Christophe-d’Arthabaska jusqu’à l’an dernier. Le vieil homme cueillait de pleines chaudières de bleuets… qu’il congelait entiers ou en «bouette» comme il dit.

Durant trois décennies (entre 1947 et 1980), dans le rang 12 de Sainte-Élizabeth, Rolland Beaudoin et son épouse Irène Laroche ont exploité la ferme Beaudoine, là où sont d’ailleurs nés leurs onze enfants (des jumeaux n’ont toutefois pas survécu).

Là-bas, c’est son épouse qui s’occupait du potager, l’agriculteur s’affairant aux champs et à l’élevage de porcs, de poules, puis de vaches, un troupeau de 200 têtes Holstein, dont 85 vaches laitières.

Le couple a vendu la ferme à des Belges (qui l’ont vendue à des Suisses par la suite) en 1980, achetant trois terrains à Victoriaville et construisant la maison où il habite toujours.

Des leçons et des secrets

À la main, M. Beaudoin a désherbé chaque pied carré de son potager le circonscrivant de bois traité.

Et se rappelant les enseignements du vieil agronome Côté aux Fermières, il y a épandu quatre voyages de fumier de vache et quatre autres de terre noire. Les mains en porte-voix, M. Beaudoin imite l’agronome qui, dans les années 1940, recommandait aux Fermières : «Mettez de la marde, mettez de la marde», leur disait-il.

Des recettes, des trucs, Rolland Beaudoin en a tout plein pour faire pousser des pommes de terre qui pèsent jusqu’à deux livres et des tomates de deux livres et demie. «Des plants comme ça vous n’en verrez nulle part!», affirme M. Beaudoin montrant ses plants de pommes de terre de trois pieds de hauteur… et ses pieds de tomates solidement attachés parce que déjà lourdement chargés de fruits.

Pas adepte de la culture bio – «je n’ai rien contre!», précise-t-il -, faisant fi du concept de «compagnonnage», il choisit des plants de tomates indéterminés et caresse d’une plume leurs fleurs avant l’arrivée des abeilles et des bourdons. Il parlera des gourmands, des vrais et des faux et des concombres femelles.

Et il racontera qu’un jour, le 13 juillet 1988, au mariage de l’une de ses filles, tout le monde avait sursauté en entendant ce qu’on avait d’abord pris pour une détonation de fusil. «Ce n’était pas un coup de fusil, c’était un chou qui avait éclaté!»

Marcel Lavoie, pourtant technologiste agricole de métier, dit qu’il lui faudra consigner les conseils de son vieil ami, si propre, astucieux et organisé.

Lui ayant promis son aide, le nouveau septuagénaire vient chez M. Beaudoin tous les jours… pour constater qu’il a pratiquement abattu tout le boulot. «Je l’ai aidé à semer, mais après, c’est lui qui a fait le gros du travail.»

On ne voit pas une mauvaise herbe dans ce potager. «Je suis allergique aux arbres!», dit M. Beaudoin, montrant une petite fourche à trois dents avec laquelle il flatte la surface du sol… juste pour l’aérer. «Et je me rends compte qu’il repasse derrière moi quand il se rend compte que je l’ai trop tapé», dit Marcel Lavoie.

En réalité, M. Lavoie sert davantage de support moral au vieux jardinier. Tantôt pour l’encourager, tantôt pour réfléchir avec lui sur les moyens de traquer ce «siffleux» qui s’est amouraché des carottes et des fèves ou pour redonner du pep aux plants de tomates. «On s’est rendu compte qu’ils manquaient d’eau!»

Et parce que les deux hommes ont évolué dans le milieu agricole du «comté d’Arthabaska» pendant tant d’années, le potager devient un lieu d’échanges… de souvenirs.

De Rolland Beaudoin, Marcel Lavoie dit qu’il est orgueilleux. Le jardinier lui réplique qu’il est fier plutôt. Et, jetant un regard vers son Irène avec laquelle il est marié depuis 69 ans, il lance : «On a toujours été fiers de ce qu’on fait!»