Protection de l’eau : des municipalités réclament des normes plus sévères

WARWICK. D’ici le 20 décembre, des militants du Regroupement vigilance hydrocarbures Québec (RVHQ) inviteront les municipalités à réclamer de Québec une dérogation à son nouveau Règlement sur le prélèvement des eaux et leur protection (RPEP), afin de pouvoir, sur leur territoire, en resserrer les normes. Une quarantaine de municipalités auraient déjà accepté d’entreprendre cette démarche collective.

Le biologiste et porte-parole du RVHQ – lequel regroupe 26 comités de citoyens – , Jacques Tétreault, était à Warwick jeudi soir pour traiter des incidences de ce Règlement que le gouvernement du Québec a adopté en août dernier sur la protection des sources d’eau potable.

Un Règlement «mou»

Devant une trentaine de personnes, parmi lesquelles se trouvaient quelques élus de Warwick (dont le maire Diego Scalzo) et de Tingwick notamment, il a passé au crible quelques articles du Règlement qu’il a qualifié de «mou» et de «cosmétique», adopté à toute vapeur, sans attendre des études pourtant commandées sur tout le dossier des hydrocarbures. Il demeure toutefois dubitatif quant aux résultats de ces études, dont il prédit qu’elles ouvriront la porte à des projets d’exploration d’hydrocarbures.

Aux yeux de M. Tétreault, ce Règlement, surtout ses dispositions concernant les distances séparatrices et la profondeur des forages, ouvre carrément la voie aux travaux à Anticosti. «Et on est pressé de percer à Gaspé!», a-t-il déclaré.

Le gros de sa conférence s’est appuyé sur l’analyse critique du Règlement qu’en ont faite en août le biophysicien, Marc Brullemans, l’ingénieur et géologue Marc Durand, le juriste et sociologue Richard E. Langelier, la biologiste Céline Marier et l’ingénieure et hydrogéologue Chantal Savaria. Le titre de leur analyse résume leur conclusion : «Règlement sur le prélèvement des eaux et leur protection où comment sacrifier l’eau potable pour quelques gouttes de pétrole». Il est disponible au https://enjeuxenergies.files.wordpress.com/2014/08/texte-5-experts.pdf.

Avec ce Règlement, le gouvernement a retiré aux municipalités tout pouvoir de protéger leurs sources d’eau potable dans le cadre d’une exploitation gazière ou pétrolière, a souligné d’emblée le conférencier.

«Restez vigilants»

Malgré cela, il croit que les citoyens et les municipalités ont tout intérêt à se liguer en demandant une dérogation collective et à faire preuve de solidarité, surtout pour pouvoir, dans leur cour, augmenter les distances séparatrices d’éventuels puits de forage. Le Règlement prescrit une distance de 500 mètres entre un puits de forage et un site de prélèvement d’eau pour la consommation humaine ou la transformation alimentaire. Rien n’est prévu pour protéger les sources d’eau servant à abreuver les animaux, a indiqué M. Tétreault.

Les municipalités devraient faire preuve de solidarité entre elles, même si leur territoire ne fait pas nécessairement partie d’un territoire potentiellement exploitable. Entre celui de Warwick assise sur un claim de l’entreprise Molopo et Tingwick qui se trouve en zone «blanche», les impacts d’une exploitation pétrolière ou gazière sur la nappe phréatique de Warwick pourraient, un jour, se répercuter jusqu’à celle de Tingwick, a laissé entendre M. Tétreault.

Il a dit qu’on faisait face à un gouvernement qui a démontré son intérêt à développer l’industrie des hydrocarbures malgré tous les signaux que s’évertuent à lancer les scientifiques depuis 25 ans. «On a brûlé, en 100 ans, ce qui a mis 300 millions d’années à se former. On est prêts à cochonner le sous-sol plutôt qu’à utiliser les gaz qui s’évaporent derrière les bâtiments de ferme.»

Ses propos sur le peu d’efforts investis pour développer des solutions vertes comme la biométhanisation ont choqué un ex-producteur agricole. Il a reproché au conférencier de ne présenter qu’un revers de la médaille concernant les gaz de schiste. Il a aussi fait valoir que pour qu’elle soit rentable la biométhanisation nécessiterait que l’entreprise agricole ait une taille industrielle, ce qui va à l’encontre des principes de l’agriculture biologique.

Ayant lui-même été agriculteur, fondateur de la Fédération d’agriculture biologique du Québec, M. Tétreault a donné raison au retraité, disant qu’effectivement, les gouvernements étaient trop peu enclins à soutenir le développement des énergies vertes. L’esprit de solidarité ne se développe malheureusement que lorsqu’on se retrouve dans la bouette, a-t-il ajouté.

Malgré ses sombres pronostics, le conférencier a invité les citoyens et les municipalités à se mobiliser, à sensibiliser les députés, à continuer de faire circuler le formulaire de refus d’accès au territoire d’une municipalité adressé aux gazières, à inciter les propriétaires à signer la lettre de non-consentement à des travaux de recherche de pétrole et de gaz naturel.

Tout cela, explique-t-il, contribue à démontrer que l’expansion du développement de l’industrie des hydrocarbures n’obtient pas le sceau de l’acceptabilité sociale. Il admet qu’il est difficile de garder la flamme de la vigilance allumée ces temps-ci alors que le dossier gaz de schiste est plutôt «tranquille» depuis deux ans et que le prix du gaz a baissé.

Extrait du document «Règlement sur le prélèvement des eaux et leur protection où comment sacrifier l’eau potable pour quelques gouttes de pétrole»

«Il nous semble cependant évident que le gouvernement a tellement hâte d’encadrer officiellement l’exploitation des hydrocarbures de roche-mère, ce qui ne se fait qu’avec une technique de fracturation, qu’il choisit de commencer à le faire ici par le biais d’un règlement qui n’a pas fait l’objet d’un examen parlementaire, sans même un réel et étendu débat public, sans attendre la future loi sur les hydrocarbures, ni même les recommandations du BAPE qui porteront sur l’emploi de la fracturation hydraulique dans l’Utica, ainsi que sur la pertinence d’exploiter par cette technique le shale dans l’île d’Anticosti.»