Partie prenante de la décarbonation du transport maritime

Depuis deux ans, l’ingénieur belge Simon Delvoye bosse pour l’entreprise française Zéphyr & Borée qui conçoit et exploite des navires de commerce innovants pour réduire les émissions de carbone dans le transport maritime. Elle fait office de pionnière du transport à voile.  Et ses efforts se voient maintenant couronnés de succès.

À l’origine de la construction de Canopée, le premier cargo à voile, un navire de 121 m pour ArianeGroup et dédié au transport du futur lanceur de la fusée Ariane 6, voilà que l’entreprise a récemment décroché un important contrat en vue de la construction d’une dizaine de porte-conteneurs propulsés par le vent pour le projet de liaison maritime décarbonée entre l’Europe et l’Amérique de l’Association des chargeurs, du réseau professionnel France Supply Chain, et de l’Association des utilisateurs de transport de fret (AUTF).

Rencontré à la résidence de son beau-père qu’il occupe à Saint-Rosaire depuis septembre 2021, Simon Delvoye raconte qu’au tout début de l’aventure, les fondateurs de Zéphyr & Borée ont fait face au scepticisme. « C’est un ami d’enfance, un officier de marine marchande, qui a créé cette entreprise, avec deux amis, disant vouloir mettre des voiles sur des cargos. C’était il y a une dizaine d’années. Tout le monde a alors un peu rigolé, raconte-t-il. Tous les trois, malgré tout, ont quand même poussé ce projet à fond. »

Ils n’avaient pas dit leur dernier mot. Il y a environ cinq ans, les trois comparses ont répondu à cet appel d’offres pour la construction d’un bateau pour ArianeGroup. « Mes collègues y ont répondu avec un projet de bateau à voiles, alors que ce n’était pas dans le cahier de charge. Personne alors ne voulait de voiles à ce moment. Ils ont eu du culot et ont remporté l’appel d’offres, souligne Simon Delvoye. Le bateau actuellement en construction en Pologne a été récemment mis à l’eau. Il reste encore un peu de finitions à faire, mais l’an prochain, il va naviguer et ce sera le premier vrai cargo à voiles moderne. »

Certes, il en existe des bateaux auxquels on a ajouté des voiles par la suite.  Mais avec Zéphyr & Borée, à l’origine, c’est un bateau à voile que l’on conçoit. « C’est le premier conçu par des architectes en pensant au fonctionnement à voiles, ce qui comporte beaucoup d’éléments. L’hélice est différente, les moteurs et la coque sont différents. Tout est pensé de façon différente. C’est donc le premier pensé de la sorte », mentionne Simon Delvoye.

Baptisé Canopée, le navire est un projet réalisé en partenariat avec Jifmar Offshore Service et VPLP design. Pour sa construction et son exploitation, ils ont créé une coentreprise (joint venture), Alizés.

L’équipe

Simon Delvoye fait partie d’une équipe comptant une douzaine de personnes actuellement, mais l’ajout de personnel deviendra nécessaire. « Dans l’équipe, beaucoup sont issus du secteur maritime. Nous sommes deux ingénieurs, dont moi, et Rémi qui s’occupe de la partie des moteurs. Car, oui, on en conserve dans les bateaux. Moi je m’occupe de tout ce qui est voiles et du projet global du bateau. Mon travail n’est pas de concevoir, mais de coordonner ce que tout le monde fait, et de faire les choix techniques », explique-t-il.

« Le gros du travail qu’on fait, ajoute-t-il, c’est essayer de trouver d’autres projets, de trouver d’autres clients pour fabriquer d’autres bateaux. Mon collègue du secteur commercial tente de dénicher des appels d’offres et des clients. Et mon travail consiste à coordonner des études pour proposer un bateau cohérent. Ce qu’on fait, nous, ce n’est pas de l’architecture navale. On ne dessine pas de bateaux. On n’en construit pas. Nous sommes vraiment destinés à être une compagnie maritime, à avoir nos bateaux, à les exploiter pour transporter des marchandises pour d’autres. C’est ça le but. »

Avec les normes environnementales de plus en plus sévères et les coûts défrayés par les entreprises pour les émissions de carbone, le transport à voile prendra de l’expansion.

Leur travail

Les gens de Zéphyr & Borée travaillent principalement sur les porte-conteneurs et sur les RoRo dans lesquels on entre par une rampe, comme un traversier. Le chargement ne se fait donc pas à l’aide d’une grue, observe Simon. « On travaille sur ces deux types de bateaux, beaucoup sur les porte-conteneurs qui vont de 85 m à 185 m », précise-t-il.

Simon Delvoye se dit emballé par les défis que lui procure son travail. « Ce qui est stimulant, c’est que tout ce qui est voile sur un cargo est nouveau. Beaucoup d’acteurs développent des solutions de voile. Et les voiles pour cargo, ce n’est pas le type de tissu qu’on voit sur les petits voiliers. Il existe diverses technologies, mais rien n’est encore très mature encore. Nous, on doit regarder ce qui se fait, mais ce ne sont encore que des prototypes. Il nous faut regarder, analyser, réaliser des études pour être certains que ça va fonctionner comme on veut. C’est beaucoup d’inconnu, mais c’est aussi ça qui est excitant », exprime-t-il.

L’ingénieur fait remarquer aussi que chaque projet est différent. L’entreprise considérera les besoins du client. « On répond à des appels d’offres d’entreprises qui veulent transporter des trucs entre deux lieux. Ils souhaitent par exemple, qu’on ait un départ à intervalle régulier, genre toutes les semaines, tous les mois, une régularité quoi. Eux vont s’engager à transporter une quantité de marchandises sur une durée, une période de temps. Exemple, je veux expédier 1000 conteneurs toutes les semaines pendant 10 ans aux États-Unis. Et nous, en fonction d’un tel engagement, on peut faire construire un bateau », illustre Simon Delvoye tout en avouant qu’il n’y a pas de recette magique s’appliquant à toutes les situations. « Tout dépend aussi de la route qu’on emprunte, dit-il. Certaines se retrouvent avec peu de vent, d’autres avec un vent toujours de face. Même le système de voile va dépendre de la route et de la vitesse qu’on veut faire. »

L’action de Zéphyr & Borée vise la réduction des émissions de carbone dans le transport maritime. Il existe, pour ce faire, trois façons : une vitesse réduite, l’utilisation du vent et un carburant propre. 

La réduction de la vitesse de 20 à 12 nœuds, par exemple, permettrait une forte diminution des émissions à la tonne transportée, fait remarquer M. Delvoye.

Et puis, l’utilisation du vent et de voiles constitue un autre moyen contribuant à réduire l’utilisation du moteur. « On ne fait pas 100% voilier, signale-t-il. On utilise toujours le moteur. Nos voiles représentent entre 30 à 60% de la propulsion selon les bateaux. »

Mais il y a aussi les carburants alternatifs, comme le méthanol et l’ammoniac, qui émettent moins de CO2. « On pourrait réaliser un bateau neutre en carbone avec l’ensemble de ces paramètres. D’ailleurs, nous travaillons sur les trois éléments, pas seulement sur les voiles, car tout est un peu lié. Il faut voir que plus on va vite en bateau, plus on crée notre propre vent de devant et moins les voiles vont fonctionner correctement », fait-il savoir.

Ces derniers mois, Simon Delvoye a beaucoup travaillé à distance, en télétravail depuis Saint-Rosaire. Il quittera plus tard en août pour un séjour de deux mois en France afin de travailler avec les équipes en place. Il sait d’ailleurs que son travail l’amènera fréquemment en sol français.

Parce que les projets ne manquent pas. D’ailleurs, l’entreprise travaille notamment au développement d’un bateau utilisant les voiles pratiquement à 100%, et d’une capacité de 100 conteneurs, pour le transport des épices bio de la compagnie française Arcadie.

La piqûre de la navigation

Voir Simon œuvrer dans le monde maritime n’est sûrement pas étranger à son amour de la navigation qu’il a éprouvé tôt dans sa vie. « Quand j’étais jeune, en Belgique, relate-t-il, mon père a construit un bateau et nous sommes partis en bateau faire le tour du monde pendant cinq ans en famille avec mes frères et sœurs. »

Lors de vacances au Québec, il a rencontré celle qui allait devenir sa conjointe et la mère de sa fillette, Marie-Andrée, fille d’André Morin, l’homme notamment derrière le développement du domaine du Tour-de-l’Île à Daveluyville. « En 2012, nous avons tous deux navigué pendant deux ans », se remémore-t-il, avouant que le bateau lui manque. « C’est une piqûre. Oui, on aimerait bien repartir un jour », confie-t-il.