Loi sur le divorce : le sénateur Dalphond invité par le Barreau d’Arthabaska

C’est le parrain même du projet de loi C-78 réformant la loi sur le divorce, le sénateur Pierre J. Dalphond, qui a entretenu sur le sujet une cinquantaine de membres du Barreau d’Arthabaska, vendredi, à l’occasion d’une activité de formation virtuelle.

D’entrée de jeu, la bâtonnière Me Ann Marie Prince a présenté l’homme qui, après avoir pratiqué en droit des sociétés et des affaires, a été nommé juge à la Cour supérieure du Québec en 1995, puis à la Cour d’appel en 2002. « Il a rendu des jugements marquants en matière de partage des responsabilités parentales, en droits linguistiques, liberté d’association et d’expression, droits ancestraux, séparation des pouvoirs, action collective et abus de procédures. Depuis juin 2018, il est membre du sénat où il a parrainé le projet de loi C-78 réformant la loi sur le divorce », a souligné Me Prince.

Le sénateur, a-t-il reconnu, n’était aucunement familier avec le droit de la famille jusqu’à sa nomination à la Cour supérieure. « La magistrature a été pour moi la découverte du droit familial, un droit chargé d’émotions. Je pense qu’il s’agit du secteur du droit le plus difficile puisqu’il faut accompagner des gens qui sont souvent dans les crises, des gens vivant un drame humain le plus important de leur vie au sujet souvent de leurs propres enfants. Il nous faut les accompagner, les amener lentement mais sûrement vers une solution », a-t-il fait valoir.

La loi de la réforme sur le divorce se trouvait à l’ordre du jour à son arrivée au Sénat en 2018. Il s’y est intéressé rapidement et s’est même retrouvé parrain du projet de loi. 

Cette réforme, souhaitée depuis des années, a-t-il rappelé, était essentielle parce que la société québécoise, comme le reste du Canada, a évolué. « Et les modèles familiaux ont beaucoup changé », a-t-il noté, tout en exposant certaines statistiques. « Ce qu’on a découvert aussi, comme réalité changeante, c’est que les pères sont plus présents qu’ils ne l’étaient », a souligné le sénateur.

Modifications 

Plongeant dans les modifications apportées à la loi, Pierre J. Dalphond a expliqué que des changements ont d’abord été apportés à la terminologie. « On a remplacé toute cette idée de garde, de droit d’accès, car cela implique trop souvent l’idée d’un gagnant et d’un perdant. Ça fait longtemps qu’on suggérait de changer la terminologie pour diminuer les tensions », a-t-il signalé, ajoutant qu’il était désormais question de temps parental, de responsabilités et d’obligations parentales. 

La loi, a-t-il dit, est aussi plus détaillée que l’ancienne, notamment pour l’intérêt de l’enfant et sa définition. « L’originalité de la loi, c’est qu’on a défini l’intérêt de l’enfant. Pour le protéger, le législateur stipule qu’il faut garder l’enfant à l’écart du litige. On en a fait une obligation, a indiqué le sénateur. Tout doit se faire dans le meilleur intérêt de l’enfant. On ajoute une disposition voulant que le tribunal accorde une attention particulière au bien-être et à la sécurité physique, psychologique et affectif de l’enfant. On va plus loin avec un ensemble de facteurs précis à considérer, comme une check-list pour rappeler au juge tous les éléments dont il doit tenir compte. »

Si la loi n’apporte aucune présomption en faveur d’un modèle ou d’un autre concernant la répartition de temps parental, en revanche de nouveaux points importants doivent être considérés : la présence de violence familiale et de ses effets, ainsi que la présence de toute ordonnance, condition ou mesure de nature civile ou pénale. « Si l’intérêt de l’enfant constituait le premier chapitre de cette réforme, le deuxième, c’était de s’attaquer à la violence familiale, une réalité méconnue, souvent cachée et qui affecte grandement les enfants », a confié le parrain de la loi, tout en ajoutant que « la violence familiale pendant la vie commune est un indicateur très fort du danger le plus élevé qu’il y ait un féminicide par la suite ».

La méconnaissance du phénomène a mené à de malheureux jugements, dont a fait mention le sénateur. « Des jugements qui disaient des choses surprenantes, c’est pourquoi le législateur s’y est attaqué. » 

On a vu notamment des droits de garde accordés malgré des gestes de violence, malgré un refus de suivre une thérapie, malgré la peur évoquée par la femme craignant un drame familial. « Dans un autre cas, le tribunal  a estimé que les enfants n’ont pas été affectés par la violence. C’est là une totale méconnaissance de ce que les études sociologiques démontrent. Les enfants sont automatiquement affectés par cette violence. Ils en sont même témoins dans les deux tiers des cas. C’est cela qu’on a voulu changer », a soutenu le sénateur Dalphond.

Aujourd’hui, la situation a évolué. Désormais la violence familiale est au cœur de la formation. « Pour aider les juges et les avocats  à reconnaître la violence et à agir en conséquence, on a défini ce qui constitue la violence familiale dans la loi.

On a aussi élaboré une liste de facteurs additionnels à considérer lorsqu’il y a présence de violence », a-t-il mentionné.

Sans qu’ils ne deviennent des travailleurs sociaux ou des psychologues, le sénateur a invité les avocats à demeurer alertes dans le dépistage de la violence tout en leur rappelant l’existence d’outils. « Il faut faire des entrevues, il y a des modèles de questions à poser. Il y aura aussi de la formation offerte gratuitement. C’est important pour chacun de vous qui pratiquez en droit familial de poser des questions, de vous sensibiliser aux antécédents de violence familiale, de comprendre que les victimes subissent un traumatisme continu qui les rend souvent incapables de voir l’avenir autrement, de décider par elles-mêmes. Elles sont tellement diminuées psychologiquement. Trouvez des espaces de communication, des modalités pour le processus qui permettra de sortir de ce cycle et mettre fin à l’agression. Et rappelez-vous, s’il y a de la violence familiale, les possibilités sont multipliées de façon significative que la personne risque d’être agressée ou tuée », a-t-il insisté.

Sur une note positive, les amendements à la loi ont porté fruit, ses effets s’observent dans de récents jugements. Le sénateur a cité le cas d’une juge qui a condamné un homme au paiement de dommages pour la violence infligée durant la vie commune, ajoutant même des dommages punitifs.

Un jugement de la Cour du Québec, cette année, a-t-il relevé, fait valoir que « la tragédie de la violence familiale ne peut plus être sous-estimée, les médias y ont porté attention, c’est un phénomène maintenant qui est important et qui a des impacts terribles sur les femmes et qui se produit dans tous les milieux de vie, toutes les classes sociales y sont exposées. On ne peut sous-estimer que ça existe, ça existe partout. »

Le sénateur Dalphond a aussi traité de déjudiciarisation et de la favoriser, si cela convient. « La médiation et des mécanismes de règlement autres appropriés aux affaires familiales méritent d’être encouragés. On a donc une définition ajoutée à la loi concernant la médiation familiale. Il y a obligation pour les conseillers juridiques, avocats et notaires, de discuter avec leurs clients de la possibilité d’utiliser des mécanismes alternatifs. C’est devenu une obligation légale. Il y a cependant des limites aux mécanismes de règlement des différends familiaux. C’est toujours du cas par cas », a-t-il spécifié.

Traitement judiciaire des dossiers

En deuxième partie de formation, la bâtonnière a invité une collègue, Me Maude M. Tessier, procureure aux poursuites criminelles et pénales, à prendre la parole et à expliquer le traitement judiciaire des dossiers de violence conjugale.

Avant de joindre le bureau du Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP) de Victoriaville, Me Tessier a œuvré dans ceux de Joliette, Shawinigan et Laval où elle s’est spécialisée dans le traitement des dossiers en matière de violence conjugale.

Sa présentation visait à expliquer le rôle et les responsabilités du procureur aux poursuites criminelles et pénales au niveau de l’accompagnement judiciaire auprès des victimes, mais aussi du processus décisionnel.

« Pendant des années, on a considéré la violence conjugale comme relevant de la sphère privée, alors que dans les faits, c’est un problème sociétal qui est l’affaire de tous », a souligné la procureure, précisant  que depuis plus de 30 ans, les efforts gouvernementaux se multiplient pour réduire la tolérance sociale et  affirmer le caractère criminel de la violence conjugale.

Dans son allocution, la procureure aux poursuites criminelles et pénales a expliqué le processus judiciaire, de l’arrestation d’un individu jusqu’à la peine imposée.

Me Tessier a aussi fait état, entre autres, du pouvoir décisionnel et de l’autonomie professionnelle dont dispose un procureur qui doit cependant s’appuyer sur des directives. « Une analyse objective d’un dossier se fonde sur deux grands critères : la suffisance de preuve et l’opportunité d’engager une poursuite », a-t-elle énoncé, ajoutant que pour déposer des accusations, un procureur doit avoir une perspective raisonnable de condamnation. Et cela nécessite de considérer l’ensemble de la preuve, d’apprécier la fiabilité du récit et d’analyser les moyens de défense pouvant être soulevés.