Jean Duval : la retraite pour un passionné de l’agriculture bio

À la tête du Centre d’expertise et de transfert en agriculture biologique et de proximité (CETAB+) du Cégep de Victoriaville, Jean Duval, devenu agronome en 1989, a tiré sa révérence à la mi-février après une carrière de 33 ans.

Le côté bio, confie-t-il, s’est pointé tôt dans sa vie. « Ma motivation, au départ, c’était qu’on se passe des pesticides. Surtout les pesticides qui ne se dégradent pas dans l’environnement, qui s’accumulent. C’était ma motivation profonde. Évidemment, le bio, c’est plus que ça. Mais à la base, il s’agissait pour moi d’alternative aux pesticides. » L’aspect biologique l’a donc toujours attiré, même s’il n’a pu en vivre à temps plein avant 2003. « Lors de mes 10 premières années, je m’occupais d’un centre de documentation à l’Université McGill en agriculture bio en plus d’effectuer des inspections sur les fermes bio de 1996 à 1999 », se remémore-t-il. L’enseignement l’a aussi occupé dans les années 1990.

De ses années à McGill, Jean Duval se souvient de ce projet pour une agriculture biologique fondé en 1974 par Stewart Hill, un professeur qu’il admirait beaucoup. « Il était connecté avec tout le monde sur la planète intéressé par l’agriculture biologique. C’était vraiment fascinant. Et j’ai eu le bonheur d’y travailler sept ou huit ans. C’était très intéressant parce que je savais vraiment tout ce qui se passait dans le domaine de l’agriculture bio. Pas juste ici, mais partout dans le monde », note-t-il. Puis, faute de financement, un déclin s’est amorcé, le prof est déménagé en Australie et Jean Duval s’est mis à faire autre chose.

Durant toutes les années 2000, il a œuvré en service-conseil en agriculture bio, couvrant un large territoire au nord de Montréal. « Il fallait faire à l’époque toutes les productions. Il était question de légumes, de petits fruits, des herbes médicinales et des grandes cultures », souligne-t-il, précisant qu’à ce moment, les agronomes spécialisés en bio n’étaient pas légion. Jean Duval évoque aussi des initiatives qui ont fonctionné une dizaine d’années, mais qui ont ensuite disparu par manque de financement, comme le Centre de développement d’agrobiologie à Sainte-Élizabeth-de-Warwick actif entre 1990 et 1999. Un centre d’agriculture biologique à La Pocatière a vécu pareille situation.

« Alors, quand le CETAB a été créé en 2010, les producteurs disaient souhaiter que ça puisse durer plus de 10 ans, que ça ne soit pas un feu de paille », rappelle-t-il. Aujourd’hui, le CETAB + demeure bien selle. C’est en 2011 que Jean Duval y a fait son entrée, comme chercheur d’abord, avant d’en devenir le directeur en 2016.

En croissance

Marginal au départ, le bio, même s’il n’a peut-être pas toujours obtenu le financement souhaité, a toujours été soutenu par le gouvernement. « Le Québec est la province qui accorde le meilleur financement pour l’agriculture biologique. On remonte au premier plan intégré en agriculture biologique (1989). Ils l’ont toujours soutenue, mais c’était alors quand même assez marginal. Aujourd’hui, observe-t-il, la croissance se fait grandement sentir depuis les 10 dernières années et encore plus depuis cinq ou six ans. »

Pour Jean Duval, même si ce n’est peut-être pas la solution à tout, le bio représente « certainement une voie intéressante pour les problèmes de changements climatiques, de pollution de l’environnement, de bien-être animal ». « Le bio répond aux volontés des citoyens et des gouvernements », fait valoir l’agronome en constatant tout le travail accompli avec les années et les progrès enregistrés. « C’est formidable tout le travail qu’on a fait, notamment en désherbage mécanique des cultures », signale-t-il, citant une ferme bio en Montérégie qui cultive 2400 hectares en bio. « Il faut que les méthodes de lutte aux mauvaises herbes soient au point pour cultiver une telle grandeur », fait-il remarquer.

Si tout semble relativement sous contrôle en matière de mauvaises herbes, le contrôle des maladies et des insectes ravageurs demeure un grand défi. « C’est plus difficile pour les cultures fruitières. Mais, souligne-t-il, pour la production en serres, les rendements sont aussi bons qu’en conventionnel, le contrôle des maladies et des ravageurs se fait bien en serres. »

L’importance de la recherche et du transfert

Ancien chercheur lui-même, Jean Duval est bien placé pour considérer l’importance de la recherche. Mais s’il convient d’investir dans la recherche, il est tout aussi important, plaide-t-il, de le faire dans le transfert, la transposition sur le terrain, dans le concret. « Souvent, dit-il, le transfert constitue le maillon faible. Au CETAB, on effectue de la recherche, mais on réalise beaucoup de transferts. Il se fait de très beaux projets de recherche un peu partout, mais ils restent sur les tablettes, alors qu’il faut les transposer dans la réalité. »

Sans vouloir discréditer les chercheurs qui font, précise-t-il, du bon travail, certains semblent davantage motivés, selon lui, à publier des articles scientifiques plutôt qu’à transférer, qu’à s’assurer que tout se rendre aux champs. 

Jean Duval se plaît bien à rappeler ce que le CETAB a développé, le modèle mère-fille. « C’est qu’on effectue un essai plus compliqué dans la station de recherche et on refait la même chose sur les fermes. Ça permet un transfert rapide, ça permet de valider en conditions réelles les choses qu’on peut trouver en recherche », explique-t-il.

Des projets de recherche, il y en aura toujours. « On ne finit jamais de chercher, il y a toujours des choses à creuser, surtout quand on veut comprendre », expose-t-il. Jean Duval se dit optimiste et apprécie ce qu’il constate, à savoir que le train de l’agriculture biologique est en marche et qu’il ne peut plus s’arrêter. « La croissance y est. Dans les universités, il se fait de belles choses, de même que dans les autres centres de recherche. Il s’y fait de beaux projets, tout comme au CETAB évidemment. »

Le bel accomplissement de l’INAB

Questionné sur ce qu’il retient de son passage au CETAB, sur ce qu’il considère comme sa plus grande fierté, l’agronome, établi à Saint-Rémi-de-Tingwick, répond que c’est d’avoir, avec l’équipe de direction du Cégep, mis en place l’Institut national d’agriculture biologique (INAB). « C’est vraiment un bel accomplissement réalisé un peu grâce au CETAB, exprime-t-il. Ça faisait plusieurs années que nous cherchions une terre pour créer un centre de recherche en agriculture bio. On avait des projets presque prêts dans nos cartons pour un centre de recherche, un bâtiment et tout. Quand l’opportunité s’est présentée, le Cégep n’a fait que prendre le plan pour le déposer dans le cadre d’un programme d’infrastructure fédéral. Nous étions prêts, on a obtenu l’argent. Tout s’est aligné. »

Jean Duval se dit satisfait de son parcours professionnel, de son passage au CETAB. « Le premier dirigeant Serge Préfontaine a fait office de pionnier, un fonceur, celui qui défriche. Moi j’ai été plus celui qui bâtit, qui développe. À mon arrivée comme directeur, le chiffre d’affaires du CÉTAB se situait à 1,5 M $. Il s’établit maintenant à 3 M $. Il y a eu beaucoup de développement, l’équipe a grandi, tant en recherche, qu’en service-conseil. Je suis content d’avoir amené le CETAB là où il en est actuellement », commente-t-il.

L’agronome retraité se réjouit de voir que le bio a de plus en plus la cote, que des producteurs réputés dans certaines régions se convertissent au bio, créant un effet d’entraînement. « Je vois aussi de beaux modèles de fermes, de très grosses fermes qui vont faire vivre une dizaine de familles sinon plus, qui vont permettre aux gens de prendre des vacances, aux intéressés de se spécialiser. Ce sont, je pense, des modèles comme ça, des modèles coopératifs, qu’on verra de plus en plus dans l’avenir plutôt que la ferme familiale où tout repose sur papa et maman sans relève. C’est du tue-monde », estime-t-il.

La retraite

Jean Duval ne cessera peut-être pas complètement son action en agriculture bio. « Je suis encore impliqué sur le comité des normes bio du CARTV (Conseil des appellations réservées et des termes valorisants). Je vais peut-être faire de l’inspection, de petits contrats, mais pas d’engagement à long terme », assure-t-il parce que l’agronome de formation est aussi musicien et il a à cœur bien des projets en musique.