Des outils pour raconter des histoires… et des métiers

SAINT-RÉMI-DE-TINGWICK. Badine de colonel à la main, Michel Benoît ne se lasse pas de raconter l’histoire de ce rabot, de cette varlope, de ce tomahawk pour femme, de cette hache en os qui daterait de 1500 ans avant Jésus-Christ. Et il y a ces pointes de plumes de Jean-Claude Royer, ce casque de sapeur de 1880, ces patins en cuir fin de Jaap Eden, la montre que portait Pierre Laporte au moment de son décès et cette équerre sortie tout droit de l’usine Ford!!!

Des histoires, il en aurait au moins entre 4 et 5 millions à raconter puisque c’est ce que recèle son immense collection d’outils et d’objets dont on peut voir une partie dans son Musée d’outils anciens à Saint-Rémi-de-Tingwick.

Ouvert depuis six ans dans ce qui a été l’école du village (entre 1962 et 1968), une usine de fabrication de meubles et le «Godzoo» de triste mémoire, le Musée est encore méconnu, déplore Estelle Robichaud, qui partage et la vie et la passion de M. Benoît. «Je m’ennuierais si je ne le faisais pas, il a toujours le nez dans ses livres!», dit-elle en riant.

Le Musée occupe les deux étages de l’ancienne école. Il serait l’un des plus importants musées d’outils manuels au monde, affirme le collectionneur, du moins le plus gros au Canada.

Avec l’aide de l’artiste Yvon Lazure, M. Benoît a créé des îlots pour regrouper les outils liés à différents métiers ou à des activités artisanales. Un peu plus de 80 métiers y sont représentés, certains existant toujours, d’autres ayant disparu.

L’outil, «ce prolongement de la main», rappelle la façon dont travaillaient le cordonnier, le ferblantier, l’ébéniste, le plombier, l’imprimeur, etc.

S’ajoutent, cet été, les instruments du dentiste, du médecin, du barbier. Instruments d’époque, évidemment. Comme dans ce musée qu’elle a visité en Australie, Estelle rêve du jour où dans ces cabinets on pourrait redonner vie aux objets, animer les instruments.

La collection de M. Benoît est si volumineuse qu’il peut se permettre de modifier l’aménagement de sorte qu’un visiteur pourrait s’y rendre été après été sans voir toujours la même chose.

Il faut au moins deux bonnes heures pour le visiter, estime M. Benoît. «Les gens ne s’aventurent pas jusqu’ici, croyant qu’ils n’en auront que pour cinq minutes.»

Il dit encore que, curieusement, le Musée accueille plus de femmes que d’hommes. Et elles se montrent curieuses, posant beaucoup de questions, ce qui fait plaisir au collectionneur. Et elles ne s’attardent pas qu’à la cuisine où s’étalent sur la table les pièces d’un service de vaisselle anglaise datant de plus de 110 ans.

Une vie de collectionneur

Originaire de Chambly, fils d’une famille de 26 enfants, Michel Benoît collectionne des outils depuis qu’il est adolescent. C’est à lui qu’a été remise cette hache de 1650 que son père avait trouvée dans la terre de Saint-Mathias.

Parfois, au lieu d’être payé en argent pour l’aide qu’il apportait aux voisins cultivateurs, le jeune Michel revenait avec des vieux outils, des «cochonneries» comme disaient ses frères.

Tôt, il a voulu savoir quand, comment, par qui a été fabriqué le vilebrequin, le rabot, le tournevis. À quoi sert et étrange instrument? «Je faisais mes recherches auprès des âgés.» Mais la mémoire vivante a ses défaillances, a-t-il constaté. Alors il a fouillé les catalogues, les ouvrages. Le Net lui est désormais utile ainsi que tous les contacts qu’il a créés avec le monde des collectionneurs.

Tuyauteur de métier, à la retraite depuis huit ans, il y a longtemps que M. Benoît cherchait une grande vitrine pour présenter sa collection. Il l’a enrichie au fil des ans en courant les encans au Québec comme ailleurs, les encans de maisons et de successions. Et ces encans américains où on vend 1000 morceaux en quatre heures!

Gardien de l’histoire

Il a acheté des outils, mais on lui en a donné aussi, les gens les lui confiant sachant qu’il les protégera.

Il avait ouvert un petit musée dans sa propre maison dans la région de Chambly. «Qu’est-ce que ça donne d’avoir une collection dans un garage si personne ne peut la voir?»

Trouver un lieu suffisamment grand pour exposer n’a pas été une mince tâche. C’est au cœur de Saint-Rémi-de-Tingwick qu’il a enfin pu trouver un endroit suffisamment vaste et à un prix abordable. Le hic, c’est que, au cœur du village de Saint-Rémi, le bassin de bénévoles n’est pas très grand, déplore le propriétaire. «Mais c’est si beau ici!», s’exclame Estelle, parlant du paysage.

À 65 ans, ancien champion de judo ayant porté le flambeau des Jeux olympiques de Montréal en 1976 (qu’on peut voir au mur), Michel Benoît explique que par ses outils, ses objets, ses artefacts, c’est la mémoire qu’il entretient, l’histoire qu’il préserve. «Ce sont ces outils qui ont façonné l’univers.»

Il dit que pour les plus âgés, la visite est un rappel de leur enfance. «Il y a de la nostalgie pour certains qui reconnaissent un outil dont se servait leur père ou leur mère.»

Sa collection se compose d’outils d’un peu partout. «Parce qu’on est un peuple d’immigrants. Tous les bateaux qui venaient et partaient d’ici étaient pleins d’outils.»

Le Musée est ouvert jusqu’à l’Action de grâces, du mercredi au dimanche de 10 à 17 heures. Les propriétaires peuvent recevoir des groupes, même des enfants à qui ils offrent la possibilité de participer à une sorte de rallye où on peut souffler une réponse. Non, ce n’est pas une maladie de collectionner!!! La clientèle scolaire serait bienvenue.

Les visiteurs peuvent s’attarder au Musée, y pique-niquer, mettre le nez, en passant, à la Fromagerie Du Charme, à la Jambonnière, au Sentier Les Pieds d’or. La Municipalité de Saint-Rémi s’apprête aussi à créer un sentier parsemé d’outils, à quelques pas de là.