Affaire Guillot : l’action collective déposée

Dans l’affaire des sévices infligés par le pasteur Claude Guillot de l’Église évangélique baptiste envers des enfants à Victoriaville et à Québec, une nouvelle page s’est ouverte, lundi, avec le dépôt de la demande introductive d’instance, soit l’action collective en Cour supérieure du Québec.

Le recours vise Claude Guillot, l’Église baptiste évangélique de Victoriaville, l’Église évangélique baptiste de Québec-Est et l’Association d’églises baptistes évangéliques au Québec (AEBEQ).

Deux demandeurs figurent à la demande. Marc Levasseur représente toutes personnes ou successions de personnes décédées ayant été victimes d’abus physiques et psychologiques de la part de Claude Guillot entre 1982 et 1984 alors qu’elles étaient mineures et qu’elles fréquentaient l’école La Bonne Semence de Victoriaville.

Jonathan Seanosky, lui, représente les victimes d’abus physiques ou psychologiques et de harcèlement sexuel entre 2000 et 2015 alors qu’elles étaient mineures et qu’elles fréquentaient l’école clandestine tenue par Claude Guillot à son domicile de Québec-Est.

Dans le document juridique de 34 pages dont le www.lanouvelle.net a obtenu copie, les demandeurs soulignent que leur action collective illustre « la dérive fondamentaliste qui a pris racine au sein du mouvement évangélique baptiste québécois, une dérive qui a fait de ce milieu un endroit dangereux pour les enfants où un agresseur a été protégé par des institutions de ce mouvement, au détriment des enfants qui, eux, méritaient d’être protégés ».

Les demandeurs font valoir que durant toute la période visée par le recours collectif, les défendeurs « ont enseigné et fait la promotion de méthodes éducatives dangereuses, notamment des châtiments corporels sur des enfants au moyen d’un objet contondant ».

À l’école La Bonne Semence, les « méthodes éducatives » autorisées, précise-t-on, incluaient toutes sortes de châtiments corporels, notamment des coups de palette de bois sur des enfants de tout âge.

Guillot, qui agissait comme superviseur et directeur de l’école La Bonne Semence entre 1982 et 1984, a été congédié en mai 1984 « parce qu’il était jugé trop extrême par l’Église Victoriaville », note-t-on.

Pour les demandeurs, « que Guillot ait été jugé trop extrême par l’Église Victoriaville alors qu’elle-même prônait de frapper des enfants aussi jeunes que 8 mois, illustre bien le caractère fanatique et dangereux de Guillot et permet de considérer l’horreur que les enfants qui lui ont été confiés au fil des années ont pu vivre ».

Les demandeurs déplorent que, malgré le congédiement, ni l’Église Victoriaville ni l’Association n’aient dénoncé les abus de Claude Guillot. « Au contraire, affirment-ils, elles ont continué de le soutenir et c’est même avec la bénédiction de l’Association que Guillot a été mis en place comme pasteur dès 1989 à l’Église évangélique baptiste de Québec-Est. »

Marqués à vie

Les sévices infligés aux enfants les ont marqués à vie. C’est notamment le cas pour Marc Levasseur qui a fréquenté entre l’âge de 4 et 6 ans l’école La Bonne Semence de Victoriaville.

Il a fait l’objet d’agressions physiques systématiques et répétées par Claude Guillot. Il a subi et continue de subir des séquelles importantes et durables, de la douleur, de la souffrance, de l’angoisse, une perte d’estime de soi, de la honte et de l’humiliation, sans compter des difficultés majeures d’attachements et de confiance aux autres. On lui a diagnostiqué un trouble de stress post-traumatique en lien avec les abus subis.

Jonathan Seanosky, pour sa part, a fréquenté, de l’âge de 5 à 15 ans, l’église-école de Guillot à Québec-Est et y a subi abus physiques, psychologiques et harcèlement sexuel.

Son passage chez Guillot a « brisé son âme », le pasteur, souligne-t-on, ayant irrémédiablement porté atteinte à sa santé mentale et à son estime de soi. Il a subi et dit subir toujours douleur, honte, souffrance et angoisse. Il a dû lutter et lutte encore contre des pensées suicidaires et présente des difficultés d’intégration sociale.

L’action collective demande à la Cour supérieure de condamner les défendeurs à payer 2 M $ à chacun des deux demandeurs, à savoir 500 000 $ pour compenser la douleur, l’angoisse, la perte d’estime de soi, la honte, l’humiliation et les nombreux inconvénients; 500 000 $ à titre de dommages et intérêts punitifs en raison de la gravité de l’atteinte intentionnelle à la dignité physique et psychologique dans un contexte d’abus de pouvoir et de confiance qui accompagnait les agressions répétées; et 1 000 000 $ à titre de pertes pécuniaires pour compenser la perte de capacité de gains, de productivité et les frais de thérapies passées et futures.

On demande aussi que tous les membres des groupes soient indemnisés pour tous les dommages pécuniaires et non pécuniaires subis.

Réparer les torts

Marc Levasseur a vécu, relate-t-il, une grande partie de sa vie en croyant être le seul à avoir subi les foudres de Claude Guillot. « Et je croyais que tout ce que j’ai subi, c’était de ma faute. Pourtant, je n’étais qu’un enfant », confie-t-il.

Entre 2013 et 2018, souligne-t-il, des événements lui ont fait prendre conscience de la nécessité de dénoncer Claude Guillot aux autorités, mais aussi la responsabilité des organisations baptistes. Mais c’est lors du procès criminel de Claude Guillot (reconnu coupable d’ailleurs de 18 chefs d’accusation et en attente d’une peine) que Marc Levasseur a saisi complètement l’ensemble de la relation entre le pasteur, l’association et les églises. « À partir de ce moment, il était clair pour moi, sans l’ombre d’un doute dans mon esprit, que toutes ces organisations sont responsables de ce que nous avons vécu. Je suis dégoûté de l’hypocrisie et du mensonge que ces pasteurs et dirigeants religieux m’ont servis avec arrogance. Je souffre et vis aujourd’hui avec les conséquences des agressions que j’ai subies par la faute de ces organisations », exprime-t-il, expliquant avoir entrepris en 2018 cette action collective avec le souhait que « notre société devienne une meilleure place pour y vivre et ces organisations ont besoin de réaliser le mal qu’elles ont commis, de le réparer et d’évoluer de sorte qu’elles deviennent des milieux positifs pour la société, sans danger pour les enfants ».

De son côté, Jonathan Seanosky se dit dégoûté de la complicité des organisations. « Je constate avec dégoût et incompréhension que ma vie aurait pu être bien différente si l’AEBEQ avait dénoncé Guillot aux autorités compétentes durant ces années, commente-t-il. Pour moi, il est clair que tout ce que j’ai subi à Québec aurait été évité si les personnes responsables avaient fait leur devoir. J’ai de la difficulté à comprendre comment autant de personnes, qui sont censées représenter le bien et la justice, ont pu fermer les yeux sur autant d’injustices et faire preuve d’autant de malhonnêteté. Même si c’est dur à accepter, je comprends mieux comment Guillot a pu agir avec autant d’assurance et d’arrogance à Québec. »