Une retraite bien méritée pour Denis Méo Poirier

Laissez tomber Denis, tout le monde le connaît par son surnom, Méo. Comme son père Roméo, jadis. Denis Méo Poirier, à 78 ans, a décidé qu’il était temps de passer à autre chose, après une soixantaine d’années à bosser dans son entreprise Rembourrage Dominion de la rue Carignan à Victoriaville.

C’est le paternel qui a démarré l’entreprise en 1945 sous le nom de Dominion Chesterfield. À l’époque, rappelle Denis, il y avait deux Roméo Poirier actifs dans le rembourrage dans la même ville. « L’autre faisait dans le neuf. Nous, on s’affairait à la réparation d’automobiles, d’ensembles de salon. On touchait un peu au secteur commercial, mais on était axé surtout du côté résidentiel avec un contact direct avec le client », indique Méo.

C’est un ancien poulailler qu’on a transformé en atelier de travail sur la rue Carignan.

Dans sa jeunesse, Denis (Méo) passait ses week-ends et les vacances estivales avec son père dans l’entreprise. « Mon père m’expliquait comment faire et je démanchais les sets de salon. Quand les employés arrivaient le lundi, ils continuaient le travail, ils les taillaient et les recouvraient », confie-t-il.

Malgré son initiation à ce travail, Denis Poirier ne pensait pas, au début, qu’il allait intégrer l’entreprise de son père et prendre sa destinée en main plus tard. Il songeait même à une autre carrière. « Je voulais devenir comptable agréé et avoir mon bureau. L’échelle était haute », dit-il en riant. Parce qu’il aimait les chiffres. Mais il a bifurqué. Il fallait quelqu’un pour aider Roméo et continuer « la business ». « Ma mère disait que ça prenait quelqu’un pour continuer l’entreprise que mon père a démarrée. Il était un visionnaire. C’est lui qui concevait les machines dont il avait besoin et son chum Conrad Cliche les fabriquait. Dans le temps, c’était du home made. Les gens faisaient leurs propres outils », raconte-t-il, ajoutant que son père produisait ses propres modèles d’ensemble de salon qui trouvaient preneurs, notamment auprès d’un commerçant de Weedon.

Au décès de son père Roméo en 1971, Denis (Méo) Poirier a assuré la continuité, prenant ainsi la relève de l’entreprise. Jamais il n’a regretté son choix entre la comptabilité et la continuité de Rembourrage Dominion. « Mon frère Jacques, lui, incapable de rester entre quatre murs, ce n’était pas fait pour lui. Il avait besoin d’air. Il est devenu voyageur de commerce (représentant sur la route). C’était sa branche. Quant à moi, dit Méo, je voulais être tout seul et ne pas avoir deux ou trois partenaires. »

Dans l’entreprise, Méo a tout appris de son père, de A à Z. « C’était mon prof. Il m’a tout montré les rudiments du métier, comment opérer les machines, tailler les planches, monter les meubles, tailler et coudre. J’ai tout fait dans ce métier », relate-t-il. Denis Méo Poirier a vraiment aimé son boulot. « J’ai vécu une belle vie là-dedans! »

L’ouvrage n’a jamais manqué et l’entreprise a joui d’une très bonne renommée, profitant notamment du bouche-à-oreille. C’était du travail bien fait qui exigeait beaucoup de temps. Jamais on ne comptait les heures. « Tu faisais ça avec amour », commente Méo.

Si l’entreprise s’adonnait aux ameublements de salon et de cuisine, notamment, les automobiles se sont ajoutées en cours de route. « Ce sont des amis de mon père, qui vendaient des autos à Arthabaska, qui l’ont convaincu, soutenant qu’on avait besoin de lui pour le rembourrage », rappelle-t-il. Ce qui amènera ensuite Méo à plancher sur plusieurs autos de la collection du notaire Trottier, réparant les sièges, les portes et le toit. « J’ai fait aussi une voiture de l’ex-maire Robert Caron », se souvient-il. Le septuagénaire n’a jamais chômé. « On avait toujours de l’ouvrage trois mois d’avance », note-t-il.

Après deux récessions, l’artisan a commencé à percevoir une baisse, voyant son carnet de commandes réduit à deux mois, puis à un mois d’ouvrage à l’avance. « Ça commençait à m’inquiéter », reconnaît-il. Contraint d’annoncer à Denis Rochefort, l’employé ayant le moins d’ancienneté et devenu ensuite maroquinier, qu’il devrait peut-être se retrouver en chômage après les fêtes, ce dernier profite de l’occasion pour l’informer qu’il avait un projet en tête et qu’il quittait l’entreprise. « Il n’y a eu aucune chicane. Il m’a même fait savoir qu’il allait me donner un coup de main au besoin », mentionne Méo qui se retrouve, seul, avec un employé.

À deux, ils parvenaient à accomplir la besogne. Un bon jour, l’employé quitte à son tour et Méo continuera, seul. « J’ai essayé d’autres employés, mais ça ne fonctionnait pas », observe-t-il. Au fil des années, des organisations réputées ont fait appel aux services de Méo Poirier, comme Cascades et l’Hôtel-Dieu d’Arthabaska pour qui il a réalisé les fauteuils pour la dialyse. On lui doit aussi les fauteuils de la salle du conseil à l’hôtel de ville de Victoriaville, sans compter son travail pour Autobus Victoriaville qui lui confiait la réparation de sièges.

Denis Méo Poirier, à un certain moment, a suivi une formation de la compagnie La-Z-Boy qui l’a ainsi accrédité pour réparer les produits de cette marque, ce qu’il faisait pour des commerçants, comme Meubles Perreault. Dans les dernières années, Méo a ralenti le rythme de travail, s’offrant même le loisir de séjourner en Floride de janvier à avril. « Quand tu reviens, tu as moins d’ouvrage. Mais ça faisait mon affaire », admet-il.

Un ralentissement causé aussi par un changement de mentalité avec la mode des produits de moindre qualité. La mode du « j’achète, je jette et je rachète ». « Ça m’a écoeuré, dit-il sans ambages. Obligé de te battre en se faisant dire que c’était trop cher, comparativement à du neuf provenant de la Chine. Les ensembles de salon qu’on faisait ici, il nous arrivait de les recouvrir deux ou trois fois au même client. Jamais la structure, faite en bois franc, ne tombait. J’ai ralenti un peu plus à ce moment. J’ai gardé ma clientèle régulière, mais la nouvelle qui voulait s’obstiner, je n’embarquais pas là-dedans. »

Dans les derniers temps aussi, il s’est fait plus sélectif dans le genre d’ouvrage, s’achetant même une voiture, une Mazda 5, qui servait de mesure en quelque sorte. Si l’objet du client (un meuble quelconque) pouvait entrer dans le véhicule, il acceptait le boulot. « Je ne voulais plus faire de set de salon. Seul, c’est difficile à retourner et à transporter », explique-t-il.

« Il faisait ce qu’il était capable d’aller chercher seul, sans se blesser, ou en mesure de transporter avec ma mère », a ajouté sa fille Nancy. C’est au décès de son épouse Nicole en août 2020 que Méo a pris la décision d’arrêter. « Certains clients me disaient que je pouvais continuer encore un peu. Écoute, lance-t-il, j’ai 78 ans. Faut se dire que le temps est arrivé et qu’on doit passer à autre chose. » Son travail, Méo l’a profondément aimé. Oui, il aimait travailler les meubles. Toutefois,  ce qu’il aimait par-dessus tout, c’est la rencontre des gens. « Écouter ce qu’ils voulaient, leurs besoins et les conseiller adéquatement. J’étais tellement habitué qu’en voyant un client se pointer, je savais si j’allais y vendre ou non. Si oui, je prenais le temps de lui parler et de bien le conseiller. C’était valorisant », exprime-t-il.

Denis Méo Poirier a travaillé fort toute sa vie. Mais il a su concilier le travail et les loisirs, lui qui a pratiqué le softball, le baseball, le fastball, sans compter le curling, les quilles, les fers et la pétanque. Il s’est également joint aux Chevaliers de Colomb et aux Élans. « Le travail n’a pas nui à mes sports et vice-versa. Le social m’amenait aussi de l’eau au moulin. J’étais toujours présent quelque part », fait-il remarquer.

L’heure de la retraite ayant réellement sonné, Méo compte bien demeurer actif et faire du sport. « Pour me changer les idées, garder la forme et pour m’empêcher de tourner en rond », conclut-il, tout en réservant ses derniers mots pour exprimer un grand merci à toute sa clientèle.