Manifestations et désinformation. Ok, mais après, quoi?

Mesdames et messieurs les élus.es,

J’espère que vous allez bien malgré ces temps plus difficiles pour tous. C’est la première fois que je m’adresse aux élus.es via une lettre ouverte. Je le fais parce que j’ai une inquiétude face à la sortie de crise qui arrivera tôt ou tard.

Les dernières données ne permettant pas d’ailleurs de se prononcer sur le temps exact qui reste à ladite crise. Et aussi parce que je me demande comment nous en sommes arrivés à avoir tant de gens en colère.

Non, je ne vous parlerai pas de masques et de mesures sanitaires, ni de passeport vaccinal ou encore de complots. En fait, oui, un peu, mais ce ne sera pas le coeur de mon propos.

Depuis près de 16 mois, je les suis assidûment. Je parle ici des anti-masques, anti-mesures sanitaires, les éveillés ou encore guerriers patriotes. Ils ont eu également plusieurs surnoms moins gracieux, dépend à qui vous parlez. Je les suis donc, parfois même dans leur propre groupe Facebook. Je dois même avouer que je leur ai quelques fois donné raison. Reste que pas besoin de vous faire un dessin pour illustrer que, souvent les propos qui s’y tiennent ne sont pas des exemples de politesse et de poésie!

Mais mon ras-le-bol, ma goutte de trop, sont les images du 12 août dernier devant le restaurant La Cage de Lebourgneuf avec des manifestants qui se comparaient aux Juifs sous le régime nazi en portant sur eux une étoile jaune  » non-vacciné « . Une insulte et un manque de respect innommable. Une incapacité de prendre un pas de recul jumelée à une réaction purement émotive et irrationnelle. Et laissez-moi vous dire que j’ai été beaucoup plus patient que certains de mon entourage pour qui le trop plein de ces manifestations est arrivé très tôt à l’été 2020.

Je conçois que le droit de manifester est, de toute évidence, un droit. Je croisaussi en la liberté d’expression pour tous, même pour ceux avec qui je suis en profond désaccord. Comme je conçois aussi le droit de critique envers les décisions du gouvernement. Car oui, il y a eu de l’incohérence dans les prises de décision du gouvernement. Vous savez, on peut être vacciné tout en dénonçant le renouvellement sans fin de l’état d’urgence. L’un n’empêche pas l’autre. Mais là, et je pèse mes mots, les militants anti-mesures (incluant les antivaccins) deviennent une plaie sociale de plus en plus frappante. Les épisodes d’intimidation dans les commerces se multiplient, les actions dites pacifiques deviennent de moins en moins pacifiques et le manque de respect flagrant envers les institutions et les gens qui les représentent est endémique.

Brandissant leur cellulaire tel un glaive, ils cherchent et recherchent la confrontation avec des commerçants, les institutions et les corps policiers pour ensuite l’exposer sur les réseaux sociaux et pousser leur propagande basée sur la victimisation.

Je tiens à préciser que je crois qu’il y une sincère différence à faire entre une personne hésitante au vaccin suite à une mauvaise expérience ou par une crainte réelle pour sa santé ou qui ne peut pas recevoir le vaccin et la personne qui milite publiquement contre le vaccin en échange d’un virement Interac. C’est aussi parfois PayPal, ils ne sont pas très regardant à ce niveau.

Mais en toute honnêteté, je pense qu’il est malheureusement trop tard pour corriger le tir. Il n’y a eu aucune, mais aucunes conséquences pour les organisateurs de la série de manifestations du samedi tout au long de l’année 2020, pas plus que pour les grosses manifestations à Montréal, Québec et Rimouski, ni pour le party de Noël à la « F**k y** Legault » (pendant que j’ai fait le mien via Messenger…), ni pour la manifestation du 1er mai 2021 autour du Stade, alors plus gros centre de vaccination de la province (ce qui a forcé sa fermeture d’ailleurs), ni pour le Festival Gaulois en Beauce au début août, ni pour le Sit-in  » anti-toute  » qui s’éternise devant le parlement, ni pour les récidivistes du harcèlement autour des écoles et dans les commerces.

D’ailleurs le manifestant qui a fait irruption à la conférence du ministre Dubé du 12 août est une figure de proue de ces harceleurs de commerces. Le même qui a mené la charge à La Cage. Il est facile à suivre, il annonce et filme toutes ses frasques sur sa page Facebook tel un artiste qui annonce une tournée de spectacles.

Il y a eu certes des contraventions, assez salées je dois l’admettre. Malheureusement, ce sont les participants à tous ces événements et non les organisateurs qui ont écopés. Face à cela, comment voulez-vous que ces actions cessent? Ils vont continuer à défier les règles sanitaires en se croyant au-dessus des autorités et de ceux qu’ils surnomment affectueusement les moutons, ou de d’autres surnoms tout aussi « affectueux » que je vous épargnerai ici.

Les premières victimes de ses adulescents sont les commis (dont beaucoup sont encore des ados de 16-17 ans) dans les commerces, les commerçants eux-mêmes et par extension, leur attitude désinvolte augmente le risque de contamination à la Covid. Sans oublier la montagne de menaces en ligne envers tous ceux et celles qui ne pensent pas comme eux. Nombre d’élus.es, d’organismes et de commerces ont déjà subi ce terrorisme virtuel.

Bien sûr, eux, ne sont jamais malades. Mais en même temps, ils fuient les tests de dépistages comme la peste. Pourquoi vu qu’on parle d’un taux de survie de 99.7%? Réglons ce point d’ailleurs. Il faut prendre le nombre de morts versus le nombre de personne ayant été contaminées, pas les morts versus la population totale. Le vrai chiffre (en date du 13 août), c’est un taux de mortalité de 2.95%. Si ce simple calcul échappe à plusieurs, imaginez le reste de leur l’argumentaire.

Mais comme je disais plus haut, il est selon moi trop tard pour agir. Casser cette vague protestataire demanderait de les confronter de plein front car ils ne craignent pas les autorités. Et pourquoi en auraient-ils peur? Ils font ce qu’ils veulent depuis 16 mois. De toute façon, cet affrontement leur ferait beaucoup trop plaisir. Voilà qu’au final, les anti-mesures sanitaires qui se sont galvanisés dans leur chambre à échos depuis les 16 derniers mois (et qui vont continuer à le faire) ont eu plus de liberté que les gens raisonnables qui ont fait de leur mieux pour contrer la propagation. Et des leaders du mouvement en ont profité pour s’enrichir à coup de dons PayPal. D’ailleurs, je pense que ce pourrait être un dossier intéressant pour Revenu Québec…

Pour les contrebalancer, ce sont des journalistes, certaines pages Facebook et sur d’autres plateformes à l’humour grinçant ainsi que l’organisme Info-secte qui luttent contre ces dérives. Ce qui est bien peu malgré leur bonne volonté. Le gouvernement, lui, a laissé aller qualifiant le phénomène de simple complotisme.

Soyons direct, le complotisme et ses multiples variants sont une dérive sectaire. C’est certes une expression lourde de sens pour qualifier une tranche des opposants aux mesures, je le concède. Mais chose sûre, ces gens ont dépassé le stade de la simple opposition aux mesures. Une intransigeance et une fermeture complète devant toute chose qui ne cadre pas avec leurs idées. Et les gens pris là-dedans doivent s’en sortir par eux-mêmes avec tellement peu d’outils.

Le manque de poigne des 16 derniers mois nous empêche de reprendre le taureau par les cornes sans que ça tourne au vinaigre. Reste que vu mon niveau de frustration actuel, le spectacle en vaudra sûrement la peine si vous prenez cette avenue. Il nous faut donc penser à l’après. Après la pandémie, qu’est-ce qu’on peut faire pour reconstruire les ponts avec nos proches et quoi faire pour éviter ou du moins, limiter la dérive due à la désinformation? Parce qu’il est là le nerf de la guerre, la grande responsable de toute cette dérive, la désinformation propagée à tout vent.

Pour commencer, pourquoi pas la création d’un organisme qui s’inspire de Miviludes en France serait une bonne chose (https://www.derivessectes.gouv.fr/)? Un organisme qui aurait pour mission la prévention de la dérive sectaire et aurait force d’action pour dénoncer et exposer les leaders sectaires.

La source première de la désinformation qui circule actuellement et la racine même des mouvements anti-mesures actuels proviennent de personnages narcissiques dont plusieurs correspondent à la description d’un gourou.

Un organisme gouvernemental qui ficherait les leaders et qui prendrait action pour protéger la population de ces dérives et de la désinformation serait la bienvenue. Mais surtout, qui rendrait ces gens imputables de leurs paroles et gestes. Par leurs mensonges et l’impunité qu’ils ont d’accuser sans preuves autre que leur intérêt personnel. Ils entraînent des gens dans une voie qui peut s’avérer dévastatrice et parfois même devenir la première marche vers l’extrémisme. Ils doivent être imputables.

Je cite en exemple Jean-Jacques Crèvecoeur, un expatrié belge qui vit dans les Laurentides parce qu’il est justement sur une liste de personnes à surveiller en France. Il ne peut pas aller se pavaner et faire sa propagande comme il le veut là-bas. Ici, il a carte blanche. Un exemple de ses propos est révélé ici par La Presse: https://www.lapresse.ca/actualites/chroniques/2021-06-12/le-gouroudes-laurentides.php. Il a aussi été au coeur d’un reportage d’Enquête en 2008 ainsi que sur les antivaccins en février dernier (https://ici.radio-canada.ca/recitnumerique/1838/antivaccins-trump-complot-pandemie-quebec). Crèvecoeur avait 360 000 abonnés sur sa page Facebook avant qu’elle ne soit fermée après un appel à la violence. 360 000, en comparaison, la chanteuse populaire Marie-Mai en a 301 000, cet homme a tout un auditoire et son discours est parfois proche de celui de Jim Jones. Et je n’ai pas l’impression d’exagérer quand je dis cela.

Pour une foule de raisons, beaucoup de familles doivent vivre avec un de leur membre qui a glissé dans une certaine dérive. Ramener ce membre à une vision plus claire de la réalité et l’éloigner de ces gourous sanitaires ne sera pas une tâche facile. Ça demandera de la patience, mais surtout énormément d’écoute et de compassion tout en évitant la confrontation directe. Je sais qu’il y a des ressources, les CLSC par exemple, mais comme bien d’autres ressources, elles sont débordées et de ce j’en comprends, elles ne semblent pas les mieux outillées face à ces cas de dérive sectaire.

J’ignore si ce sujet trouvera écho dans nos institutions, mais il reflète une de mes inquiétudes en ce moment et je crois, qu’à travers tout le plan de relance qui se prépare, qu’une place devrait être faite pour reconstruire nos liens détruits par la désinformation véhiculées par des êtres sans scrupules pour qui le clic, les vues et les dons importent plus que la conséquence de leurs paroles et gestes.

Sincères salutations,

Mathieu Tremblay