Difficile de faire son deuil en temps de pandémie

À quelques jours de la journée de commémoration des personnes décédées du virus de la COVID-19 au Québec, la Corporation des thanatologues du Québec dévoile les premiers résultats d’une recherche menée par le professeur Jean-Marc Barreau, de l’Université de Montréal, révélant que les mesures sanitaires qui restreignent à 25 le nombre maximal de personnes dans les entreprises funéraires accentuent la complexité du deuil de l’ensemble des 74 000 familles endeuillées.

«Quotidiennement, depuis le début de la pandémie, nous accompagnons des familles pour surmonter cette épreuve et nous avions déjà constaté ce type de détresse et de souffrance. Aujourd’hui, une étude universitaire prouve que l’absence ou le report de rituels funéraires sont des facteurs qui privent les familles de leur droit à vivre le plus sereinement possible leur deuil», mentionne Annie Saint-Pierre, directrice générale de la Corporation des thanatologues.

Une centaine de familles endeuillées provenant de toutes les régions du Québec se sont exprimées dans le cadre de cette étude. L’analyse des données révèle bien que le «deuil reporté» n’est malheureusement pas une chimère. «Nous ne pouvons pas faire notre deuil, expriment certaines familles» ou encore… «Nous devons faire notre deuil deux fois… d’abord au salon et… plus tard, quand on pourra enfin avoir des funérailles!»

Lorsque la célébration a lieu dans l’entreprise funéraire, l’étude montre que trois facteurs perturbent le processus de deuil. Le premier est la limite du nombre de participants (25%), le second est la distanciation sociale (16%) et le troisième est le manque ou l’absence de chaleur humaine (10%). Deux autres éléments sont soulevés : l’importance de voir le corps de la personne défunte pour faire son deuil et la nécessité d’offrir des funérailles de qualité.

De plus, selon les entrevues menées par le professeur Barreau, la limite de personnes en présentiel complique non seulement le deuil, mais elle contribue à diviser des familles qui ont à choisir qui pourra dire au revoir au proche décédé au détriment de quelqu’un d’autre.

La complémentarité des funérailles virtuelles

Quant aux funérailles virtuelles qui peuvent être proposées aux familles, elles constituent un complément au présentiel. L’étude met en avant un paradoxe : seulement 33% des familles endeuillées interrogées se disent ouvertes à ce type de funérailles quand 67% préfèrent reporter les funérailles même si elles sont conscientes que le deuil sera d’une certaine façon «reporté».

«Pourtant, l’un des intérêts des funérailles virtuelles bimodales est qu’elles offrent aux personnes endeuillées la possibilité d’associer «corps social» (famille en présentiel) et «corps numérique» (famille en distanciel). C’est une réalité essentielle pour la résolution d’un deuil qu’on ne peut jamais régler seul», soutient le professeur Barreau.

Les remarques de ces familles endeuillées en période de la COVID-19 en témoignent. «Je n’ai pas reçu de condoléances», diront certains; ou bien : «je me suis senti seul, abandonné»; «je n’ai pas ressenti de chaleur humaine, dira tel autre, etc.» Le corps numérique peut donc dialoguer avec le corps social : Échanges virtuels de condoléances avec les membres de la famille endeuillées qui sont en présentiel, images ou textes partagés sur grand écran, rituels, etc., selon M. Barreau.

Augmentation de la charge de travail des thanatologues

L’étude aborde aussi l’impact de la pandémie sur le travail des thanatologues. Elle fait ressortir une forte augmentation de la charge de travail des entreprises funéraires et deux facteurs en découlent : la distanciation sociale et de la détresse des familles.

«Les résultats de cette étude confirment nos appréhensions et démontrent l’urgence d’adapter les consignes sanitaires relatives à la pandémie dans le domaine funéraire. Nous sommes convaincus du professionnalisme des entreprises funéraires qui sont en mesure d’organiser des rituels funéraires dignes en toute sécurité», affirme Madame Saint-Pierre.

À ce jour, le gouvernement limite les cérémonies funéraires à une seule séance de 25 personnes maximum, sans possibilité de rotation. «Nous demandons que ces exigences soient rapidement revues pour mettre un frein à une problématique qui se dessine déjà et dont les conséquences sociales sont à anticiper.»

Rappel de quelques statistiques au sujet du deuil reporté :

3 facteurs qui perturbent le processus de deuil

1- La limite du nombre de participants = 25%

2- La distanciation sociale = 16%

3- Le manque ou l’absence de chaleur humaine = 10%

Au sujet des funérailles virtuelles

33% des familles endeuillées interrogées se disent ouvertes à ce type de funérailles

67% préfèrent reporter les funérailles même si elles sont conscientes que le deuil sera d’une certaine façon « reporté ».