Une étude pour trouver la recette du bonheur chez les agriculteurs

Des chercheurs de l’Université de Sherbrooke tentent de faire un véritable tour d’horizon de ce qui influence la santé psychologique des hommes exerçant le métier d’agriculteur. L’équipe du professeur à l’École de travail social Philippe Roy est activement à la recherche de producteurs de partout dans la province souhaitant contribuer à son étude, notamment en prenant en photo ce qui génère pour eux une santé mentale positive.

Pourquoi des photos? Parce qu’il s’agit d’une méthode de recherche éprouvée pour faciliter le démarrage de discussions plus sensibles et favoriser l’expression des émotions, notamment avec des groupes marginalisés et des hommes en milieu rural, répond M. Roy. Le chercheur poursuit ainsi ses études ciblant spécifiquement le milieu agricole, un sujet qui a dominé ses études doctorales. Mais cette fois, ce sera le bonheur qui sera abordé.

«Ce qu’on avait remarqué au doctorat, quand on faisait l’état de la littérature, c’est que la recherche passait beaucoup de ressources sur ce qui génère la détresse psychologique chez les agriculteurs, mais on s’est très peu intéressé à ce qui génère la santé mentale positive chez les agriculteurs. Ensuite, notre autre but était d’aller plus loin sur le lien entre le genre et la santé mentale positive. Si on cherche des aspects toxiques de la masculinité, on va trouver des liens avec la détresse psychologique. Maintenant, on va regarder quels sont les liens positifs [de la masculinité] en lien avec la santé mentale positive. Il y a un désir de dire que la santé mentale, ce n’est pas juste des problèmes», exprime M. Roy, qui ajoute qu’une exposition photo naîtra également de cette étude.

Dès cette semaine, des agriculteurs seront rencontrés virtuellement en groupes de huit personnes. Ceux-ci présenteront leurs photos lors d’une deuxième rencontre avec leur groupe. L’équipe espère pouvoir laisser la chance à une trentaine d’agriculteurs de s’exprimer avec cette étude et envisage même la formation d’un groupe d’agriculteurs anglophones afin de se pencher sur leur réalité bien précise. Environ la moitié des participants ont été recrutés jusqu’à maintenant.

Besoin de reconnaissance

Dans le cadre de cette étude, qui est chapeautée par un comité d’encadrement de recherche partenariale composé de différents organismes et intervenants du milieu agricole, M. Roy espère également entendre les agriculteurs sur les différents enjeux qui peuvent causer de la détresse chez eux.

«Quelque chose qui revient un peu en trame de fond de mes recherches et de l’implication bénévole que je fais auprès de ce milieu-là, c’est le manque de reconnaissance. À la fois de l’importance de l’agriculture dans la société, du sacrifice qui est fait et du fardeau que ça peut représenter. Quand il y a des politiques économiques qui font en sorte que des agriculteurs sentent que leur secteur d’activité est sacrifié, c’est un manque de reconnaissance. Quand des mesures de compensation pour des accords internationaux tardent, ça peut être perçu comme un manque de reconnaissance. C’est quelque chose qui revient souvent et qu’on n’a jamais abordé de front, mais qui mérite de l’être. J’espère qu’on le fera.»

Négocier les contradictions 

Déjà, lors de ses précédentes recherches, M. Roy a pu mettre en lumière certains points de tensions entre les rôles d’hommes et d’agriculteurs. Des pistes qui le motivent à creuser davantage l’avenue du genre.

«Il y a beaucoup de paradoxes et de contradictions qui ont été soulevées. Par exemple, ça avait été mentionné que “des congés, c’est important, mais ça paraît mal”. Il y a l’engagement, aussi. Certains agriculteurs disent “je veux travailler de façon acharnée sur la ferme pour que mon père soit fier de moi, mais si j’arrête mon ouvrage à 16 h pour aller m’occuper de mes enfants et aller les chercher à l’école, je sais que mon père grince des dents parce qu’il se dit que je vais négliger l’ouvrage ou que je vais faire une job qu’un gars n’est pas censé faire”. Il faut négocier entre des demandes contradictoires.»

Le chercheur mentionne également que malgré l’aide rapidement offerte en milieu agricole, nombreux sont les agriculteurs qui peinent à demander de l’aide. «Il y a aussi une contradiction entre les solidarité et la compétition. Il y a une crainte de se confier à son voisin et que celui-ci utilise cette information-là pour acheter sa terre, par exemple.»

Chaque participant recevra une compensation 60 $ pour sa participation à l’étude. Toute personne intéressée peut consulter la fiche détaillée de l’étude et envoyer sa candidature à melina.laporte@usherbrooke.ca.

La Tribune