Un rêve réalisé pour Joël Côté

La vie a réservé bien des surprises à l’Asbestrien Joël Côté. S’il se destinait, pensait-il, à l’enseignement au préscolaire ou primaire, c’est cependant la radio qui l’a occupé pendant plus de 22 ans, notamment à Asbestos, Victoriaville et Sherbrooke. Toutefois, ce vieux rêve de cinéma ne l’a jamais quitté. Aujourd’hui, il possède son propre complexe, Le Tapis Rouge de Trois-Rivières.

Pas si étonnant cette passion du cinéma puisqu’il a été élevé, comme il dit, dans la cabine de projection avec son père dans les cinémas d’Asbestos et de Sherbrooke. «J’aimais bien ça. Ce métier m’attirait. C’est ce que je voulais faire, mais mon père m’a fait savoir que ce n’était peut-être pas une bonne idée en raison d’un avenir plutôt incertain», raconte-t-il en entrevue téléphonique.

Finalement, Joël Côté est tombé en amour avec la radio. Ce qui n’était d’abord qu’un emploi étudiant est devenu son métier, son gagne-pain. «Mais j’avais toujours mon rêve de cinéma en tête», note-t-il.

À l’emploi de Rouge-FM à Sherbrooke, l’animateur s’est lié d’amitié avec Jacques Foisy, le propriétaire fondateur de la Maison du cinéma. «Je suis toujours resté ami avec lui et, à un certain moment, je lui ai fait part de mon intérêt, relate-t-il. Après avoir vendu à Sherbrooke, pour son projet de retraite, il a lancé en 2013 Le Tapis Rouge, un complexe de quatre salles à Trois-Rivières.»

Joël Côté est retourné le voir à plusieurs occasions. «Je ne le lâchais pas. Il m’a appris la job. Ce n’est pas un emploi qui s’apprend au Cégep ou à l’université», dit-il.

Conscient de l’importance du défi, de la taille de l’investissement nécessaire, l’ex-résident de Victoriaville n’allait pas renoncer à son aspiration. «Oui, c’est un milieu difficile. C’est souvent de grandes corporations ou des entreprises familiales. Un milieu très difficile à percer à moins d’avoir des contacts. Mais moi, j’en avais un bon», confie-t-il.

Ainsi, Jacques Foisy a accepté de le prendre sous son aile. «Dans les dernières années, alors que je travaillais toujours à la radio, il me formait, un peu en secret. Je me préparais», souligne Joël Côté.

Le bon moment s’est pointé lorsque son contrat a pris fin à la radio sherbrookoise. Le passionné de cinéma a fait savoir à son ami qu’il était prêt. «Les dernières années, avec des emplois payants, j’ai pu amasser de l’argent, ce qui m’a permis de me préparer financièrement, fait-il remarquer. Le lendemain de mon dernier jour à la radio, on entamait, Jacques et moi, les démarches pour la transaction, processus qui s’est échelonné entre mai et août 2019.»

Ainsi, le 30 août 2019, le rêve devient réalité et Joël Côté se retrouve propriétaire, avec Jacques Foisy, du cinéma Le Tapis Rouge qui a toujours comme principe de proposer des films de qualité, des productions québécoises en priorité, mais aussi des œuvres internationales. Pour les mégaproductions hollywoodiennes, les superhéros, les blockbusters, on repassera. «À Trois-Rivières, les gens ont un grand amour pour Le Tapis Rouge. C’est assez incroyable les témoignages que nous recevons, l’appui qu’on a. L’amour que j’avais à la radio, je l’ai retrouvé du public avec mon cinéma. Une belle continuité, les gens nous aiment et nous appuient, c’est merveilleux», exprime-t-il.

Joël Côté aime tout de son nouveau rôle. «J’ai appris l’administration d’une compagnie, je n’y connaissais à peu près rien. Mais j’aime les notions comptables», fait-il savoir.

On ne s’étonnera toutefois pas d’apprendre qu’il apprécie par-dessus tout le contact avec les gens. «Comme le faisait Robert Carrier au Cinéma Laurier, je suis à la billetterie. Il a été un bon exemple, un mentor en quelque sorte. Pendant 50 ans, il  était là au guichet à accueillir les gens», se remémore-t-il.

À force de fréquenter le Cinéma Laurier, Robert Carrier est devenu un ami pour lui. «J’étais sans doute un de ses meilleurs clients, assure-t-il. J’y allais tous les week-ends, parfois plusieurs fois, et ce, jusqu’à la fermeture de l’établissement.»

Comme propriétaire, Joël Côté prend aussi un malin plaisir dans la négociation de films avec les distributeurs. «J’adore. Il faut prouver aux distributeurs qu’on leur apportera de bonnes recettes et une bonne promotion. Mon passé de radio où j’ai touché aux promotions m’aide en ce sens. Il s’agit d’élaborer des promotions, de faire vivre un film en cinéma. Comme je suis un petit joueur, c’est souvent David contre Goliath. Mais ma moyenne au bâton est quand même bonne», fait-il valoir.

Le jeu des négociations l’allume au même titre que la diffusion de la culture québécoise, une de ses priorités. «C’est plaisant de projeter un film et de voir les gens heureux dans la salle», observe-t-il.

Sa passion l’amène à faire de longues journées de travail, bien souvent six jours sur sept. «Je suis là quand les gens arrivent et quand ils sortent des salles. Je connais leurs goûts, leurs intérêts», indique Joël Côté qui se fait un devoir de communiquer aux producteurs et distributeurs les commentaires du public. «Ils ont tous une oreille attentive lorsque je leur parle de la réaction des gens. Il m’arrive, comme je l’ai fait récemment avec Félix Rose (Les Rose), de les inviter à venir passer du temps avec moi au cinéma pour voir comment les gens vont réagir à leur film.»

Quand la pandémie s’invite

Comme nouveau propriétaire, Joël Côté ne pouvait connaître un meilleur départ avec des chiffres record dès la première semaine.
Des films ont attiré les foules, comme Il pleuvait des oiseaux, à l’affiche pendant 18 semaines. «C’est nous qui l’avons joué le plus longtemps au Québec», précise-t-il.

Le succès se maintenait toujours à la mi-mars quand la pandémie a frappé et forcé la fermeture du cinéma. «On sait, avec ce départ canon, qu’on a un petit bijou entre les mains, qu’il faut être patient et qu’on peut passer au travers», souligne-t-il.

Sauf que Joël Côté ne comprend pas la décision du gouvernement de maintenir les cinémas fermés, d’autant qu’il a démontré, au cours de l’été, la sécurité d’une sortie au cinéma. «Il n’y a eu aucune éclosion dans nos salles, ni ailleurs au Québec ou au Canada, c’est documenté, assure-t-il. Les gens sont à distance. Tout le monde a été rigoureux. Ce qu’on demande au gouvernement, c’est qu’il puisse nous permettre d’ouvrir à capacité réduite. On ne fera pas d’argent, mais au moins, on va stopper l’hémorragie. On va sauver des entreprises culturelles du Québec.»

Mais toutes les représentations faites ont été vaines. «Au gouvernement, on fait la sourde oreille à nos revendications. On ne nous entend pas et on ne veut pas nous entendre», déplore-t-il, estimant que les décideurs ont pris la décision de sacrifier la culture. «C’est très frustrant de ne pas être considéré surtout quand on voit les 500 ou 600 véhicules garés devant les Walmart et Costco, des commerces américains, alors que moi je suis local. La pilule passe très mal», signale-t-il.

En ces temps difficiles, marqués parfois par un certain découragement, Joël Côté tient le cap et garde espoir. «Je réalise le rêve de ma vie. Jamais je n’aurais pensé à un départ aussi spectaculaire que le nôtre pour les huit premiers mois, pas plus qu’on avait envisagé une pandémie qui nous ferait fermer pendant des mois», fait-il savoir.

Quoiqu’il arrive, le propriétaire du Tapis Rouge ne regrettera jamais son aventure. «Je préfère me coucher endetté, mais satisfait et me dire que si je meurs demain j’aurai réalisé mon rêve. Chaque jour que j’ouvre le cinéma, ce n’est jamais un fardeau malgré les nombreuses heures. Je ne les compte pas. Je ne suis pas fatigué. Jamais je n’ai été aussi en forme et heureux», conclut-il.