Yves Beauregard : un dentiste axé sur l’humain

L’homme a le verbe facile et un franc-parler. Difficile de s’imaginer un jeune dentiste timide qui, à 24 ans, entamait à Victoriaville une carrière qui allait durer 30 ans. Aujourd’hui, Yves Beauregard prépare, non seulement un livre sur sa vie au parcours parfois tumultueux, mais également une fête pour convier notamment, sur sa propriété du rang Lainesse, d’anciens patients lui ayant permis, note-t-il, de devenir une meilleure personne.

Yves Beauregard a grandi sur une ferme à Saint-Jude, près de Saint-Hyacinthe, au sein d’une famille de quatre enfants. La maman enseignait à l’école de rang. À l’âge de 6 ans, ce fut le déménagement vers Longueuil.

L’été, le jeune garçon retournait travailler à la ferme chez son oncle jusqu’à l’âge de 16 ans. Ensuite, il aidera le paternel qui avait fait l’acquisition d’une épicerie.

Les valeurs universelles de respect, de charité, l’ont animé toute sa vie. «J’ai été élevé là-dedans. Dans la vie, respecte l’autre, parle-lui et comprenez-vous. C’est ce que m’ont inculqué mes parents et mon entourage», confie-t-il.

Ses parents avaient à cœur l’éducation. «Mon père, qui détenait une huitième année, voulait que j’aille à l’école. Il m’encourageait à le faire. Mes parents ont mis tout leur argent, leur avoir pour notre instruction. Aucun des quatre enfants n’est sorti avec une dette d’études», précise-t-il.

Victoriaville

Fraîchement sorti de l’université à 24 ans, le jeune dentiste arrive à Victoriaville en 1976. «J’ai été accueilli d’une façon incroyable», se souvient-il. Sa venue à Victo, il la doit à un ami (son ex-beau-frère) l’ayant informé que le dentiste Dubord croulait sous l’ouvrage. «Quand je suis arrivé, j’avais des clients un an d’avance», dit-il.

Au départ, le jeune professionnel avoue sa gêne. «Je n’avais pas une grande estime de moi. Je ne m’aimais pas. J’essayais de parler mieux que mon langage normal, mais je m’enfargeais dans les mots. Ça sortait tout croche», souligne-t-il.

Homme simple, le Victoriavillois d’adoption a pris confiance en lui, a compris qu’il avait de la valeur. «Je me suis dit, je vais parler comme je suis», exprime-t-il en laissant échapper un juron. Tant pis pour ceux que cela offense. Mais ces gens n’étaient pas légion.

Parce que son ordinateur, à un certain moment, contenait pas moins de 4000 noms de patients. «On dit qu’un dentiste avec 2000 patients réguliers peut bien vivre», signale-t-il.

Mais l’argent ne guidait pas Yves Beauregard. Ses honoraires, d’ailleurs, se situaient bien en deçà de ses confrères. «J’ai été le dentiste qui chargeait le moins cher à 100 milles à la ronde. Si j’avais chargé le même prix, les dents, je les aurais toutes arrachées. Ce n’est pas ça que je voulais. Ce que je souhaitais, c’était de voir le monde heureux. Et j’ai aussi compris que ce qui faisait plaisir aux gens, c’était de mon conter leur vie.»

Proche de sa clientèle, le dentiste demeurait accessible, son numéro de téléphone toujours public. Il se fait aussi un devoir de travailler en soirée le mardi, une journée de 12 heures, de 9 h à 21 h. «Il fallait bien accommoder les gens qui travaillent le jour. Mes chums m’ont déjà dit que personne ne les ferait travailler en soirée. Moi, ça ne marche pas dans ma tête. On vit avec le monde. Tu ne peux pas toujours juste prendre. Quand tu sais vivre, tu donnes aussi au suivant», fait-il valoir.

Oui, le dentiste Beauregard était proche de ses patients. Bon nombre d’entre eux sont devenus des amis. «Inconsciemment, j’ai fini par me dire que c’est en faisant le bien autour de moi que je devenais de plus en plus heureux.»

Il a su faire fi de certains commentaires, de certaines personnes hautaines. «Une femme, un jour, m’a lancé que je n’avais pas l’air d’un dentiste. Je n’ai pas besoin d’en avoir l’air, je le suis, rétorque-t-il. Je n’ai pas besoin d’avoir mon diplôme étampé dans le front. Je suis un gars simple, je sais qui je suis et ce dont je suis capable.»

Yves Beauregard a toujours été apprécié le côté humain. «Tout m’intéresse. Au fond, ce qui m’intéresse, c’est la vie du monde. Et dans toutes les vies, il existe des trésors. J’ai tripé là-dessus, les contacts humains», fait-il remarquer.

Et dans son travail de dentiste, il savourait ces moments quand il réussissait à apprivoiser, à amadouer et à réconforter ces personnes qui le craignaient et qui voyaient en lui un ennemi. «J’ai donné le meilleur de moi-même pour que les gens soient heureux du service que je leur donnais», résume-t-il.

Moments sombres

Tout n’a pas toujours été rose dans la vie d’Yves Beauregard qui confie même avoir songé au suicide. Le stress se veut un ennemi redoutable, notamment dans sa profession. Il cite des statistiques comme quoi certains dangers (divorce, alcoolisme, suicide) guettent les dentistes. «C’est un travail exigeant. Toute ma vie, j’ai posé des gestes de haute précision dans la salive, le sang. Un mouvement du patient, la langue qui bouge et on peut piquer à un mauvais endroit», explique-t-il.

Après 30 ans de pratique, il lui fallait se retirer. Il avait 55 ans. «Je ne voulais plus la mener cette vie-là. J’étais en burn-out, je n’avais plus de capacité, plus d’énergie. J’étais fait à l’os, plus de gaz dans le réservoir», raconte-t-il.

La retraite a produit un effet instantané. «J’ai cessé de boire en une journée, même si je n’étais pas alcoolique. Juste le fait d’arrêter, de faire de l’exercice et d’être dehors, le stress est tombé à zéro. Les idées noires, ça a été fini. Tout le monde vit des problèmes personnels, mais ma job, c’était la goutte d’eau de trop dans le verre. Quand je l’ai ôtée, je me suis senti bien, je me suis refait une santé», exprime Yves Beauregard qui a alors recommencé à travailler physiquement à la ferme chez des amis.

Après la pandémie, la fête

À quelques occasions au cours de sa pratique, peut-être cinq ou six fois, Yves Beauregard a organisé des petites fêtes. Il adorait ces moments passés avec quelques patients et amis.

Il veut refaire le coup, mais cette fois à plus grand déploiement, quand les conditions le permettront, bien sûr. Pourquoi cette fête? «Pour rendre grâce, répond-il. Quand je suis arrivé ici, je n’étais pas grand-chose. Mais j’ai donné le meilleur de moi. Je ne changerais pas de vie avec mes confrères de classe.»

Le dentiste retraité souhaite recevoir, sur sa vaste terre, un grand nombre d’anciens patients, leurs enfants, leurs petits-enfants et leur proposer une foule d’activités diverses. Les idées ne manquent pas pour ce rendez-vous qu’il espère quelque part en 2021 une fois les vaccins disponibles et le confinement terminé.

Même si les célébrations ne sont pas pour demain, le retraité de 68 ans tend la perche, invite les intéressés à signaler leur intention en le contactant au 819 752-7794, par courriel à yvesoliver@hotmail.fr ou par Facebook.

Les participants à la fête recevront un CD sur son parcours de vie tout en souhaitant, dit-il, que cela puisse en inspirer certains et éviter le suicide.

Le livre qu’il prépare constituera aussi une façon d’amasser des fonds pour une cause humanitaire, vraisemblablement la prévention du suicide.