Enseignants : «le moral dans les talons et la broue dans le toupet»

Moins de deux mois après la rentrée scolaire, plusieurs enseignants ont déjà, comme le dit si bien la présidente du Syndicat de l’enseignement des Bois-Francs Nancie Lafond, le moral dans les talons et la broue dans le toupet.

Grâce aux délégués syndicaux, présents dans tous les lieux d’enseignement, la présidente est en mesure de prendre le pouls des 1100 membres de l’organisme. «Septembre est toujours un gros mois pour les enseignants avec la rentrée. On est toujours plus fébriles. Mais ce qui arrive cette année n’a aucune commune mesure avec ce à quoi nous sommes habitués», a-t-elle indiqué d’entrée de jeu en entrevue téléphonique.

En effet, si les années précédentes les enseignants prenaient du temps pour s’installer et se préparer adéquatement, cette fois, il a fallu commencer avec l’élaboration d’un plan d’urgence en cas de confinement. «Pour une situation qu’on n’a jamais vécue», ajoute-t-elle. Plusieurs choses à mettre en place donc avec des consignes pas toujours précises. «Les bulles, le masque, la distanciation, des fois c’est 2 mètres, une autre c’est 1.5 mètre, le port de l’équipement de protection individuelle. Ça change le quotidien du tout au tout», fait-elle savoir.

Il leur a aussi été nécessaire d’aménager les lieux en réponse aux normes sanitaires, en plus des tâches habituelles de début d’année. «Il faut également considérer qu’on n’avait pas eu de fin d’année comme d’habitude non plus», a souligné Mme Lafond.

Autant de facteurs qui font qu’avant même l’arrivée des élèves dans les classes, les enseignants avaient déjà accompli un boulot important.

Il y a également ce stress relié à la possibilité de devoir enseigner en ligne en cas d’éclosion à l’école. «Les enseignants se demandent si les élèves ont les outils nécessaires et qu’est-ce qui arrivera si jamais il y a un bogue informatique, etc.», fait-elle savoir. Plusieurs choses à mettre en place et qui amènent, aux dires de la présidente, un inconfortable sentiment. «Et cela pour tous les niveaux d’enseignement», tient-elle à préciser.

La situation est exceptionnelle et comme à peu près tout le monde, on ne sait trop où on s’en va. «Les enseignants ont à cœur la réussite des élèves. Ils essayent de faire comme si de rien n’était afin de garder un semblant de normalité, mais c’est difficile», ajoute Mme Lafond.

Les classes ne sont jamais complètes. Il y a des absences pour cause de maladie ou de dépistage. Et si des cas sont confirmés dans la classe, il faut passer à l’enseignement à distance avec les défis que cela comporte. «Être derrière un écran, ce n’est pas notre vision de l’enseignement. La fatigue résulte de toute cette pression et crée de l’anxiété», estime-t-elle.

Car les professeurs ont une grande pression avec cet éclairage qu’on met sur les écoles et l’importance de les garder ouvertes. «Le premier ministre en parle souvent, alors il ne faut pas qu’on rate notre coup», rappelle-t-elle.

Tout cela fait en sorte que la présidente du Syndicat de l’enseignement estime qu’éventuellement, plusieurs risquent de tomber au combat. «Et la pénurie d’enseignants est aussi une source de pression. Puisqu’il n’y a pas beaucoup de suppléants, il y a du dépannage à l’interne, ce qui ajoute à la tâche. Ce dépannage existait avant la pandémie, mais il est maintenant exacerbé», fait-elle savoir.

Lorsqu’on lui demande ce qui pourrait être fait pour améliorer la situation, Mme Lafond répond rapidement qu’il est essentiel de valoriser la profession. «Nous sommes justement en négociations nationales avec le gouvernement et on ne sent pas qu’il entend les revendications des enseignants», déplore-t-elle.

Cette valorisation pourrait s’exprimer de différentes façons, dont par la diminution de la précarité d’emploi dans le secteur. «Actuellement, 50% sont à statut précaire», note la présidente.

Les conditions de travail sont également à considérer à titre de valorisation. «En assemblée générale, récemment, on a vu que les gens sont déçus de voir qu’on ne les reconnaît pas à leur juste valeur. Ils n’ont pas l’impression qu’on les entend… Ce contexte jamais vu met en lumière des irritants qui existaient toutefois avant», dit-elle.

Nancie Lafond revient à la charge, finalement, avec le manque de temps des enseignants en début d’année, qui risque de l’hypothéquer. «À la Fédération, on avait demandé du temps pour organiser la rentrée, quitte à la remettre de quelques jours. Ce manque de temps a amené les équipes-écoles à «rusher» avant le début des classes», rappelle-t-elle.

Sur une note plus positive, la présidente a tenu à rappeler que les enseignants étaient là pour les élèves et veulent que ça fonctionne. «Je tiens à leur dire : faites-vous confiance, vous ne pouvez pas tout prendre sur vos épaules. On va y arriver et finir par passer à travers», encourage-t-elle.