Aide médicale à mourir : le Collège des médecins maintient ses réserves

Le projet de loi que les libéraux viennent de recycler est incohérent et satisfait davantage un compromis politique plutôt qu’une préoccupation de santé publique, selon le Dr Yves Robert, secrétaire général du Collège des médecins du Québec.

Le texte préconise une approche à deux volets pour les mesures de sauvegarde, selon que la mort naturelle d’une personne est raisonnablement prévisible ou non. La Cour supérieure du Québec, dont Ottawa s’emploie à suivre la décision rendue en septembre 2019, avait ordonné l’élimination de ce critère de mort prévisible.

«La notion de mort naturelle raisonnablement prévisible n’a jamais été définie ni dans la loi ni ailleurs», explique Dr Yves Robert en soutien à la décision de la juge Beaudoin, même s’il souligne au passage quelques tentatives d’interprétations à titre personnel. Le Collège des médecins du Québec reproche au gouvernement fédéral d’opérer une démarche «paradoxale» en légiférant pour se conformer à un jugement, sans pour autant écarter complètement la notion éliminée. Il la réintroduit comme critère de distinction des mesures de sauvegarde.

«Il y a une incohérence, il se conforme à la loi tout en ne se conformant pas, expliquez-moi la logique, je ne comprends pas», s’offusque Dr Robert.

Un soin avant d’être un droit

Le milieu médical, qui a inspiré les textes au Québec, estime que «le médecin est à la recherche du soin le plus approprié pour un patient donné». En 2016, Québec modifiait les conditions d’administration de l’aide médicale à mourir (AMM). Les demandeurs devraient par exemple attendre 10 jours. Le projet de loi fédérale repousse ce délai à 90 jours dans le cas d’une personne dont la mort naturelle n’est pas raisonnablement prévisible.

«Il n’y a aucune logique qu’un patient qui se qualifie pour l’AMM doive attendre 90 jours, quel que soit le moment du décès», réfute Dr Robert, l’air remonté par ce qu’il considère comme un droit qui suivrait davantage une logique de droit et non un soin qui suit une logique de soin. Bien qu’il se montre préoccupé par les souffrances du patient, ce médecin met en avant le préalable de l’évaluation de la demande, car la responsabilité pénale du médecin est engagée.

En marge de l’AMM, le Québec se distingue aussi par son régime de directives médicales anticipées qui épargne le patient de l’exigence d’être apte à consentir à se donner la mort. Dr Robert s’offusque de ce que le débat a été transposé au fédéral pour en faire d’abord un droit constitutionnel plutôt qu’un soin.

Le filtre politique

Le projet de loi fédérale n’élargit pas l’AMM aux personnes souffrant uniquement de maladie mentale. Le Collège des médecins du Québec salue cette option même s’il va plus loin. «Ce n’est pas parce qu’on a une maladie bipolaire ou une schizophrénie bien contrôlée qu’on serait incapable de consentir à se donner la mort», soutient Dr Robert, avant de reconnaître que «le désir d’autodestruction peut cependant faire partie de la symptomatologie de la maladie mentale».

La dépression n’est pas une question non traitable, dit-il, pour traduire le caractère non exhaustif de la procédure fédérale.

«On y réfléchit, ce n’est qu’une étape», ajoute le technicien qui prépare une rencontre avec l’association des médecins psychiatres du Québec sur le sujet. Il estime qu’il n’est jamais urgent de donner la mort parce qu’elle est une solution irréversible.

Selon le ministre de la Justice, David Lametti, Ottawa a consulté plus d’une centaine d’experts avant de soumettre son projet de loi. Dr Robert note à ce propos qu’il est une chose de consulter, mais suivre les recommandations en est une autre. Il regrette que des questions aussi sensibles rentrent dans «le filtre politique». C’est le cas des délais imposés à l’examen de la demande qui répondent à son avis au besoin de trouver un compromis avec la branche la plus conservatrice de la Chambre des Communes.

Le Québec en avant-garde de la réflexion depuis 2006 continue de remuer le sujet. Les professionnels de la santé redoutent qu’on en arrive finalement à la mort sur demande comme sous d’autres cieux. Et là, on se passerait bien des services du médecin.

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