Philippe Paul lève le voile sur l’importance des sources

Auteur du livre Coupable d’être policier paru en 2015, Philippe Paul, le Victoriavillois d’origine, fort d’une carrière de 28 ans au sein du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM), récidive avec un nouveau bouquin intitulé «Code 4-1, le pouvoir de l’informateur».

«Code 4-1, c’est le terme qu’utilise la police de Montréal lorsque nous allons rencontrer un informateur», note l’auteur en entrevue avec le www.lanouvelle.net. Cet ouvrage de 232 pages, qui paraît aujourd’hui (30 septembre), traite des informateurs, de ces «sources», qui informent la police sur les agissements des criminels. L’auteur, comédien et humoriste, Louis Morissette, signe la préface du livre. Philippe Paul l’a «coaché» pour le film La chute de l’Empire américain de Denys Arcand dans lequel il a aussi tenu un petit rôle en plus de coordonner les scènes policières. On a fait appel à l’ex-policier à la suite de la publication de son premier livre.

Le second bouquin de Philippe Paul traite de sa spécialité au SPVM, le contrôle des informateurs. «J’en contrôlais plus d’une centaine à une certaine époque. J’en avais le plus en Amérique du Nord», souligne-t-il.

Ces informateurs, plaide-t-il, jouent un rôle fondamental, essentiel même. Sans eux, le travail policier serait amputé d’un outil important et de nombreux crimes graves ne seraient jamais résolus. «Ça accélérait grandement les choses dans plusieurs dossiers, car on ne dispose pas de boule de cristal pour travailler. C’était, pour moi, une bonne façon d’obtenir des informations sur la criminalité en général sur l’île de Montréal et ailleurs», observe-t-il.

Dans son travail, une fois développé le lien de confiance entre l’informateur et l’enquêteur, Philippe Paul collectait les informations pour ensuite corroborer rigoureusement les dires. «Par exemple, si on me signalait de la drogue à tel endroit, on effectuait de la surveillance, de l’écoute électronique. Peu importe les méthodes utilisées, on devait corroborer les informations obtenues avant d’intervenir. Le seul moment où on passait à l’action sans corroborer, c’est quand une vie était menacée, comme des filles séquestrées pour la prostitution», exemplifie-t-il.

Ce n’est pas de la fiction

Le livre de Philippe Paul constitue un amalgame de plusieurs histoires, toutes réelles, avec différents informateurs dans le milieu. «Certaines sont tristes, d’autres sont très drôles. Au cours d’une carrière bien remplie, des anecdotes, des surprises surviennent en travaillant avec ces collaborateurs», confie-t-il.

L’auteur cite en exemple le cas de criminels emprisonnés depuis des décennies. «L’un d’eux, lors de sa libération, m’a demandé d’aller le chercher. C’était de voir, après 25 ans de détention, comment cette personne pouvait être ébahie de voir les édifices, le prix des aliments qui avait augmenté de façon exorbitante», raconte-t-il. En lisant l’ensemble de l’oeuvre et de toutes ces histoires, le lecteur constatera par lui-même tout ce que ces sources peuvent apporter à un service de police.

En choisissant ses histoires, Philippe Paul avait à l’esprit de ne pas toucher le même milieu. «J’y suis allé plutôt aléatoirement avec différents sujets, explique-t-il. Certains informateurs m’ont renseigné sur la drogue, le créneau principal, sur les armes à feu, les tueurs à gages, les voleurs de voitures de luxe, les fraudeurs et ainsi de suite.» L’ex-policier a regroupé en section ou en chapitre, par exemple, les sources très dangereuses susceptibles de mettre en danger sa vie ou celle des autres. «J’ai aussi un chapitre touchant les risques du métier lorsqu’on est informateur. Je parle d’un détenu vraiment spécial dans sa façon d’agir, de sources spécialisées dans l’héroïne, de trafiquants notoires ou encore les collaborateurs qui n’ont aucune conscience, prêts à faire arrêter leur mère ou leur frère parce que ça leur rapporte de l’argent. Il y a aussi l’informateur électronique», relate Philippe Paul qui avait trafiqué un balayeur d’ondes (scanner) pour écouter les cellulaires à une certaine époque où cela était possible. «Cela m’amenait certaines informations. Ça m’a même mené sur les lieux d’une prise d’otage. J’ai couru après des caïds informateurs qui se sont sauvés au Costa Rica pour y devenir «les rois» là-bas avant d’être tués par une bande de tueurs à gages», signale-t-il.

Tous les différents récits mis ensemble rendent, croit-il, la lecture captivante, intéressante. Mais il ne faut pas penser que les faits relatés émanent tous d’enquêtes majeures et complexes, nécessitant des milliers et millions de dollars. «Les histoires racontées l’ont été pour cibler différents domaines dans lesquels un informateur peut participer», note-t-il.

L’art du recrutement

L’ex-enquêteur reconnaît avoir recruté de nombreux informateurs, la majorité (80%) chez les criminels. En matière de recrutement, certains ont davantage le tour que d’autres. C’est le cas pour Philippe Paul. «Des policiers me disaient : pourquoi parlent-ils à toi et pas à moi? Tout est dans la façon de faire, dans l’approche. Ça prend quelqu’un qui a beaucoup confiance en toi. Savoir lui parler, lui dire qu’il est bon, peut-être pour la première fois de sa vie, le flatter dans le sens du poil. Souvent, ce sera suffisant pour que cette personne petit à petit s’ouvre à toi. Reste que la façon principale consiste à traiter ces gens comme des humains, des gens qui bien souvent ont vécu des enfances difficiles», expose-t-il.

Mais, attention, fait remarquer l’ex-policier, les sources proviennent de partout. «Beaucoup de mes informateurs étaient des juges, des gens du gouvernement, du monde du cinéma, des entrepreneurs et autres. La criminalité se retrouve dans toutes les couches de la société. Donc, on a des informateurs provenant de toutes ces sphères», souligne-t-il. Et la durée du travail des «indics» avec la police varie. «Pour certains, ça a été un « one shot deal » ou à quelques reprises, alors que pour d’autres, cela a duré des décennies. Mais honnêtement, la plupart de mes informateurs ont collaboré durant des mois, sinon des années, et même des décennies», fait-il savoir.

«Si le travail est bien fait, ils  pouvaient travailler avec moi sur une longue période. Travail bien fait signifie surtout assurer leur anonymat et par le fait même, leur sécurité», explique-t-il.

La rétribution

Pour leur contribution, les sources obtiennent une rémunération. «Le service de police dispose d’un fonds dédié au paiement des informateurs», spécifie-t-il. Tel qu’écrit dans son livre, ce ne sont pas toutefois des sommes importantes. «Des paiements minimes habituellement, sauf pour quelques exceptions où ils étaient substantiels, comme dans les cas d’un agent source appelé à témoigner devant les tribunaux et de la source qui m’a donné Ian Davidson, le ripou qui voulait vendre nos informateurs au crime organisé», confie-t-il.

Risques élevés

Devenir informateur, on s’en doute, comporte de grands risques. Certains en ont payé de leur vie, comme cet informateur tué en Colombie. «Il s’y était rendu pour concrétiser une transaction de drogue. C’est le risque du métier. La plupart des informateurs décédés ont été abattus dans le cadre de leurs activités illicites», signale Philippe Paul.

Mais, assure-t-il, dans les personnes qui relevaient de sa responsabilité, aucune n’a subi de représailles, aucune n’a eu maille à partir avec le crime organisé. «Parce que mon cheval de bataille, c’était d’assurer leur anonymat», soutient l’ex-policier, tout en se souvenant d’un avocat qui tentait de lui soutirer les vers du nez pour savoir qui collaborait avec les autorités policières. Ce procureur a été arrêté et condamné au pénitencier en raison de ses liens avec le milieu criminel.

Cette façon de faire existe toujours. «Il y a encore des avocats qui se fichent de la peine que recevra le petit client, mais l’organisation au-dessus de lui tient à savoir qui l’a vendu», dit-il. Tout au long de ces années, Philippe Paul a apprécié son travail qu’il qualifie de captivant, mais néanmoins très stressant. «Il est certain que ça amène un lot d’ouvrage hors du commun, car tu es toujours achalé à toute heure du jour ou de la nuit. Certains des collègues se réjouissent, car tu amènes de l’eau au moulin. Mais, comme la police, c’est un monde macho, d’autres n’apprécient guère voir quelqu’un obtenir du succès en utilisant une certaine technique. Comme on n’est un peu moins dans la lumière, cela cause des frictions. Mais j’ai dû apprendre à vivre avec ça, car cela fait partie du travail.», exprime-t-il.

Comme il devra aussi faire preuve de prudence toute son existence, le crime organisé ayant déjà placé des contrats sur sa vie. «Pour la plupart, c’était avec des gens que j’ai fait arrêter. La plupart de ces individus sont décédés, car il s’agit d’un monde où l’espérance de vie n’est pas trop longue», fait-il remarquer, précisant qu’il en reste tout de même quelques-uns auxquels il se doit de faire attention. «Certains ont été déportés, ce qui m’amène à jouer de prudence lorsque je voyage à travers le monde. Mais ça fait partie du travail, ça vient avec»,  évoque-t-il, avec philosophie.

L’homme, volubile, en a long à raconter, de sorte qu’il pourrait  bien accoucher d’un troisième ouvrage d’ici quelques années. Entretemps, il s’occupe en étant pilote de brousse. Il voit aussi à la bonne marche de son entreprise de télécommunication par satellite qui prend de l’ampleur. Il agit aussi à titre de consultant dans le monde du cinéma et de la télévision. «Ce n’est pas encore arrivé pour District 31, mais je l’ai fait pour plusieurs émissions. Occasionnellement, j’aime ça», conclut-il.