Comme le bon vin, les Côtes du Gavet vieillit bien

Carole Laverdière et Roger Dulude en ont vécu des émotions au cours des 20 dernières années, depuis qu’ils ont décidé, sans expérience, de devenir vignerons.

Ils ont planté des vignes, se sont plantés en le faisant et ont eu beaucoup de pépins et pas que de raisins… Le couple, aujourd’hui, est très fier du travail accompli sur ce terrain qui, en 1999, était dénudé, mais disposait d’une vue à couper le souffle et auquel ils ont donné le nom Côtes du Gavet, en hommage aux premiers défricheurs de cette terre, les frères Gavet (immigrants anglais arrivés vers 1800).

Carole et Roger se souviennent bien de quoi avait l’air l’endroit où ils ont dû faire installer une ligne électrique pour y résider. «Nous voulions habiter la campagne et avoir une plantation de petits fruits, mais quelque chose de différent», se souvient la vigneronne.

Étant tous les deux amateurs de vin, le choix allait de soi. «Nous nous sommes dit : il y a des vignobles en Montérégie et à l’Île d’Orléans. Ici, on est entre les deux.» Ils n’avaient pas idée à quel moment survenait le dernier gel du printemps ou le premier de l’automne (des données importantes), mais ont tout de même fait le saut.

Ils se sont donc lancés dans cette aventure, implantant le premier vignoble dans les Bois-Francs. Lui était gestionnaire dans le milieu hospitalier et elle œuvrait dans le domaine communautaire. Il s’agissait donc d’un changement de vie drastique pour eux.

Certains, à l’époque, doutaient même de leur réussite, mais force est de constater aujourd’hui qu’avec tout le travail accompli au fil des ans, l’entreprise a bien progressé. «Quand on a planté les 1000 vignes en mai 2000, on l’a fait en bas complètement. On n’avait aucune expérience et se disait que puisque la piste cyclable est en bas, les gens qui y passent vont voir le vignoble. On avait oublié que les arbres poussent avec le temps», se rappelle Roger avec humilité. Ignoré aussi qu’il faut éviter les creux de vallée (et leurs gels), ce qu’ils avaient omis de faire. Ainsi, les premières vignes ont dû être remontées un peu plus haut peu de temps après.

Les débuts ont donc été un peu cahoteux pour l’entreprise. Gel la première année, ratons laveurs qui mangent 50% des raisins 24 h avant les vendanges ensuite, chevreuils, maladie qui a fait perdre 80% des raisins, etc.

En choisissant cette voie, le couple, qui était ensemble depuis une année seulement au départ, est devenu cultivateur, transformateur, vendeur, distributeur et attrait touristique. Beaucoup de chapeaux qu’ils sont parvenus à coiffer à force d’heures de labeur. «Les choses sont arrivées sans qu’on ait véritablement planifié, mais ça allait de soi pour nous», ont-ils expliqué.

Ils ont tout appris sur le tas, avec des essais et des erreurs, sans jamais trop se décourager. Au fil des ans, ils ont appris, se sont trompés, ont ajusté, compris et modifié pour en venir à une vitesse de croisière qui demande toutefois encore beaucoup de travail, plus intensément d’avril à novembre. «C’est exigeant l’agriculture, c’est 7 jours sur 7», note Carole. Mais chaque printemps, quand les bourgeons ouvrent, laissant apparaître les petites grappes de raisins, elle est encore émue de ce petit miracle comme au premier jour, il y a 20 ans.

Cette année, la récolte s’annonce bonne, même si moins imposante que celle de l’an dernier qui était exceptionnelle. «Là, depuis la fin d’août, il manque de soleil et de chaleur pour faire mûrir le raisin», constatent-ils.

Des produits gagnants

Aujourd’hui, ce sont plus de 8000 vignes qui produisent des fruits, année après année, qui sont transformés sur place. Et les vins produits à Tingwick connaissent un bon engouement. Après le blanc, le rosé et le porto (blanc et rouge), les Côtes du Gavet produisent depuis 2018 un vin mousseux qui a d’ailleurs permis au couple de décrocher une médaille d’or au concours La Coupe des Nations 2020, qui vient s’ajouter aux autres récompenses accumulées.

Un peu comme les fromages il y a quelques années, la production vinicole québécoise est de plus en plus reconnue et appréciée au Québec. «Au début, effectivement, il y avait une curiosité. À l’époque, on a reçu des Européens qui ont trouvé nos vins forts agréables, différents de ce qu’ils font», se souvient Roger.

«Mon plaisir, c’est toujours de faire déguster nos vins à l’aveugle. J’aime aussi le faire avec le champagne. Je commence avec un Français et la deuxième bouteille c’est le nôtre. Les gens disent immanquablement qu’il est meilleur», dit Carole avec amusement et fierté. Bon an mal an, le couple parvient à vendre l’entièreté de sa production (ou à peu près), que ce soit sur les lieux, dans certains restaurants ou marchés d’alimentation¸ un autre accomplissement.

La suite

De beaux défis et de belles aventures auront été vécus dans ce domaine au fil des ans. «C’est gratifiant, on est fiers de ce qu’on a fait. Nous avons bien réussi, malgré quelques écueils», s’entendent-ils.

Aujourd’hui, le domaine comprend, outre la maison des propriétaires, tous les agrandissements faits pour transformer le raisin et en faire du vin. Un espace de vente de même qu’une salle pour accueillir les touristes se sont ajoutés.

Les années ont passé amenant avec elles toute l’expérience que possèdent maintenant les propriétaires qui cherchent à passer le flambeau. Leurs enfants ont déjà fait leur vie dans d’autres régions et malgré qu’ils apprécient les lieux, ils n’ont pas l’intention de prendre la relève. Carole et Roger ont donc décidé de vendre leur vignoble ayant d’autres projets. Peut-être visiter le Canada avec un VR… en attendant de voyager ailleurs et surtout profiter de la vie.

Il faut dire que la vie de vigneron est exigeante physiquement. À genou dans les vignes pour les entretenir, cela peut devenir éreintant. Le couple, maintenant dans la soixantaine, espère trouver les prochains propriétaires qui amèneront l’entreprise encore plus loin. Déjà, ils laisseront un héritage important avec ces vignes adaptées au climat qui produisent un maximum de fruits et s’engagent à aider les futurs vignerons pendant la première année afin de leur transmettre leur savoir à toutes les étapes menant à la fameuse bouteille qu’on peut déguster.

De ces 20 ans, ils auront appris la persévérance. «Quand on s’embarque dans quelque chose, on a suffisamment de volonté pour franchir les obstacles et ne pas s’arrêter au moindre pépin. On sort de cette expérience grandis», note Roger qui confie bien humblement qu’il n’avait pas, il y a 20 ans, le pouce vert.

Aux prochains propriétaires, ils conseillent seulement de relever leurs manches. «Faut pas se décourager. On n’a pas de contrôle sur la météo, nous ne savons jamais d’une année à l’autre ce qui nous attend. On n’offre pas une vie paradisiaque, mais un domaine paradisiaque», terminent-ils en regardant presque amoureusement ces vignes qui poussent dans un environnement à couper le souffle.