Sept municipalités sur dix contaminent toujours les rivières

Sept municipalités sur dix contaminent toujours les rivières du Québec. C’est ce que révèle le bilan de trois années d’études réalisées par la Fondation Rivières sur les systèmes d’assainissement des eaux de 130 municipalités au Québec, soit 15% des 846 systèmes d’assainissement municipaux existants. La recherche a ciblé cinq grands bassins versants où vivent près d’un million et demi de Québécois : les rivières Richelieu, Bécancour, Châteauguay, L’Assomption et la Baie Missisquoi.

Les données recueillies révèlent en effet qu’en 2018, 53 645 surverses d’eaux usées dans les cours d’eau du Québec ont eu lieu, ce qui représente 147 débordements en moyenne par jour. Ces surverses comptabilisent un total de 37 575 heures de débordement pour cette seule année. La situation est par ailleurs très loin de se résorber, alors que le tiers des systèmes d’assainissement municipaux dépassent leur capacité hydraulique de traitement. Ces dépassements sont tels qu’en 2018, 62 stations d’épuration ont dérivé plus de 21 millions de m3 d’eaux usées non traitées dans l’environnement, soit près de trois fois ce que Montréal avait déversé dans le fleuve en 2015 dans ce qu’on avait qualifié de  » flushgate « . La Fondation Rivières a documenté les causes de ce recul.

Capacité de support des milieux naturels

À l’heure actuelle, les normes de rejet de contaminants dans l’environnement ne tiennent pas compte de l’évolution dans le temps de la capacité des milieux naturels à tolérer la pollution. En effet, toutes les municipalités du Québec sont encore en attente depuis 2014 de recevoir leur «attestation d’assainissement», une nouvelle norme qui viendra établir le nombre maximal de surverses que peuvent tolérer les différents bassins versants et les normes de traitement à atteindre. Or, le MELCC n’a encore émis aucune attestation en vertu de ce règlement. Selon les informations obtenues, le processus d’émission des attestations serait complété en 2026, soit 12 ans après l’adoption du règlement.

Des normes inacceptables et des municipalités fautives ou négligentes

Une municipalité respecte les normes du MELCC en matière d’assainissement des eaux usées, mais demeure, avec plus de 1000 surverses par année, la plus importante source de contamination du milieu récepteur. Comment cela est-il possible?

Premier exemple. L’usine de traitement des eaux usées de la municipalité X a été construite en 1986, alors que les normes de rejets étaient beaucoup plus laxistes. Puisque l’usine n’a fait l’objet d’aucune modification depuis sa construction, ce sont les règles de l’époque qui s’appliquent toujours. De fait, la municipalité peut polluer les cours d’eau en toute légalité sans craindre d’éventuelles sanctions.

Deuxième exemple. La municipalité Y a obtenu l’aval du MELCC pour construire un immeuble de 70 unités de condominium en bordure d’une rivière. Cette autorisation est conditionnelle à l’augmentation de la capacité de traitement de ses systèmes d’assainissement. Or, le MELCC accorde un délai de huit ans à la municipalité pour se conformer aux normes, malgré l’augmentation immédiate des unités de logement sur son territoire. Huit années de surverses supplémentaires sont ainsi légalement autorisées, alors que quelques mois suffisent pour augmenter la capacité des usines et des stations de pompage ou pour réduire les apports d’eaux.

Les municipalités n’ont d’ailleurs rien à craindre de la part du MELCC en termes de représailles, puisque ce dernier a émis seulement 23 sanctions depuis 2014, dont 18 pour le non-respect des délais administratifs de transmission d’informations obligatoires. Aucune sanction pénale ou pécuniaire relative à la contamination de l’eau pour des rejets au-delà des normes permises n’a été émise par le MELCC.

Des municipalités exemplaires laissées à elles-mêmes

Depuis deux ans, la Fondation Rivières a interviewé plus de 100 dirigeants municipaux et le constat est clair : les municipalités ont rarement l’expertise, les ressources ou le soutien nécessaire pour sélectionner les solutions les mieux adaptées à leurs besoins et pour remplir les conditions leur permettant d’obtenir des subventions.

Les dirigeants n’ont d’ailleurs plus la possibilité de s’appuyer sur l’expertise du ministère des Affaires municipales et de l’Habitation (MAMH), dont les équipes d’inspection ont été démantelées en 2014 à la suite de l’adoption du Règlement sur les ouvrages municipaux d’assainissement des eaux usées. Les municipalités doivent ainsi se référer à des firmes d’ingénierie dont les connaissances sur les enjeux de pollution des milieux récepteurs sont limitées.

Aucune communication entre le MELCC et le MAMH

Le fonctionnement actuel prévoit que les plans et devis soient déposés par les municipalités au MELCC qui s’assure que les installations répondent aux normes en respect du règlement. Lorsque les projets obtiennent l’aval du MELCC, les municipalités les soumettent ensuite au MAMH afin d’obtenir un financement pouvant atteindre jusqu’à 95% des coûts. En aucun temps le MELCC et le MAHM ne se concertent pour identifier les projets prioritaires. Tous les dossiers sont traités au cas par cas, sans vision globale de la situation. Cette absence de communication entre les deux ministères engendre des gaspillages de fonds publics très importants.

Cas de figure. Les municipalités X et Y sont en tous points similaires : même population, même géographie, même débit d’eaux usées, mêmes besoins en termes d’usine de traitement, etc. Pourtant, la construction de l’usine de la municipalité Y a coûté deux fois plus cher que celle de la municipalité X. Pourquoi? Contrairement à la municipalité X, la municipalité Y espère qu’un jour les Montréalais iront s’y établir en masse. Un espoir injustifié, pourtant financé à hauteur de 83% par le MAMH, dont le seul critère d’évaluation réside dans l’autorisation du MELCC.

Pour une vision globale et des priorités d’intervention

Les études menées par la Fondation Rivières, un organisme indépendant et sans but lucratif, ont permis de faire un portrait peu reluisant de la situation et de dresser une liste des interventions prioritaires pour améliorer la situation.

À ce jour, le gouvernement du Québec n’a toujours pas fixé d’objectifs clairs et mesurables autres qu’avec des échéances trop laxistes. Il n’existe également aucun état d’avancement public des travaux en cours. Il apparaît maintenant évident que les dossiers prioritaires qui nécessitaient la construction d’ouvrages d’assainissement des eaux usées ne pourront être complétés en 2020 tel que le Règlement sur les ouvrages municipaux d’assainissement des eaux usées l’exige.

Il est inconcevable que les subventions accordées par le MAMH ne tiennent pas compte des priorités d’assainissement à l’échelle des bassins versants. Depuis des dizaines d’années, on distribue des milliards de dollars aux municipalités sans aucun égard aux priorités environnementales, alors que c’est l’unique objectif des systèmes d’assainissement, améliorer la qualité des eaux.

Quant aux principales sources polluantes identifiées, elles ne seront pas réduites à moyen terme, selon le rythme actuel et le nombre important de surverses.