COVID-19 : les proches aidants, les grands oubliés

Monsieur le premier ministre Justin Trudeau, en tant que fondateurs du regroupement Parents Pour Toujours, nous nous permettons de vous interpeller aujourd’hui sur la situation des proches aidants, au cœur de la crise du coronavirus ainsi qu’au cœur de leur quotidien avant et après la crise.

Notre regroupement représente les intérêts des parents d’enfants handicapés d’âge adulte, mais la situation des autres proches aidants, par exemple la fratrie des adultes handicapés, nous interpelle tout autant et nous amène à défendre également leurs intérêts.

La crise du coronavirus bouleverse notre société. La population a vu son quotidien radicalement transformer et économiquement parlant, c’est l’incertitude. Au cours des dernières semaines, vous avez annoncé plusieurs mesures de soutien financier pour les particuliers et les entreprises. Nous saluons d’ailleurs les efforts que fait votre gouvernement pour accompagner les Canadiens pendant la crise et leur assurer un niveau de revenu suffisant pour tenir le coup d’ici à ce que la situation revienne un peu plus à la normale. Par contre, nos membres nous ont maintes fois souligné que les proches aidants sont les grands oubliés de la tempête COVID-19.

Tout comme les travailleurs, les étudiants, les aînés et les autochtones, les proches aidants doivent assumer des coûts supplémentaires engendrés par la crise. Ceux qui visitaient auparavant plusieurs épiceries chaque semaine pour profiter des différents spéciaux ne peuvent plus le faire. La plupart font maintenant leur épicerie en ligne à un seul endroit et utilisent le service de livraison pour éviter d’avoir à sortir et possiblement se contaminer et contaminer le proche vulnérable dont ils prennent soin.

Le prix du panier d’épicerie s’en trouve donc plus élevé et à cela s’ajoutent des frais de livraison. Même chose pour les médicaments et les produits de soins personnels à la pharmacie. Plutôt que de sortir comme ils le faisaient avant, les proches aidants vont opter pour le service de livraison, avec les frais qui s’appliquent. D’autres dépenses s’ajoutent également à leur budget déjà serré et, de plus, on nous annonce une hausse des prix de plusieurs aliments dans les jours et les semaines à venir.

Aux prises avec une charge financière de plus en plus accablante, les proches aidants ont grandement besoin que votre gouvernement leur tende la main. Par souci d’équité avec les autres citoyens canadiens, il est souhaitable de leur permettre  l’accès à la Prestation canadienne d’urgence (PCU), qu’ils aient eu des revenus de travail l’an dernier ou non.

Mais allons plus loin.

La pauvreté n’est pas une nouvelle réalité pour les proches aidants. C’est une triste compagne de vie qu’ils fréquentent involontairement depuis déjà trop longtemps. La présente crise ne fait qu’accentuer le stress de l’insécurité financière qui est leur lot quotidien.

Au Canada, on définit la pauvreté comme la «condition dans laquelle se trouve une personne qui est privée des ressources, des moyens, des choix et du pouvoir nécessaires pour atteindre et maintenir un niveau de vie de base et pour favoriser son intégration et sa participation à la société». Nous pouvons affirmer sans nous tromper que c’est la condition de plusieurs proches aidants qui doivent réduire leurs heures de travail ou carrément quitter leur emploi pour s’occuper de leur proche en situation de handicap, malade ou en perte d’autonomie.

L’Institut de recherche et d’informations socioéconomiques (IRIS) publiait sur son site Internet, le 6 avril dernier, un article de Wissam Mansour  intitulé «La prestation d’urgence : un prototype de politique sociale à maintenir?»https://irisrecherche.qc.ca/recherche?utf8=%E2%9C%93&q=la+prestation+d%27urgence

Dans cet article, on explique que la Prestation canadienne d’urgence, dont l’objectif est de venir en aide aux personnes prises avec des difficultés économiques dans le cadre de la crise sanitaire en cours, équivaut pour les personnes à faible revenu à un supplément à leur revenu  habituel et qu’il serait pertinent de maintenir ce type de mesure économique d’urgence dans le but de mettre en place un prototype de politique sociale qui viserait ultimement l’élimination de la pauvreté, qui constitue une urgence en soi.

Plusieurs proches aidants sont dans l’impossibilité d’occuper un emploi à cause des soins et de l’accompagnement qu’ils assurent à leur proche vulnérable pendant une longue période, souvent pendant plusieurs années. Ils se retrouvent alors prisonniers d’un filet social trop faible pour leur assurer une vie décente, mais assez fort pour les emprisonner : l’aide sociale. Nous savons déjà que ce programme ne permet pas de sortir de la pauvreté. À titre d’exemple, au Québec, le programme d’aide sociale accorde 690$ par mois pour un adulte sans contraintes à l’emploi et 828$ pour un adulte avec des contraintes temporaires.

La Prestation d’urgence s’élève quant à elle à 2000$ par mois, sur quatre mois. L’écart entre l’aide de l’État pour les personnes en situation de pauvreté et l’aide accordée pour soutenir les ménages en temps de crise est immense. Il ne faut surtout pas conclure que la Prestation canadienne d’urgence est trop généreuse. Il faut plutôt réaliser que les montants accordés par le programme d’aide sociale sont nettement insuffisants.

Toujours selon l’IRIS, le revenu viable s’élève présentement entre 24 083 $ et 32 682 $ par année après impôt pour une personne seule, selon la municipalité. L’écart est grand entre ces montants et ce qui est accordé par le programme d’aide sociale, qui maintient les gens en situation de grande pauvreté qui ne leur permet pas de couvrir leurs besoins de base, et encore moins d’acquérir l’indépendance économique nécessaire pour se sortir de la trappe à pauvreté.

Monsieur Trudeau, votre gouvernement peut faire jaillir une solution à l’enjeu de la pauvreté de la crise sanitaire actuelle.

La PCU offre l’équivalent d’un revenu annuel de 24 000$ pendant quelques mois. Cette somme s’approche donc de ce que l’IRIS a calculé comme revenu viable et permet d’accroître les chances que les personnes en situation de pauvreté puissent sortir de cette «trappe» en acquérant une indépendance économique. Au final, les prestations de la PCU améliorent le niveau de vie habituel de plusieurs Canadiens.

Parents Pour Toujours est du même avis que l’IRIS qui affirme qu’il faut saisir les opportunités créées par la crise sanitaire. Le soutien économique de la PCU pourrait servir d’expérience sociale s’il était prolongé et étendu. La situation actuelle ouvre la porte à la mise en place d’un revenu minimum garanti qui serait maintenu et dont les effets pourraient ensuite être analysés.

L’IRIS rappelle que dans les années 1960, une expérience inspirante avait été faite au Manitoba pour étudier l’impact d’un revenu minimum garanti. Toutefois, les autorités gouvernementales n’ont pas donné le temps de conclure adéquatement le projet pilote ni d’analyser les données. Il aura fallu attendre le début du siècle suivant pour comprendre les effets positifs de la mesure sur la communauté.

Ne répétons pas cette erreur.

Le gouvernement canadien peut dès maintenant aider les personnes en situation de pauvreté à atteindre le seuil de revenu viable, et ce, qu’ils aient eu des revenus d’emploi ou non. Monsieur Trudeau, vous pouvez saisir l’opportunité et utiliser la PCU pour garantir aux personnes à faible revenu, comme les proches aidants, d’atteindre le seuil de revenu viable et ainsi acquérir une indépendance économique qui, au final, contribuera au mieux-être et à la prospérité de tous les Canadiens. Monsieur Trudeau, faites de la PCU le prototype d’une politique sociale innovatrice réclamée depuis longtemps par plusieurs. Instaurez, par l’entremise de la PCU, un revenu minimum garanti pour tous les Canadiens qui en ont besoin.

Vous savez Monsieur Trudeau, le handicap et la maladie, c’est déjà très difficile.  Ça demande une force et une capacité de résilience extraordinaires. Accompagner au quotidien et donner des soins souvent lourds et complexes à un proche handicapé, malade ou en perte d’autonomie impose beaucoup d’épreuves et de défis. Les proches aidants ne devraient pas en plus vivre de l’injustice et de l’exclusion sociale causée par la pauvreté.

On ne saurait mieux décrire l’urgence d’agir. Aujourd’hui plus que jamais, le Canada se doit de faire les choix de société qui s’imposent afin de briller et d’être reconnu à travers le monde comme une société porteuse de valeurs exemplaires, telles que les valeurs familiales, d’entraide, de respect et de soutien.

Pour ces motifs, nous demandons par la présente au gouvernement du Canada :

D’élargir les critères de la Prestation canadienne d’urgence (PCU) afin d’y inclure les personnes proches aidantes qui prennent soin d’un proche handicapé, malade ou en lourde perte d’autonomie;

D’instaurer, par l’entremise de la Prestation canadienne d’urgence, une politique de revenu minimum garanti pour tous les Canadiens qui se retrouvent bien malgré eux en situation de pauvreté, tel que recommandé par l’IRIS.

Seul un gouvernement visionnaire peut mettre sur pied une politique de revenu minimum garanti.

Monsieur Trudeau, vous avez cette vision. La preuve est qu’en 2014, le Parti libéral du Canada a inclus dans son programme électoral la création d’un projet pilote de supplément de revenu. C’était un pas de géant dans l’élimination de la pauvreté. Ne reste plus maintenant qu’à aller de l’avant.

Nous comptons sur vous.

Marie-France Beaudry

Martin Houle

Fondateurs

Parents Pour Toujours