Crise sanitaire : qu’en pense Claude Charland?

Claude Charland a connu une longue carrière de gestionnaire de trois décennies dans le réseau de la santé qu’il a quitté il y a maintenant cinq ans. Il a dirigé le CLSC Suzor-Coté avant de prendre la direction générale du Centre de santé et de services sociaux d’Arthabaska-et-de-L’Érable jusqu’à sa dissolution à la fin mars 2015. Il connaît bien le monde de la santé, lui qui assume aujourd’hui la présidence de la Fondation À Notre Santé. Réflexion de l’homme au sujet de la situation actuelle.

À savoir s’il s’ennuie de ce milieu alors que sévit la pandémie, Claude Charland se dit partagé. «J’aimais vraiment ce que je faisais. N’eût été la réforme du Dr Barrette, je pense que s’y serais encore, confie-t-il en entrevue téléphonique avec La Nouvelle Union. Je suis partagé entre le fait que j’aimerais donner un sérieux coup de main et, en même temps, je me dis ouf! Je ne suis pas là pour gérer la crise et le manque de personnel.»

Chaque matin, pour lui, c’est immanquable. Impossible de chasser l’idée. «Je me dis que je pourrais peut-être faire quelque chose. Alors, j’ai offert mon aide, mais je n’ai pas eu de retour. Il est vrai que nous ne sommes pas en crise dans la région», observe-t-il.

Lisant beaucoup sur le sujet, Claude Charland ne croit pas que quiconque ait pu prévoir une telle crise qu’il a d’ailleurs vécue de près. De justesse, il a pu revenir d’un voyage en Inde le 13 mars alors que les aéroports fermaient derrière eux.

En observant la situation dans les CHSLD, l’ex-gestionnaire rappelle que le problème avec les préposées et les auxiliaires date d’il y a longtemps, bien avant la crise actuelle. «Fondamentalement, ces gens-là, je les ai toujours traités de héros du quotidien», exprime-t-il, tout en souvenant avoir essuyé des critiques après avoir parlé en leur faveur lors d’une période de négociations.

«Ça fait au moins 20 ans qu’il en manque», note-t-il, pointant aussi un manque de qualité de services à certains égards et un manque d’organisation en termes d’ouverture de postes.

Claude Charland voit certes d’un bon œil la question de la hausse salariale pour les préposées aux bénéficiaires. «Cela peut vraiment aider, parce que ce n’est pas normal que tu gagnes plus cher en travaillant dans une usine de transformation de porcs ou de bœufs», exemplifie-t-il.

Mais il y a plus. Ce qu’il faut, selon lui, ce sont des personnes qui aiment les aînés et qui veulent bien les traiter. «À mon avis, on doit sensibiliser  les jeunes, aller en chercher un peu partout dans les écoles. On les voit ceux qui ont une fibre humaine. Et une fois cela fait, il faut leur donner des conditions de travail qui ont de l’allure», plaide Claude Charland.

Ces personnes dotées d’une réelle «vocation» doivent bénéficier de compensations. «Les conditions doivent être valorisantes. Ces gens travaillent très fort physiquement, souvent dans l’humidité, dans les odeurs et sont confrontés à des gens confus. Ils ont besoin de repos, de pause», soutient-il, précisant qu’il y a beaucoup à faire dans la représentation de ce personnel pour lui donner de la crédibilité et une visibilité plus grande par rapport au respect qu’on lui doit.

La région s’en tire

Questionné sur le fait que les établissements pour aînés dans Arthabaska-Érable s’en tirent bien en regard de la COVID-19, Claude Charland avance, comme explication, l’héritage de la mise en place des 25 ou 30 dernières années dans le réseau. «On a des établissements très fonctionnels, l’hôpital est bien structuré», dit-il, ajoutant que le réseau fait un travail gigantesque, qu’il a de bonnes personnes à sa tête.

Une crise comme celle qu’on vit vient relever et amplifier des problématiques qui devront être réglées, affirme Claude Charland.

Et il ose une solution : se parler. Ce qu’on ne semble pas retrouver dans les grands centres. «Quand j’étais gestionnaire, j’avais un contact très étroit avec les propriétaires des résidences privées. On se parlait pratiquement toutes les semaines. Dès qu’une problématique survenait, on trouvait des solutions, des compromis. On s’ajustait», explique-t-il.

Les gestionnaires font l’objet de diverses accusations, remarque-t-il. «Mais il y en a des milliers de moins qu’il y a cinq ans. Et à mon avis, ils font vraiment ce qu’ils peuvent. Je parle encore avec certains et ils me confient travailler le double d’heures qu’ils faisaient avant. Ils essaient de trouver des solutions et de se réinventer. On ne peut leur reprocher de faire des changements et de s’ajuster. Tout le monde s’ajuste en même temps», fait valoir Claude Charland.

Ce dernier a bien connu dans le réseau celle qui est devenue ministre de la Santé, Danielle McCann. «Une ancienne consoeur. Elle était DG à Verdun. Je suis convaincu qu’elle fait le maximum», indique Claude Charland, heureux de l’équipe en place à Québec. «Je suis content que ce soit cette équipe-là qui y travaille. Je ne peux m’imaginer comment ça pourrait être autrement. Les prises de décisions ne sont pas simples. Ils doivent se fier aux experts qui travaillent dans l’inconnu avec ce nouveau virus.»

«Le deuil d’une époque»

Il y aura un avant et un après pandémie, estime Claude Charland qui connaît bien aussi le milieu économique, lui qui agit comme directeur général de l’Académie entrepreneuriale Desjardins, après avoir dirigé Gaudreau Environnement et le groupe Absolu.

«On va faire le deuil d’une époque pour plonger dans une autre, exprime-t-il. Les gens les plus résilients s’en sortiront. Il faudra se montrer positif et imaginatif. Les entrepreneurs devront se dire qu’ils ne peuvent plus penser comme avant».

Claude Charland et l’Académie analysent la situation, examinent la façon de supporter les gens. «Les entrepreneurs devront se questionner sur leur positionnement, sur leur marché, être à l’affût, avoir une vigie de ce qui se passe autour. Ils devront être imaginatifs et inventifs», reprend-il.

Pour certains, avance-t-il, de possibles regroupements pourraient s’avérer une avenue intéressante. «Plutôt que quatre compétiteurs, si on est deux à se disputer un même marché, on va peut-être moins en arracher, travailler moins fort, plus intelligemment, et ainsi se faire moins mal tout en réussissant à possiblement réduire certains coûts», expose-t-il.

Mais il faudra d’abord, selon lui, traverser les étapes de ce deuil d’une époque révolue pour ensuite «regarder en avant, regarder comment on pourra s’en sortir, se donner le temps pour bien faire les choses et se réinventer».

«Avec ça, continue Claude Charland, je pense que les gens vont s’en sortir. Ceux qui s’en sortiront moins bien sont ceux qui voudront reprendre où ils étaient. Eux vont en arracher énormément.»

Claude Charland ne peut s’empêcher, par ailleurs, de dénoncer ce qu’il qualifie d’iniquité, une concurrence déloyale, en fait. «Je trouve déplorable l’iniquité entre différents modèles d’affaires. Je vois des grands magasins pleins de monde alors que de fournisseurs locaux sont fermés. Je trouve cela assez abominable. C’est ce qui fait le plus mal actuellement, selon moi. Nos entrepreneurs essaient de trouver des solutions, mais ils n’auront jamais de solutions de l’envergure des grandes chaînes», conclut-il.