L’exploitation sexuelle des jeunes : phénomène banalisé en région

Plusieurs organismes de la région ont, de concert, dressé un portrait de l’exploitation sexuelle des 12-25 ans au Centre-du-Québec. On y constate l’existence d’une culture de banalisation, voire même de «glamourisation» du phénomène chez les jeunes.

Lauriane Provost, adjointe à la direction générale clinique chez Répit Jeunesse, a fait partie du comité de réflexion mis sur pied par La Piaule Centre-du-Québec pour dépeindre un portrait de l’exploitation sexuelle chez les jeunes de 12 à 25 ans dans la région et ultimement agir afin de mieux accueillir, protéger et soutenir ceux qui vivent avec cette problématique. Principalement responsable du volet intervention de l’organisme victoriavillois, Mme Provost observe d’emblée l’absence de ressources destinées à venir en aide aux victimes de l’exploitation sexuelle chez nous, d’où la nécessité d’outiller les divers intervenants susceptibles de se voir confrontés à de telles situations.

La genèse de cette enquête remonte à une recrudescence des fugues dans les centres jeunesse, poussant le gouvernement à injecter des sommes importantes afin d’améliorer la prévention et les interventions au cours des dernières années. Puis, des montants ont été alloués par région afin d’obtenir des données concrètes quant à l’ampleur du phénomène sur les territoires : des méthodes de recrutement jusqu’à la perception qu’en ont les intervenants et les victimes.

Très jeunes

Pour Mme Provost, le résultat du travail s’étant échelonné sur plus d’un an réservait quelques surprises, dont l’âge des personnes ciblées. «Nous sommes dans un milieu où on le voit chez nos filles de 15 ans et plus. Quand on le constate chez les 12, 13 et 14 ans, on se dit : oh boy, c’est jeune», commence-t-elle. Oui, la plupart des intervenants participants s’avéraient conscients de cette réalité. «Mais la population doit savoir que ce n’est pas juste dans les grandes villes que ça se passe», plaide-t-elle.

Selon elle, on a tort de penser que l’exploitation sexuelle n’existe que dans les grandes agglomérations. Certains abus y sont certes plus visibles et plus nombreux. «Par contre, la problématique est-elle différente et encore plus insidieuse en région? Je pense que oui, car on a moins de services spécialisés et on se ferme beaucoup les yeux», remarque l’intervenante. D’ailleurs, l’identité visuelle accolée au portrait est une petite autruche qui se met la tête dans le sable.

Incompréhension

Autre constat important de cette réflexion, la méconnaissance généralisée de l’exploitation sexuelle. Lauriane Provost donne l’exemple d’une jeune fille qui aurait des relations sexuelles avec son coloc pour arriver à payer son loyer. «Est-ce de la prostitution? Non. Dès qu’on touche aux mineurs, on est dans l’exploitation sexuelle.»

D’après l’enquête menée auprès des jeunes, eux-mêmes ne s’en rendent pas toujours compte. «Ça devient quelque chose de banal, notamment avec l’hypersexualisation et les réseaux sociaux», déplore-t-elle. Une youtubeuse qui se met nue sur Internet en échange d’argent participe à la normalisation de ce marchandage, par exemple.

Avec le succès de la série Fugueuse, Mme Provost constate que les jeunes apparaissent plus conscients de l’existence de l’exploitation, mais n’arrivent pas toujours à reconnaître les étapes de la manipulation qui y mènent.

Au Centre-du-Québec, on ne voit pas vraiment de recruteurs autour des écoles. On appâte plutôt les victimes par Internet et les applications comme Snapchat, Instagram et tutti quanti. L’intervenante expose un cas où les jeunes se faisaient inviter dans un chalet où l’on organisait des fêtes. S’en suivent l’alcool, des attitudes de plus en plus «sexy», des courtes vidéos et, au final, la normalisation de la sexualisation. «Au premier party, le gens sont coquetel. Au suivant, ça va un peu plus loin et ainsi de suite.»

Banalisation

Il devient très facile pour des personnes mal intentionnées d’approcher les adolescents. Une femme qui dit diriger une agence de mannequins peut aborder des filles par la flatterie, sur Facebook, avant de demander des photos. «Et c’est incroyable le nombre de jeunes filles qui se font prendre. Elles envoient des photos d’elles jolies. Puis plus ça va, plus elles se déshabillent. Mais on fait confiance, car c’est une femme qui le demande», note-t-elle.

Les messages envoyés par les exploiteurs comme par la société banalisent certains abus. On dira que de montrer son corps relève de la féminité et de l’acceptation de soi. «Mets ça dans la tête d’une fille de 16 ans qui se cherche un peu, elle prendra tout de suite ce modèle», souligne Mme Provost. Il faut aussi se méfier des préjugés, car le profil des abuseurs n’est pas celui que l’on s’imagine. Ils évoluent dans toutes les strates de la société.

Aide

Plusieurs ressources peuvent apporter du soutien aux victimes et à leur famille. Or, la réflexion a permis de constater qu’aucune ne se dit vraiment experte de la question. Voilà pourquoi on a élaboré un plan d’action, dont la pierre angulaire réside dans la formation de leurs ressources. Dans les cinq MRC de la région, des rencontres auront lieu dans le but de les outiller afin de soutenir davantage les jeunes victimes. On leur donne aussi rendez-vous lors de la Journée de réflexion sur l’exploitation sexuelle, qui se déroulera le 21 mai 2020, à l’Espace Mandeville, à Drummondville. «Parfois, des jeunes filles nous arrivent et elles ne sont pas nécessairement brisées en mille miettes. Elles nomment ce qu’elles vivent. Notre job est de leur faire réaliser que ce qu’elles vivent est de l’exploitation sexuelle. Mais de quelle façon procéder, lui donner les bons outils et lui redonner du pouvoir?» Il y a moult détails à considérer, de la prise de conscience de la problématique à la volonté de la personne de s’en sortir.

D’autres initiatives couvriront les domaines de la sensibilisation, de la prévention et de l’intervention et s’adresseront à la population.

Si les gars semblent sous-représentés dans le portrait, on croit toutefois qu’ils se rendent encore moins compte que les filles de faire face à de l’exploitation sexuelle. Il y a de nombreux tabous, dont l’exploitation d’un garçon par une fille. «Les jeunes garçons n’en parlent pas et n’ont pas de ressource.»

Le retrait des cours d’éducation sexuelle pendant de nombreuses années pourrait expliquer en partie une méconnaissance marquée de ce que constitue une relation saine. On espère aussi sensibiliser les exploiteurs, qui s’avèrent parfois exploités eux-mêmes.

Enfin, le Portrait de l’exploitation sexuelle des jeunes 12-25 ans du Centre-du-Québec se retrouve sur le site Web de la Piaule (lapiaule.ca) depuis le 4 mars.