Tout un parcours pour un passionné du bio

«C’était émouvant», exprime Denis La France en parlant du récent hommage qu’on lui a rendu, devant une centaine de convives, lors d’un grand banquet soulignant les 10 ans du centre qu’il a cofondé, le Centre d’expertise et de transfert en agriculture biologique et de proximité (CETAB+).

Il a lui-même, à cette occasion, présenté un cours résumé du parcours accompli par l’organisme depuis ses débuts.

En tant que cofondateur, il s’attendait à ce qu’on parle brièvement de lui, trois ou quatre minutes sans plus. Des collègues et des patrons ont pris la parole. Sa compagne aussi, Locana Sansregret, qui l’a touché, dans son vibrant hommage, en relatant sa passion et son dévouement.

Ils étaient plusieurs à souligner l’engagement de Denis La France.(Photo Audrey-Ann Savoie)

Puis le député de Drummond-Bois-Francs, Sébastien Schneeberger s’amène pour le clou de la cérémonie, la remise de la Médaille de l’Assemblée nationale du Québec en reconnaissance de sa carrière, de son engagement dans le développement de l’agriculture biologique, non seulement au Québec, mais ailleurs dans le monde.

Toute une surprise pour cet enseignant établi à Warwick. «Je ne m’y attendais pas du tout», confie-t-il, ajoutant qu’il s’agit là d’une belle marque de reconnaissance. «Une reconnaissance, non seulement pour moi, mais aussi pour le Cégep, pour le CÉTAB+ et pour tout ce qui s’est fait, ici, en agriculture biologique depuis 33 ans parce je n’ai pas fait cela tout seul, souligne-t-il. C’est un travail de collaboration.»

Le parcours

Denis La France connaît «le bio». Natif d’un village de jardiniers, Cyrville, ce Franco-ontarien, arrivé au Québec en 1974, a passé son enfance dans le grand jardin d’une dizaine d’hectares de son père.

«Mes premiers engrais verts, je les ai vus en 1955», dit-il. Dans sa famille, on enterrait les déchets de légumes dans le jardin pour le fertiliser avec des matières organiques.

Pas étonnant de le voir développer, dès 1973, un intérêt pour l’agriculture biologique. L’époque joue aussi son rôle. «Dans les années ’70, il y avait une certaine remise en cause des valeurs en plus du mouvement de retour à la terre. C’était dans l’air, l’agriculture biologique, on en parlait», se remémore Denis La France qui connaît des gens ayant alors démarré une ferme. «Et ils y sont encore.»

Lui aussi entreprend, cette année-là, de dénicher une ferme. Et il trouvera. «J’en ai acheté une et j’ai commencé à pratiquer, à cultiver», raconte-t-il.

Denis La France décide ensuite de devenir enseignant. Puisqu’on ne s’intéressait guère, ici, à l’agriculture biologique, il n’a d’autre choix que de se tourner vers l’étranger. «Je me suis formé en Europe, note-t-il. J’ai travaillé un an en Allemagne pour prendre de l’expérience.»

Ainsi, depuis l’hiver 1978 (ses débuts en enseignement), il fait profiter aux autres son savoir et son expérience.

Avant sa venue à Victoriaville, Denis La France a séjourné une dizaine d’années à L’Anse-Saint-Jean. Il y a mis sur pied un centre de formation dans ce qu’on appelait alors un village communautaire et maintenant un écovillage. «J’ai formé des cohortes d’étudiants sur la ferme en dispensant une formation pratique sur le terrain», se souvient-il.

Denis La France toujours aussi passionné et motivé (Photo www.lanouvelle.net)

L’enseignant se rappelle sa première visite à Victoriaville en 1986, invité avec des représentants d’agriculture biologique pour présenter un programme de formation dans le domaine.

«Un prof, ici, Ghislain Leblond, a lancé l’idée de démarrer un programme d’agriculture biologique, avec Jacques Petit comme premier enseignant, afin d’attirer une nouvelle clientèle. Ç’a été le cas. Une bonne cohorte a été accueillie en 1987. Cela a contribué à remonter l’achalandage au département de techniques agricoles.

L’année suivante, on embauchait Denis La France à la formation continue. Au cours de ses sept premières années, il enseigne à des agriculteurs principalement, mais aussi à des conseillers agricoles.

Par la suite, il partage son temps à l’enseignement aux adultes, en majorité des agriculteurs qui s’intéressaient au bio, et à l’enseignement régulier. Ses cours traitent de différents sujets, de la gestion organique, par exemple, ou le compostage. «Je dois avoir dispensé une quinzaine de cours», estime-t-il.

Mais au fil du temps, Denis La France a toujours conservé des activités de formation aux agriculteurs.

Vers le milieu des années 2000, suivant la suggestion de Jean Morin (de la Fromagerie du Presbytère), il entreprend d’organiser des voyages d’étude. «On voulait aller voir ce qui se faisait ailleurs», fait valoir Denis La France à l’origine d’une dizaine de voyages entre 2004 et 2015. «Nous sommes allés chercher des idées qui, parfois, peuvent prendre 15 ans à aboutir. Il y a des trucs qu’on a vus au Brésil en 2007 et que certaines fermes essaient d’implanter aujourd’hui», exemplifie-t-il.

«Je me suis toujours intéressé à ce qui se faisait ailleurs, fait-il remarquer. J’ai beaucoup voyagé en différents endroits dans le monde. J’invitais des étrangers à nous parler de leurs recherches, de leurs techniques», souligne Denis La France qui a ainsi organisé pas moins d’une trentaine de conférences, essentiellement pour les agriculteurs, les conseillers agricoles et les étudiants.

Les agriculteurs, en particulier, ont pris l’habitude de ces conférences, certains y prenant part tous les ans. «Ils ont pris l’habitude de venir chercher des services au Cégep de Victoriaville, observe-t-il. On a développé, avec les agriculteurs bio, une relation suivie.»

De là est né le CETAB+ avec Vincent Guay, alors directeur général du Cégep, et Serge Préfontaine, le premier coordonnateur.

«Nous l’avons fondé. Les clients étaient déjà là. Nous avions notre réseau. Cela s’est fait de façon organique, naturelle, indique Denis La France. Nous avons donc élaboré des projets, effectué des recherches à la ferme…»

Il se félicite de la mise en place de ce centre. C’est ce dont il est le plus fier, répond-il quand on lui pose la question. «C’était comme une suite logique à la relation développée avec les producteurs s’intéressant à l’agriculture biologique. Le résultat, c’est la création du CETAB+ avec son service-conseil, de la recherche appliquée, de l’information et de la formation continue. Il s’agit d’un aboutissement», se réjouit-il, heureux aussi de tout l’essor que connaît le bio actuellement.

Sur 28 000 fermes au Québec, 2355 d’entre elles se consacrent à l’agriculture biologique. «Cela représente 8% des fermes. Cela non plus je ne l’avais pas vu venir. Jamais je n’aurais pensé qu’on en serait rendu à un tel niveau au Québec, affirme-t-il. Et nous allons sûrement vers 10% et plus.»

Croit-il à un possible essoufflement? «Je suis dans le domaine depuis plus de 40 ans, et ça a toujours progressé, jamais reculé», signale-t-il, précisant que, à travers le monde, les dépenses de ménages en bio représentent un chiffre d’affaires de 100 milliards de dollars US, dont la moitié en Amérique du Nord.

Pas de retraite en vue

Après toutes ces années, pas question pour Denis La France de s’arrêter. «Écoutez, j’ai un jouet de 20 millions de dollars», dit-il en faisant référence à l’Institut national d’agriculture biologique (INAB). «C’est le plus grand centre d’agriculture biologique au Canada, et peut-être même en Amérique du Nord. En tout cas, on n’est pas loin. Je vis un peu comme un rêve que je n’aurais jamais cru possible», confie l’homme, heureux dans ce qu’il fait, dans ses connaissances qu’il transmet. «J’aime beaucoup aider les jeunes chercheurs, entre autres. C’est bien stimulant. Je me trouve choyé.»

Et sa passion pour le domaine ne s’est jamais éteinte. «Il existe un esprit de partage, de fraternité, dans le monde du bio. Les gens s’entraident, échangent de l’information. Je me trouve privilégié de faire partie de ce milieu parce qu’en général, tu y fréquentes des gens qui essaient de faire des choses positives», conclut-il.