Le Musée Laurier perd un monument

Le 20 décembre, une page se tournera pour le Musée Laurier alors que Linda Pinard prendra sa retraite après avoir passé presque 40 ans à travailler dans la maison victorienne. On peut même dire que c’est un monument que perdra l’institution muséale.

C’est assise dans le salon des Laurier, auquel les visiteurs peuvent accéder depuis quelques mois pour vivre une expérience immersive, que Linda a raconté à quel point elle avait aimé œuvrer en ces lieux remplis d’histoire. Si on parle de presque 40 ans, c’est que dans les faits, elle a commencé son travail officiellement le 4 août 1980. Mais en vérité, elle avait débuté quelques mois plus tôt et en ajoutant toutes les vacances et le temps supplémentaire qui n’ont pas été pris, on arrive facilement à 40 ans.

Linda Pinard fait presque partie des meubles du Musée Laurier et cela dans le sens positif du terme. En fait, elle a probablement passé davantage de temps dans la maison des Laurier qu’eux-mêmes. Et rares sont les personnes qui ont la chance, comme Linda, d’avoir leur bureau dans la chambre à coucher de Wilfrid et de Zoé Laurier. Cela a amené de trop nombreux visiteurs à lui dire une blague qu’elle ne peut plus entendre : Quand vous êtes fatiguée, vous pouvez aller vous coucher. «Je n’aurais jamais osé. Ça aurait été un sacrilège», fait-elle savoir.

Elle est l’employée qui compte la plus grande ancienneté depuis que le lieu est un musée, soit 1929. Et elle a toujours voulu travailler dans la maison des Laurier, même si on lui avait offert de déménager à l’Hôtel des Postes. «Je n’aime pas le changement, je suis séquentielle. J’étais bien ici et ne me suis jamais ennuyée», précise-t-elle.

La femme discrète et réservée explique qu’elle voue un grand respect au couple Laurier qu’elle a appris à connaître au fil du temps. Linda a fait beaucoup de recherches sur Wilfrid et son épouse qu’elle appelle toujours M. et Mme Laurier. Elle a découvert des anecdotes, notées dans son ordinateur, qu’elle se plaît à raconter lorsqu’elle fait des visites guidées. «M. Laurier aimait beaucoup le miel et se faisait apporter des pommes de ses pommiers à Ottawa», exemplifie-t-elle. Et si Linda est une personne timide dans la vie de tous les jours, elle n’a pas peur de parler devant des grands groupes lorsqu’il est question des Laurier. Même qu’elle aimerait, si c’était possible, retourner dans le temps pour les rencontrer. «J’aurais tellement de questions à leur poser.»

Celle qui a commencé comme secrétaire et à qui se sont ajoutées des tâches au fil du temps fait, en plus de la comptabilité, du secrétariat et de l’accueil (elle a tout appris sur le tas), même du ménage le lundi. «J’époussette le piano et ose même quelques notes tout en prenant soin de demander pardon à Mme Laurier qui elle jouait très bien. Mais jamais je n’oserais m’asseoir sur le banc du piano», indique-t-elle.

Pour Linda, le Musée Laurier est devenu une deuxième maison qu’elle quittera bientôt. Elle souhaite passer davantage de temps avec son compagnon de vie, Richard Pedneault, qu’elle a connu justement au Musée Laurier lorsqu’il est devenu directeur et conservateur et avec qui elle a travaillé pendant 30 ans. «J’ai décidé en juin de prendre ma retraite. J’ai le goût de profiter de la vie avec Richard et avec les enfants et les petits-enfants qui grandissent très vite. Ce n’est pas que je ne suis pas heureuse ici», a-t-elle expliqué. Elle aurait bien pu partir avec M. Pedneault, il y a deux ans, mais voulait assurer une continuité. Maintenant que c’est fait, elle est prête à passer le flambeau.

Il y a tout de même deux choses qui ne lui manqueront pas de ce musée qu’elle a tant aimé : le fait d’avoir à toujours porter des chandails de laine parce qu’il ne fait pas toujours chaud dans le Musée Laurier, et les «tourneux» irrespectueux en voiture qui viennent sans cesse utiliser la cour du musée pour changer de direction. Et justement pendant qu’elle raconte cela, une voiture passe à vive allure devant les lieux pour repartir dans l’autre sens… «Si les gens nous avaient donné 1 $ chaque fois qu’ils viennent tourner dans la cour, on n’aurait pas besoin des subventions», ajoute-t-elle à la blague.

Elle a déjà vécu son dernier vernissage, alors que s’ouvrait récemment l’exposition des décorations de Noël. On en a profité pour lui rendre hommage, ce qui l’a bien émue. «Mais je vais revenir après les fêtes pour terminer l’année financière puisque c’est moi qui m’occupe de la comptabilité», ajoute-t-elle.

Linda souhaite le meilleur à ce musée. Elle espère que les jeunes de la région viendront le découvrir afin de s’intéresser à leur histoire. «Il est là depuis longtemps et plusieurs ne le voient plus», déplore-t-elle.

Toujours bien contente de le faire visiter, elle regrette toutefois certaines décisions, dont celle de démolir (bien avant son arrivée) la cuisine et la chambre des domestiques. Pour la première année de retraite, Linda, qui a seulement 58 ans, souhaite se vider la tête du travail et se reposer. Ensuite, elle songe à faire du bénévolat afin de «ne pas rester à la maison à ne rien faire».

Une grande perte

Pour la directrice et conservatrice du musée, Jocelyne Fortin, il va sans dire que le départ de Linda est une grande perte. «C’est toute la mémoire du musée qui va partir», a-t-elle indiqué.

C’est elle qui, au départ de Richard Pedneault et à l’arrivée de Jocelyne Fortin, a assuré la transition. «Ce sera un gros changement pour les Amis du Musée qui sont habitués de la voir en poste», a-t-elle ajouté.

Un départ un peu angoissant pour l’équipe du musée, mais qui fait partie de la vie. «C’est Andréanne Grandmont qui prendra sa place à l’accueil, pour une année», annonce Jocelyne.