Ainés : la MRC d’Arthabaska inspire

La première politique MADA (Municipalité amie des aînés) de la MRC d’Arthabaska réjouit les élus d’ici, mais aussi certains observateurs, dont le chercheur Majella Simard de l’Université de Moncton, qui y voit une bonne direction à prendre. Surtout que de s’attaquer à cette tâche de concert accroit le pouvoir des municipalités, qui deviennent des vecteurs de leur propre développement.

Majella Simard détient un doctorat en développement régional et s’avère professeur régulier au département d’histoire et de géographie à l’Université de Moncton. Il s’intéresse particulièrement au programme MADA et au rôle de ce modèle dans le renforcement des capacités des acteurs locaux et régionaux. Il a par ailleurs analysé les difficultés du déploiement de la démarche dans deux localités : Tracadie et Kedwick. Terminant une recherche sur le vieillissement de la population au Bas-Saint-Laurent, une région en forte décroissance démographique, tout ce qui concerne le vieillissement dans une perspective d’aménagement du territoire et de développement régional tombe sous sa loupe. C’est dans ce contexte qu’un article (https://bit.ly/2CB1WZs) sur la présentation de la première politique MADA de la MRC d’Arthabaska a piqué sa curiosité.

Après la lecture du document, il a accepté de partager ses réflexions avec La Nouvelle Union.

MADA, les forces et limites

D’abord, la démarche MADA démontre plusieurs bienfaits, dont «une plus grande visibilité des municipalités à des échelons géographiques supérieurs, notamment régional et provincial», commence M. Simard. De plus, le dispositif entraîne une consolidation du sentiment d’appartenance des ainés vis-à-vis de leur milieu. Le professeur souligne également une coopération et une concertation accrues entre les acteurs locaux de différents secteurs, puisque la méthode prescrite incite à un réseautage entre les sphères communautaire, publique, privée, etc. «Des gens qui n’ont pas toujours l’occasion de travailler ensemble», relève-t-il. Le chercheur note aussi que le programme stimule le «leadership» des ainés, sa mise en œuvre reposant sur leur participation, dans tous les cas.

Une fois installée, la certification MADA peut favoriser les services de proximité. Il donne l’exemple de Dieppe, où il n’y avait pas de banc au centre commercial afin que les personnes âgées puissent s’asseoir en attendant l’autobus. «Parfois, ce sont de petites initiatives qui contribuent à améliorer grandement la situation des ainés», observe-t-il.

Or, il pense que l’échelle locale ne représente pas nécessairement la meilleure pour intervenir, en particulier dans les régions périphériques, où la population est dispersée et les localités se trouvent éloignées les unes des autres. Des actions au plan régional lui apparaissent plus efficaces et stimulent des ententes intermunicipales, notamment. D’où son intérêt pour le travail mené par la MRC d’Arthabaska. Notons qu’au Nouveau-Brunswick, il n’y a pas de MRC, mais plutôt des commissions des services régionaux, qui agissent dans l’aménagement du territoire, mais ne s’occupent pas explicitement de développement social et économique.

Il constate aussi, d’après les témoignages des personnes sur le terrain, que les gens ne connaissent souvent pas les résultats de MADA, où ne savent pas qu’ils appartiennent à une Municipalité amie des ainés. L’information ne semble pas circuler adéquatement. «Ça peut devenir une forme déguisée de désengagement de l’État en matière d’aménagement et de développement territorial pour tout ce qui concerne l’amélioration de la qualité de vie des individus en général», avance-t-il. Enfin, des projets qui en émergent ne revêtent qu’une portée limitée et les enveloppes réservées paraissent minces.

Efficacité

Ainsi, selon le professeur Simard, le principal mérite d’une politique comme celle concoctée par la MRC d’Arthabaska s’avère de s’inscrire dans un processus de gouvernance territoriale porteur concret de développement. «Les recherches des années 1990 jusqu’à aujourd’hui ont démontré que les politiques de développement les plus efficaces étaient celles qui agissaient à l’échelle du territoire. En France, ça existe depuis longtemps. Ils ont des schémas gérontologiques et des schémas de cohérence territoriale», rapporte-t-il. L’aspect de la concertation régionale, mise à mal avec la fin des Conférences régionales des élus (CRE) en 2016, peut revivre. «Pour cette initiative, il fallait repartir sur ces bases-là, pour monter un plan d’action à destination des ainés. Je ne peux que lever mon chapeau», de dire Majella Simard. Les partenariats qui se dessinent profitent à tous, car ils réunissent des gens de tous les secteurs économiques et supplantent «l’esprit de clocher».

M. Simard indique que la MRC d’Arthabaska a bien identifié les objectifs de sa politique, tout comme les valeurs qui les sous-tendent. «Certaines actions sont audacieuses, voire novatrices, et s’inscrivent dans le sens de mes propres travaux.» Il nomme, entre autres, l’intention de demander un ajustement de la Loi de protection du territoire agricole afin d’autoriser la construction de nouvelles habitations qui permettraient le maintien des aînés à domicile. À son avis, cette loi crée un blocage en matière de croissance dans de nombreuses localités. «Quand je vois ce désir d’intervenir, je ne peux que me réjouir. Ça se fait déjà en Hongrie, qui a un plan démographique très bien ciblé. On concilie la croissance démographique avec la construction domiciliaire pour favoriser le développement économique», expose-t-il.

Autre point fort de la politique : elle considère plusieurs catégories populationnelles. On y parle certes d’ainés, mais aussi de familles, de jeunes et d’affermissement des liens intergénérationnels. «Je l’ai vu sur le terrain et les ainés le réclament. Il y a des centres pour personnes âgées où les jeunes, après l’école, leur montrent comment fonctionnent des tablettes. Ils reçoivent en échange des cours de piano ou de tricot. C’est se diriger dans la bonne voie», signifie-t-il.

M. Simard croit également que le fait que les projets procèdent d’un échéancier participe à leur réalisation. Enfin, il constate que tous les axes promus par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) figurent dans le plan : loisirs, culture, infrastructures, sécurité, milieux de vie, santé, etc. C’est donc dire que nos élus ont fait leurs devoirs.

Failles

Quelques actions lui semblent toutefois plus futiles, comme l’organisation de visites-découvertes sur le territoire de la MRC. «Souvent, les personnes âgées sont celles qui connaissent le mieux le territoire et ont un fort sentiment d’appartenance vis-à-vis de leur milieu.» Bien qu’on y stipule la création d’un fonds de soutien IVA (Intergénérationnel et Vieillissement actif), le document ne fait pas état de budgets liés au déploiement des différentes actions. Le rôle des multiples acteurs dans l’atteinte des objectifs ne se trouve pas détaillé clairement.

Mais la principale faiblesse de cette politique, d’après le professeur, qui précise que ce n’est pas spécifique à notre région, demeure de mettre sur un même plan les milieux urbains et ruraux, sans considérer l’intensité du vieillissement. Dans la MRC d’Arthabaska, certaines localités ont vieilli beaucoup plus rapidement que d’autres, comme Sainte-Hélène-de-Chester, où l’augmentation en 30 ans des personnes âgées atteint 1000%. Tandis qu’à Saint-Christophe-d’Arthabaska, on parle plutôt de 60%. «Ça appelle à des besoins comme accroître l’offre de logements dans certains milieux. Les besoins des personnes âgées de Victoriaville, là où ils retrouvent tous les services, ne sont pas les mêmes qu’à Maddington et Saint-Martyrs-Canadiens.» Car le paysage des grandes villes de tout le pays se transforme, alors que des immeubles de logements y poussent et que les villages et petites villes se vident. Les localités de moins de 500 habitants et les municipalités dont la proportion de familles à faible revenu s’avère plus élevée ne trouvent pas de place spécifique dans la politique. La distance des villes, comme dans le cas de Ham-Nord et de Maddington, devrait aussi apparaitre dans le plan d’action, suggère M. Simard. Les stratégies doivent être modulées selon le profil des gens qui demeurent dans les municipalités, ce qui profiterait autant aux ainés qu’aux jeunes.

Bonne voie

Au Québec et au Nouveau-Brunswick, la population est dispersée, faisant émerger des enjeux quant à la gestion du territoire. Bien qu’on parle d’immigration pour augmenter la population, une politique démographique et d’aménagement du territoire, au plan provincial,  apporterait de meilleurs résultats encore, selon le chercheur. «Il n’y a pas de politique parfaite. Ce que vous avez fait m’apparait avoir une valeur exemplaire et même exceptionnelle. J’espère que d’autres MRC vont emboîter le pas, car ça apporte beaucoup de sang neuf», conclut-il.

Majella Simard attend avec impatience les politiques provinciales québécoises annoncées pour favoriser le maintien des personnes âgées dans leur milieu et pour les proches aidants.

La MRC d’Arthabaska prévoit une enveloppe globale de 25 000 $ pour la réalisation de son plan, dont plusieurs actions ne requièrent aucun investissement, sur trois ans. Les 15 municipalités (sur 22) qui ont participé à l’élaboration de la politique ont inscrit plusieurs de ses projets dans leur propre démarche. On assure aussi que les accomplissements tiendront compte des réalités de chaque communauté.