Parents proches aidants : experts de leurs enfants

Pour plusieurs, un proche aidant s’avère une personne qui prends soin d’un malade ou d’un aîné. Or, on oublie souvent ces parents dont les enfants vivent avec une différence. À la faveur de la semaine nationale des proches aidants, six d’entre eux ont accepté de témoigner de leur parcours dans cet emploi qu’il est impossible de laisser tomber.

Valérie Champagne a un fils de 12 ans atteint du syndrome de Gilles de la Tourette, de troubles anxieux, du trouble du déficit de l’attention (TDAH), etc. Depuis sa naissance, conserver un boulot semble ardu, alors qu’il faut se présenter aux rendez-vous en orthophonie, en pédopsychiatrie et gérer les crises répétées à l’école. «Je me suis déjà fait mettre dehors en me faisant dire que je n’étais pas fiable», raconte-t-elle. Mme Champagne a dû trouver un employeur lui assurant une flexibilité d’horaire afin de demeurer sur le marché du travail.

Ses deux filles étaient encore toutes petites lorsque Karine Giasson a su qu’elle ne pourrait continuer à gagner sa vie comme avant. Le trouble du spectre de l’autisme (TSA) changeait la donne. Elle se souvient d’avoir rédigé une liste, puis d’avoir rayé les unes après les autres les dépenses superflues, jusqu’au câble et aux assurances vie. Au bout de l’exercice, il restait le loyer et la nourriture. «J’ai bien fait, car l’entrée à l’école de ma plus grande a été le pire bout de ma vie de maman. Ç’a transformé toute sa petite vie, elle était très réactive aux changements et nous n’avions pas de diagnostic», expose-t-elle. Huit ans plus tard, elle a recommencé à travailler 14 heures par semaine, mais admet qu’elle ne pourrait en faire plus.

Pour Marie-Josée Lévesque, impossible de laisser sa fille de 16 ans seule. Carolane a un TSA non verbal, une déficience intellectuelle et souffre de pica, entre autres. «Elle mange tout ce qu’elle trouve. Même la nuit, je ne dors que sur une oreille», confie-t-elle. Raymond Blais partage la vie de Marie-Josée depuis 11 ans. Il se rappelle du début de leur relation et des réflexions auxquelles il s’est livré avant de s’engager.

Cathy Dodier a un «grand garçon» de 24 ans prénommé Gabriel. Autiste de haut niveau, il s’avère assez fonctionnel pour ne pas avoir accès à la tutelle au majeur. Toutefois, sa mère doit l’aider à gérer plusieurs aspects de son quotidien. «Puis je recommence, car mon dernier de 6 ans est TSA et c’est plus difficile qu’avec mon plus vieux. Je dois lui faire l’école à la maison et travailler de chez moi», note-t-elle. Mme Dodier a cinq enfants.

Deux parents

Comment subvenir aux besoins de sa famille? Il faut impérativement que l’un des deux parents gagne son pain, sinon c’est la pauvreté qui se présente. Même séparée, Karine Giasson souligne l’apport essentiel de son ex-conjoint, en particulier financièrement. «Il continue à venir chez nous les fins de semaine, car mes filles ne peuvent pas vivre une garde partagée», dit-elle. Pour Marie-Josée Lévesque, le voyage de sa fille un week-end sur deux constitue une véritable désorganisation.

Nadia Drapeau vit toujours avec son conjoint. Ils ont trois enfants, dont un garçon de 15 ans qui a un TSA caractérisé notamment par un trouble du langage sévère. Elle évoque une période où son couple ressemblait à une colocation. «À un moment donné, on s’est rendu compte que nous étions devenus des amis, des meilleurs amis peut-être, mais il ne se passait plus rien. Depuis quatre ou cinq ans, on se prend une semaine ensemble et mes beaux-parents gardent», rapporte-t-elle.

À l’instar de bien des familles dans leur situation, tous constatent que souvent l’homme travaille davantage pour compenser l’absence d’un salaire, alors que la femme se transforme en experte de son enfant. Et si elle tombe malade, le fragile équilibre du quotidien s’en trouve mis à mal.

Système inadéquat

Un des premiers combats des parents dont l’enfant vit avec une différence demeure l’obtention d’un diagnostic, puis de services. Karine Giasson souligne l’invisibilité de certains cas d’autisme. «Personne ne me croyait. Pourtant, l’une de mes filles présentait le plus haut niveau de besoin», signale-t-elle. Ses filles s’avèrent très intelligentes et ne démontrent pas de signes particuliers liés à l’autisme, mais l’anxiété et d’autres symptômes prennent toute la place à la maison. «On m’a dit : c’est sûrement à cause de vous madame. Pour ma première, de l’âge de 2 ans à 9 ans, quand elle a eu son diagnostic, j’ai tout essayé. C’est moi qui devais faire une thérapie, moi qui n’utilisais pas les bons moyens de discipline et tout ça, sans que personne ne soit venu chez moi. Ça se passait juste dans des bureaux», partage-t-elle.

Selon l’âge de l’enfant, le soutien varie. Il y a certes des suppléments pour enfant handicapé, mais tous n’y ont pas droit. Autour de la table, plusieurs affirment ne même pas en avoir fait la demande, sachant qu’ils ne l’obtiendraient pas. En outre, dans tous les cas, l’âge de 18 ans devient source d’inquiétudes. Le parent perd tout droit dans le cas où l’enfant se voit considéré comme autonome par le gouvernement. Et les critères pour ce faire se situent au plus bas.

«À peu près aux cinq ans, on reçoit une lettre du gouvernement qui exige un rapport médical pour voir si notre enfant ne serait pas guéri. On paie pour ça aussi : des frais et des déplacements», mentionne Raymond Blais. Selon lui, les dédales administratifs dans lesquels on plonge les parents proches aidants s’apparentent à la maison qui rend fou. Quant aux mesures fiscales, notamment celles destinées aux aidants naturels, certaines ne sont pas accessibles lorsque le demandeur est le parent de la personne aidée.

Une meilleure reconnaissance de leur rôle de proche aidant, qui abandonne carrière et projets pour se consacrer à son enfant, servirait certainement. Mme Giasson pense qu’un intervenant pivot faciliterait également la compréhension et l’accès aux aides et aux programmes auxquels ils ont droit. Car, bien souvent, si le parent ne formule pas clairement un besoin, on ne lui divulgue pas les opportunités qui s’offrent à lui. Pas de danger qu’on lui mentionne qu’il peut avoir accès à des sommes pour payer les couches, même si son enfant de 9 ans en porte, par exemple. Tous ont découvert un jour ou l’autre qu’ils étaient proches aidants. Mais cette fonction, aucun acteur du système ne les a outillés à la remplir.

Chez nous

À Victoriaville, nombreuses sont les personnalités qui vantent le fort filet social. Lorsqu’on leur en parle, ces parents en ont long à dire. Entre le Centre local de services communautaires (CLSC) et le Centre de services en déficience intellectuelle (CRDI), qui se renvoient les patients d’une évaluation à l’autre, les enfants poireautent sur des listes d’attente pendant des années. Les proches exaspérés se tournent vers des services privés, décrit-on. Qui plus est, ils doivent se rendre à l’extérieur pour obtenir des services, comme l’orthophonie, quand défrayés par certaines fondations.

Au public, l’on déplore, entre autres,  le roulement important d’intervenants liés à leur dossier et leur manque de formation par rapport à chaque handicap. «Si mon chum n’avait pas d’assurance privée, on n’aurait rien», rapporte Cathy Dodier.

Des services en psychologie et en santé mentale jeunesse adaptés au TSA s’avèrent un grand besoin exprimé par les familles, qui voyagent à Trois-Rivières pour y avoir accès. «Nos enfants sont tous différents, alors il faut trouver la personne adaptée pour chacun», de faire part la mère. Le fils de Valérie Champagne n’a pas de TSA. «Il a «juste» le syndrome de la Tourette. Je n’ai jamais eu droit à des services. Je suis tombée dans les mailles du filet», expose-t-elle. Elle explique avoir travaillé fort pour obtenir de l’aide et du répit.

Quel avenir?

Ces gens s’inquiètent pour l’avenir de leur enfant et ce qu’il adviendra d’eux une fois adulte et qu’eux-mêmes n’auront plus les capacités de s’en occuper. Nadia Drapeau pense à la scolarisation de son fils et souhaite qu’il décroche plus tard un emploi. Marie-Josée Lévesque sait que sa fille aura constamment besoin de quelqu’un auprès d’elle, 24 heures sur 24, et voit d’un bon œil le projet d’une maison pour les adultes autistes de la Fondation Véro & Louis dans la région.

Ces personnes se préoccupent aussi de leur propre avenir. Non, la plupart ne cotisent pas à un régime enregistré d’épargne-retraite. Le mariage a pris pour d’aucuns l’aspect d’une nécessité, pour se mettre à l’abri en cas de décès du conjoint. Toutes les facettes de l’existence se teintent des responsabilités qu’on aura à jamais auprès d’un enfant. Les six parents qui ont participé à ces échanges affirment tous subir le jugement des autres. «On est toujours en train de s’excuser», dévoilent-ils en chœur. Là encore, ils en auraient long à dire…