En guise de bulletin de vote

Je ne voterai pas aux élections de 2019 comme je n’ai pas voté aux élections de 2015. Pourtant, ce n’est ni un désintérêt pour la politique ni une position de principe contre le fait de voter à toutes les élections.

J’habite une circonscription où les partis d’opposition à l’ancien député sont à plat ventre et incapables de se montrer dignes de la tâche qui leur revient. Le candidat du NPD fait preuve d’une couardise paradoxalement très honnête en admettant publiquement qu’il ne fera pas campagne et qu’il n’est là que pour que les gens puissent voter pour le parti dont il est l’employé. Cette absence de conviction n’a d’égal que l’inconsistance du programme de son parti sur la question de la nation québécoise : l’intégrer dans une constitution monarchique, profondément coloniale et écrite par et pour les industries extractivistes, c’est risible comme perspective. Ce parti qui avait à sa tête il n’y a pas longtemps un ex-ministre de l’environnement pourri n’a toujours pas réussi à démêler ses contradictions. Rappelons qu’une de ses succursales qui était au pouvoir en Alberta chantait les mérites des sables bitumineux et menaçait économiquement la province voisine pour que se développent des projets. Pendant ce temps, le NPD de Singh est resté très silencieux par rapport à cette situation, ce qui est franchement irresponsable.

Du côté du Bloc québécois, c’est au niveau du parti que tout cloche : un ancien ministre de l’environnement qui a un bilan pourri (un autre!) s’entoure d’un milliardaire antisyndicalisme et fait campagne sur le dos des immigrants et des immigrantes pour se donner l’impression d’avoir une identité. Quelle identité d’ailleurs? Celle des peuples fiers et forts qui se bâtissent à même leurs exploits historiques en étant à l’avant-garde de leur époque et en défendant leur souveraineté face au géant américain ou bien celle des peureux qui ne sont pas capables de s’assumer autrement qu’en callant les autres et en étant dociles avec une brute de calibre international? On est loin de l’indépendance qui effrayait les exploiteurs au siècle dernier avec ce genre de nationalisme de province qui fait la promotion d’une loi discriminatoire patentée par un parti fédéraliste bleu.

Et que dire du Parti vert dont la chef est incapable d’assumer le leadership de base qui est nécessaire pour son poste et qui avoue bien candidement ne pas être en mesure de mettre à la porte de son parti quiconque remettrait en cause le droit à l’avortement dans son caucus? Le même parti qui affiche naïvement son slogan «ni à gauche ni à droite» et qui se dit prêt à participer à un gouvernement de coalition avec le PLC et le PCC en cas de victoire minoritaire d’un des deux. Si ce n’est pas de l’improvisation et de l’opportunisme, je me demande bien ce que c’est! Il faudrait peut-être les informer du bilan de ces formations et leur dire un ou deux mots sur ce qui se produira avec le «ni à gauche ni à droite» lorsque les industries polluantes refuseront de se soumettre aux lois et qu’on se retrouvera devant le dilemme de nationaliser ou laisser-faire.

On aura deviné que j’aurais des mots encore moins tendres pour le PLC, le PCC et le PPC qui, tous trois, sont des machines à perpétuer la colonisation des peuples autochtones, l’asservissement du Québec et la destruction des écosystèmes. Les deux derniers ajoutent à cela une bonne dose d’intégrisme de droite et n’ont même pas honte de remettre en question des droits aussi fondamentaux que celui pour les femmes de décider de ce qu’elles font avec leur corps. Ces formations sont des dangers pour notre survie collective et ne méritent absolument rien d’autre qu’une lutte acharnée contre elles, ce que sont incapables de faire les trois partis à qui revient techniquement cette mission. Face à tout cela, pas étonnant donc qu’il y ait une désaffection de la politique fédérale puisque ni les défis ni les possibilités de l’époque ne sont compris par la classe politique canadienne.

Je ne voudrais toutefois pas laisser quiconque lit ce texte sur une note aussi amère. Tout n’est pas perdu, car si les urnes ne permettent pas notre émancipation, nous trouverons une autre manière de nous exprimer. Dans certaines époques moins tristes et moins fades que la nôtre, il est arrivé que le peuple se saisisse de la question politique sans attendre patiemment qu’on lui tende le micro ou un carton de vote pour s’exprimer. Parfois, dans l’histoire, des peuples ont rompu le joug qui les opprimait en prenant les moyens nécessaires pour y arriver. Je me surprends parfois à rêver que nous sommes peut-être plus que ce qu’on veut bien nous faire croire et que nous avons l’intelligence, la force et l’audace de faire rupture avec la trajectoire historique dans laquelle nous nous enlisons collectivement. Au final, le manque de courage de l’opposition politique traditionnelle laissera peut-être le champ libre à une autre opposition : celle de la rue que nous prendrons contre le retour en arrière prôné par les Scheer, Rayes et Bernier de ce monde. Ce sera aussi l’opposition des campements d’occupation que trouvera sur son chemin l’industrie pétrolière et celle des Premiers Peuples dont la fierté devrait nous inspirer bien plus que l’attitude minable des nationalistes à la sauce CAQ-PQ-BQ. Résister, voilà ce qu’il nous faut faire dans cette époque morose. Pelleter des nuages aussi, pourquoi pas. Après tout, ce n’est pas avec l’imaginaire d’un type qui s’invente une carrière de courtier d’assurance comme le fait le chef albertain qu’on fera quoi que ce soit de beau en ce monde.

William Champigny-Fortier

Victoriaville