Un agriculteur qui vise la lune

La caricature du savant surdoué, maniant comme un pro les béchers et les pipettes, pourrait s’appliquer facilement à Sébastien Angers. À la différence de ce personnage stéréotypé, toutefois, le laboratoire de ce résident de Sainte-Monique n’est pas situé entre quatre murs blancs, mais dans des champs.

Sur sa ferme, cet été, les rangs de maïs ne sont pas disposés comme ailleurs. Dans un autre champ appartenant à sa municipalité, et avec l’accord de cette dernière, il mène depuis deux ans diverses expériences portant sur des techniques de travail visant à perturber le moins possible le sol. De plus, avec un autre agriculteur de Saint-Hyacinthe, il planche sur un projet d’application qui pourrait littéralement révolutionner la façon de cultiver… en suivant une Route des fleurs!

Sébastien Angers compare sa démarche d’innovation à celle ayant permis à l’homme de marcher sur la lune. «C’est le même type d’envergure, comme défi.»

Toute sa réflexion s’inspire de l’agriculture actuelle et son grand paradigme : la guerre du vide. «Lorsqu’on veut une plante, on tue les autres. Les mauvaises herbes sont aspirées par le vide qui est créé : par quelle plante ou fleur le remplir [afin qu’il devienne rentable ou utile]? C’est un monde complexe, où il y a encore beaucoup de choses à découvrir.»

Dans le champ municipal lui servant de laboratoire à ciel ouvert, il se permet toute la créativité possible. «J’ai la chance d’y tester des choses beaucoup plus à risque que sur la terre de mon entreprise. C’est par des essais et des erreurs qu’on fait les plus beaux apprentissages.»

Intéressé tout particulièrement par la synergie des plantes, il a notamment testé la technique du Planting Green, qui consiste à semer dans un champ non labouré. «Ça fonctionne! Par contre, j’ai fait l’erreur d’y mettre un peu de trèfle, l’an dernier, et il domine maintenant l’espace. Avec l’aide des élèves de l’école primaire Arc-en-Ciel, je prévoyais faire pousser des citrouilles cet été, mais pour cette raison, le résultat s’est avéré peu concluant.»

Il se console en se disant que le trèfle amènera suffisamment d’azote pour l’an prochain, ce qui fournira un meilleur équilibre à son sol. «En même temps, j’aurai appris que le trèfle cohabite très bien avec le tournesol, que j’ai cultivé l’an dernier, à ma première année d’expérimentation.»

Un champ de maïs pas comme les autres

En parallèle, cet agronome de formation expérimente, dans son propre champ, une nouvelle façon de cultiver le maïs. Les rangs sont espacés de 60 pouces, plutôt que 30, tandis que les plants sont plus rapprochés entre eux: 3,5 pouces, au lieu de 6,5. Entre les rangs, Sébastien Angers a semé diverses plantes (courge, trèfle, luzerne, veste velue, mélilot…) qui lui serviront d’engrais vert par la suite.

«L’idée, c’est de créer une diversité végétale en même temps que j’obtiens mon rendement de maïs, explique-t-il. Ça permet de varier ce qu’on cultivera dans les champs, dans une optique de rentabilité. On gère de la biodiversité fonctionnelle, on crée de l’équilibre et on attire des pollinisateurs. L’an prochain, je pourrai donc semer du maïs dans la même parcelle, là où se trouvera mon engrais vert.»

Il ajoute que la plantation aux 60 pouces permet aux plants de bénéficier d’un maximum d’ensoleillement. «Ça améliore leur production. Ainsi, même si le champ de maïs est amputé de la moitié de ses rangs, j’évalue que mon rendement final ne pourrait subir qu’une diminution de 20% environ…»

Cette pratique est à l’essai aux États-Unis, où Sébastien Angers s’est rendu à quelques reprises pour recueillir de l’information, de même que chez une quinzaine d’adeptes québécois de culture de couverture et de semis direct biologique, avec qui le Moniquois fait d’ailleurs équipe pour colliger de l’information.

«À la fin de l’exercice, nous partagerons nos erreurs et bons coups respectifs afin de réajuster nos méthodes. Je suis convaincu que ces façons de faire ont le potentiel de rendre l’agroécologie rentable et productive à grande échelle.»

La Route des fleurs, ou l’intelligence artificielle au service de l’agriculture

Toutes ces explorations nourrissent une idée ayant germé dans sa tête et celle d’un ami, Jean-François Messier, il y a un peu plus d’un an : pourrait-on éventuellement placer l’intelligence artificielle au service des agriculteurs?

L’objectif des deux comparses est de mettre en place un guide sur le chemin à prendre pour améliorer, par exemple, la biodiversité ou diminuer l’utilisation des pesticides dans les champs en se basant sur l’expérience d’autres agriculteurs.

Pour ce faire, ils souhaitent développer une application de type «Google maps», mais qui permettrait plutôt aux agriculteurs de trouver leur «Route des fleurs» (Flower Map), c’est-à-dire les plantes qu’ils doivent intégrer à leur système pour arriver à leurs fins. Dans leurs projections, chaque ferme pourrait avoir accès à un portfolio de données qui inclurait tous les paramètres dont on doit tenir compte en agriculture: sol, météo, biomasses, interventions réalisées, etc.

«L’agriculteur ferait interagir toutes ces données avec divers scénarios tirés de situations réelles, et l’intelligence artificielle reconnaîtrait les meilleures routes de probabilité pour arriver au résultat souhaité.»

Selon lui, l’outil fournirait des solutions très concrètes aux agriculteurs afin de les aider, entre autres, à mieux répondre aux impératifs environnementaux actuels et futurs. «C’est bien beau dire qu’il faut réduire les gaz à effet de serre, mais il suffit de s’intéresser un peu à l’agriculture pour réaliser que ses problématiques sont beaucoup plus complexes que l’on pense…»