Le Barreau d’Arthabaska exprime sa déception et partage ses recommandations

Madame la ministre (Sonia Lebel), dans un premier temps, nous voulons vous faire part de notre déception à l’effet qu’aucune visite de notre région n’ait été prévue dans le cadre de votre tournée de consultation contrairement aux autres régions administratives du Québec, telles Montréal, l’Estrie et la Mauricie.

La pratique en région est un vecteur important du Barreau du Québec. Dans ce contexte, le Barreau d’Arthabaska, regroupant 250 avocats et avocates du Centre-du-Québec (comprenant les districts de Drummond, d’Arthabaska et de Frontenac), s’est senti ignoré dans cette démarche importante. C’est pourquoi il a entrepris de former un comité afin de se pencher sur le projet de réforme proposée et vous transmettre par écrit certaines de ses préoccupations et/ou certaines pistes de réflexion. Pour ce faire, nous avons pris connaissance du Rapport du Comité ministériel, du Mémoire du Barreau du Québec et des documents de travail du Comité de la famille du Barreau du Québec.

Le Comité est composé des personnes suivantes :

Me André Y. Komlosy, Bâtonnier du Barreau d’Arthabaska

Me Serge Larose, Premier conseiller

Me Jean-Marie Fortin Ad. E. M. Fisc.

Me Isabelle Bonin, avocate, Directrice générale de l’Association des Avocat-e-s de Province

Me Annabelle Larouche, avocate et médiatrice

La nécessité d’une définition de «conjoints de fait»

Le premier élément qui a fait consensus au sein de notre comité est la nécessité que la notion de «conjoints de fait» soit clairement définie au CCQ. Il est impératif que cette réalité sociale soit maintenant codifiée. Au surplus, nous considérons que cette définition doit s’appliquer non seulement au Code civil du Québec et aux différentes législations ou règlementations connexes, mais aussi à toutes les lois et règlements du Québec, quels qu’ils soient.

En effet, si la notion de conjoints mariés est identique dans toutes les législations du Québec, ainsi doit-il en être pour la notion de «conjoints de fait». Nous ne pouvons considérer ni expliquer que la notion de «conjoints de fait» pourrait être différente dans la Loi sur les impôts que celle dans la Loi sur les rentes du Québec ou de toute autre loi au Québec.

Que demandent les «conjoints de fait»?

Les membres du comité ont constaté qu’aucune étude, consultation ou sondage ne semblent avoir été effectué auprès des «conjoints de fait». Aucun document cité par les rapports analysés ne fait référence à une réelle consultation publique effectuée auprès des personnes concernées.

Devant ce vide, n’y a-t-il pas lieu de se demander si les «conjoints de fait» demandent quelque chose et, si oui, que demandent-ils? Si l’on considère que des obligations alimentaires et des obligations patrimoniales constituent un régime de protection, quelle est la protection que les «conjoints de fait» demandent? En l’absence de réponse à ces interrogations, nous ne pouvons que spéculer sur leurs besoins. Nous ne mettons pas en doute la compétence ni la grande expertise des juristes et autres sommités qui ont participé aux travaux du Comité ministériel et à ceux des Comités du Barreau du Québec. Nous nous posons tout simplement la question suivante : à la suite de l’affaire Lola, les «conjoints de fait» du Québec ont-ils manifesté ou exprimé quelque demande que ce soit?

Certes, les juristes et autres intervenants dans le domaine du Droit de la famille ont manifesté leurs positions. Les différences notoires entre certaines d’entre elles nous portent à croire qu’elles ne sont basées que sur des interprétations différentes d’analyses de situation, d’études quantitatives ou de recherches de causes expliquant le pourquoi de la situation des couples au Québec.

Le plus loin que l’on puisse conclure de l’affaire Lola est que, comme «conjointe de fait», elle considérait être discriminée pour ne pas avoir les droits d’une «conjointe mariée». Nous ne retrouvons rien dans cette affaire qui puisse soutenir autre chose que de demander les mêmes droits que ceux d’une femme mariée.

Nous posons la question : l’application d’un régime aux «conjoints de fait» répond-t-il à une demande réelle de ceux-ci?

 Quelle protection faut-il accorder aux «conjoints de fait»?

En tenant pour acquis que les «conjoints de fait» demandent une protection automatique, nous partageons la position du Barreau du Québec à l’effet qu’il ne faille pas créer un régime spécifique et différent pour les «conjoints de fait» que celui des conjoints mariés. Non seulement cela créerait des droits différents susceptibles de créer des inégalités, mais cela serait, par conséquent, constitutionnellement insoutenable. Pourquoi créer du droit nouveau pour une situation que l’on considère analogue, alors que la différence ne résiderait que dans la célébration du mariage?

De plus, et dans tous les cas, le fait de ne pas appliquer strictement les mêmes règles au niveau patrimonial et alimentaire aux enfants issues d’une union de fait que celles applicables aux enfants issus de gens mariés nous semble encourager le maintien d’une distinction entre les enfants selon l’union dont ceux-ci sont le fruit. Or, tous semblent unanimes pour éliminer les distinctions et les différences des droits des enfants selon l’état de leurs parents.

Nous partageons aussi la position du Barreau du Québec à l’effet que dans le cas des «conjoints de fait», il est préférable d’appliquer mutatis mutandis à ceux qui deviennent parents communs d’un enfant à charge, les dispositions du patrimoine familial, de la prestation compensatoire et de l’obligation alimentaire entre époux. Nous sommes également en accord avec la règle de «l’opting out» qui nous apparait respecter davantage la liberté de choix dans le cadre d’un régime qui serait d’application automatique à la suite de la naissance d’un enfant.

En fait, nous nous opposons fermement à la proposition du Comité ministériel qui propose la création d’un nouveau régime pour les conjoints de fait. Bien que cette nouvelle institution puisse se concevoir aisément en théorie, nous savons tous que l’arrivée d’une telle nouveauté créera une juridicisation incroyable des débats, amenant ainsi un coût énorme pour les justiciables, un encombrement des tribunaux ainsi que des délais d’attente indus dans le règlement des dossiers. Ceci n’est pas dans l’esprit et la philosophie du nouveau Code de procédure civile. Cela ne répondrait pas non plus à améliorer l’accès à la Justice, ce qui est, madame la ministre, la plus grande priorité en ce domaine s’il en est une.

Les mères porteuses

Nous sommes inquiets de certaines dispositions concernant les mères porteuses. Il nous semble inconcevable que la mère porteuse puisse révoquer son engagement contractuel et qu’au surplus le père soit, dans un tel cas, tenu aux mêmes obligations que dans le cas d’une filiation traditionnelle. Quel impact une telle situation aura sur l’enfant qui devra vivre entre une mère contractuelle déchirée, le père et la mère porteuse? À titre de piste de solution, la mère porteuse ne devrait pas pouvoir porter un enfant issu d’un ovule lui appartenant. Le titre de mère porteuse devrait être revu. Toute mention de «mère» devrait être retirée. Est-ce que la notion de femme porteuse serait plus appropriée?

Si l’utilisation de gestation pour autrui (GPA) doit être règlementée, il faut, selon nous, que l’«utilisation» de la femme porteuse comme réponse aux difficultés de procréation soit limitée à cette fonction. Donner à la «femme porteuse» la possibilité de porter l’enfant issu de son propre ovule ouvre la porte à une multitude de conflits qui sont inutiles dans le cadre de cette fonction. Pourquoi la confronter à un potentiel de droits parce qu’elle porte l’enfant issu de son ovule? Droit de garder l’enfant dans les trente jours de l’accouchement. Droit de réclamer des aliments par la suite du père contractuel qui n’aura jamais droit à cet enfant. Que dire de la position de la mère contractuelle qui ne pourra jamais avoir droit à cet enfant alors que cette solution résolvait son problème de fertilité depuis tant d’années?

Nous considérons que la «femme porteuse», dans cette fonction, ne devrait jamais porter un enfant issu de son ovule. Nous sommes préoccupés par le marchandage qui pourra survenir à la suite de l’introduction des nouvelles dispositions qui seront adoptées. Nous suggérons que toute notion de lucre ou d’activité commerciale devront être proscrite et interdite.

Filiation de l’enfant né d’une procéation naturelle

À la proposition du Barreau du Québec sur ce point, le Barreau d’Arthabaska est d’avis que la pré-déclaration de paternité devrait obligatoirement être signée par les deux parents lorsque ceux-ci ne sont pas conjoints de fait. Autrement, nous sommes d’avis qu’un engorgement des tribunaux pourra être créé par une multiplication des demandes en désaveu de paternité. Puisque cette solution renverse le fardeau de preuve sur le père, nous soumettons que, sans cette obligation, on assistera dans le cadre de ces demandes en désaveu à des recrudescences de preuves de mauvaise réputation de la mère.

Séances d’informations obligatoires

Nous partageons fortement la position soutenue par le Barreau du Québec à l’effet que des séances d’informations obligatoires soient mises en place avant le mariage. Toutefois, dans la mesure où l’État prend la décision d’instaurer un régime de droits similaire aux unions de fait, n’y a-t-il pas lieu d’avoir de telles séances pour l’union de fait?

Nous souhaitons que ces quelques commentaires et questions permettent d’ajouter à votre réflexion afin que les citoyens du Québec puissent se retrouver avec une réforme du Droit de la famille qui règle des enjeux plutôt qu’elle en crée de nouveaux.

Le tout respectueusement soumis.

Le Bâtonnier du Barreau d’Arthabaska

Me André Y. Komlosy

c.c.    Monsieur le Bâtonnier du Québec Paul Matthieu Grondin

Monsieur André Lamontagne, député de Johnson à l’Assemblée nationale du Québec, ministre responsable du Centre du Québec et ministre de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation

Monsieur Sébastien Schneeberger, député de Drummond-Bois-Francs à l’Assemblée nationale du Québec et leader adjoint du Gouvernement

Monsieur Eric Lefebvre, député d’Arthabaska à l’Assemblée nationale du Québec et whip en chef du Gouvernement

Madame Isabelle Lecours, Députée de Lotbinière-Frontenac à l’Assemblée nationale du Québec