Quand construction et environnement font bon ménage

Petit garçon, André Bourassa se voit missionnaire en Afrique. Inspiré par son père, un entrepreneur en construction, il décide de devenir architecte. Il a 7 ans. Investi de cette mission, il fêtera bientôt ses 40 ans de carrière, décoré par la médaille du Mérite de l’Ordre des architectes du Québec (OAQ).

Pour André Bourassa, qui a consacré plus d’une vingtaine d’années au service de l’OAQ, dont huit ans (2005 à 2013) à titre de président, cette reconnaissance représente un remerciement pour tous les dossiers qu’il a menés à bien, en particulier ceux dont on lui avait prédit l’insuccès.

On doit à M. Bourassa des transformations profondes dans son milieu. Entre autres, le déploiement, en 2008, de l’Examen des architectes du Canada (ExAC) qui rend plus accessible la profession pour les jeunes architectes, qui devaient auparavant passer un contrôle conçu aux États-Unis. Jugé hermétique depuis trop longtemps, l’Ordre des architectes s’en trouve renfloué et redoré.

Le déménagement du siège social de l’Ordre au 420, rue McGill, à Montréal, en 2013, après 50 ans à la même adresse, le remplit de fierté, car «ça n’a pas été sans peine», mais il a permis de réunir sous un seul toit plusieurs organismes liés à l’OAQ et au design, assurant une plus grande cohérence entre eux.

Matériaux

L’aspect énergétique d’un immeuble, du choix judicieux des matériaux à sa consommation d’énergie, implique un respect des ressources. Au fil des ans, André Bourassa a fait l’éloge du bois, de préférence à l’acier et au béton. «Le fer, quand il n’y en aura plus, ce sera fini. Nous sommes dans un pays d’abondance, alors les gens n’y pensent pas. Où irons-nous avec le béton lorsqu’il n’y aura plus de sable?», se questionne-t-il. D’où l’initiative du colloque sur les matériaux biosourcés, qui se tient à Asbestos depuis quatre ans. «Ça ne donne ni argent, ni gloire, mais c’est important de faire cette promotion. La planète a des ressources limitées. En construction, on souhaite du durable, mais aussi du renouvelable», indique-t-il.

Plan d’une vie

M. Bourassa se souvient de sa presse de suivre son cours d’architecture. Au primaire, il emprunte une classe accélérée et saute une année. Il passe par-dessus un autre niveau au secondaire. Même avec tout ce temps gagné, aujourd’hui, l’associé à la firme Bourassa Gaudreau admet qu’il reste tant à faire. «Avec le recul, je constate que nous n’avons pas à aller en Afrique pour devenir missionnaire. Les valeurs qui nous sont chères, on peut les défendre ici», note-t-il. Les idées qui font le moindrement bouger les choses, il faut lutter pour elles, croit-il. Dans son cas, les grands principes du bâtiment écologique teintent ses œuvres et ses actions.

Dès ses premières années de profession, de longues soirées à discuter de développement durable avec sa conjointe, Micheline Gaudreau, et son beau-père, Jacques Gaudreau, influencent son approche. À l’époque, les taux d’intérêt avoisinent 21% et il y a peu de place pour un nouveau bureau d’architectes. Modestement, le couple fait son nom, en région et bien au-delà. Rapidement, M. Bourassa siège sur des jurys pour attribuer à des architectes d’importants contrats et donne des conférences, sur invitation, aux quatre coins de la planète. «À nos débuts, il a fallu faire notre place et miser sur l’efficacité. On a fait des maisons de millionnaires, mais aussi d’autres avec un budget de 50 000 $», rapporte-t-il. D’ailleurs, même si on sollicite ses services pour des projets d’envergure, commerciaux ou institutionnels, il garde un espace pour le secteur résidentiel. «Au final, on veut une réalisation harmonieuse, fonctionnelle et durable. Juste d’arrimer ces trois éléments ensemble, c’est tout un défi», témoigne M. Bourassa. Ces trois principes correspondent aux qualités de l’architecture selon Vitruve, chères à André Bourassa, révèle sa complice Micheline Gaudreau, également architecte.

Précurseur dans les questions de développement durable, l’expertise qu’il acquiert au fil des ans à ce titre fait sa renommée. En outre, on lui doit, en grande partie, l’apparition de la certification Victoriaville Habitation Durable, qui a fait des petits dans plusieurs municipalités du Québec.

Langage et message

Fenêtres en coin et légèreté caractérisent pour certains la signature d’André Bourassa. Paradoxalement, il précise que l’absence d’une empreinte reconnaissable dans ses conceptions s’inscrit dans sa démarche. «Ce qui m’importe, c’est de saisir qui est mon monde et ce qui leur convient. La dame qui me dit que je lui ai fait une robe du soir qu’elle seule peut porter, ça me rejoint beaucoup plus», image-t-il. Car à quoi bon une telle tenue pour celle qui veut jardiner? De la même manière, la juste image «corporative» d’un bâtiment compte, dit-il. Un bureau d’avocats arborant des airs de m’as-tu-vu pourrait dissuader des clients moins fortunés d’y entrer.

Faire plus avec moins

«Les réalisations qui me sont le plus chères sont celles où nous avons fait plus avec moins», confie M. Bourassa. Les transformations d’églises, que ce soit pour des locaux destinés à la Commission scolaire ou à la Fromagerie du Presbytère, constituent des réussites, notamment car elles ont été effectuées avec des budgets «plus que raisonnables». «C’est important pour moi, surtout lorsque l’on travaille avec de l’argent public», soutient celui qui a déjà siégé au conseil de sa municipalité pendant 12 ans.

M. Bourassa se rappelle avoir, en 1988, suggéré de réemployer des portes dans une école qui subissait des travaux. L’entrepreneur ne comprenait pas cette idée, puisqu’il en coûtait aussi cher que d’en installer des neuves. Beaucoup d’éducation a dû être faite au cours des dernières décennies. «Depuis, c’est entré dans les mœurs de la Commission scolaire de réutiliser les portes, les cadres et la quincaillerie, parce que c’est ce qu’il faut faire», se réjouit Mme Gaudreau.

Les modes changent et les codes s’estompent. M. Bourassa signale qu’aujourd’hui, les constructions apparaissent de plus en plus vitrées, même si cette composition s’avère une erreur. «Ça n’a aucun sens avec notre climat, ni avec le développement durable. Pourtant, ça paraît obligé. C’est un non-sens», déplore-t-il. Certaines grandes villes songent à interdire les immeubles vitrés de bas en haut à cause de leur trop lourde charge énergétique. «Les architectes auraient dû se réveiller avant. Même pour les maisons, ça a la cote. Regardez la nouvelle maison de Radio-Canada et l’immeuble de l’Université de Montréal, ce sont des bâtiments qui se construisent maintenant. C’est dommage.»

La démesure existera toujours, imagine Micheline Gaudreau. Or, tous doivent éviter ce piège. «Il faut parler de modestie et de frugalité heureuse en architecture», souhaite-t-elle. M. Bourassa abonde dans le même sens et convient que ce mouvement les touche énormément. Les deux architectes soulignent avoir encore beaucoup à faire dans leur milieu, «surtout après 40 ans, car ce métier ne s’apprend pas du jour au lendemain», conclut le jeune médaillé.