Coupable d’abus sexuel : Therrien connaîtra bientôt son sort

La semaine prochaine, à 9 h, vendredi 28 juin, Paul-Émile Therrien, 79 ans, connaîtra le sort que lui réserve la justice pour les abus sexuels commis à l’endroit de sa fille et de sa fille adoptive. Le juge Serge Francoeur de la Cour supérieure du Québec, qui a présidé le procès devant jury en mars, fera connaître sa décision après avoir entendu, jeudi, les représentations des parties.

Représentant le ministère public, Me Michel Verville a réclamé une peine de huit ans de pénitencier, à des années-lumière de la suggestion de Me Ronald Robichaud qui, en défense, a plaidé pour une peine entre 18 mois et 2 ans moins 1 jour de détention.

Cette étape fait suite au verdict de culpabilité rendu, le 30 mars, par un jury de sept femmes et quatre hommes après avoir entendu sept témoins au cours du procès qui s’est échelonné du 11 au 30 mars. Ainsi, Paul-Émile Therrien a été trouvé coupable d’agression sexuelle, d’inceste, de menaces de mort, de grossière indécence, de contacts et d’incitation à des contacts sexuels et de contacts en situation de confiance ou d’autorité.

Des témoignages émouvants

L’audience a pris son envol en matinée, jeudi, par le témoignage éprouvant des deux victimes.

Me Michel Verville de la poursuite a d’abord fait entendre la fille adoptive qui, par la lecture d’une lettre qu’elle a rédigée, a témoigné des conséquences des abus dans sa vie.

«J’ai vécu ça dans ma chair. J’étais une enfant, ç’a duré des années. Je n’ai rien dit, je ne comprenais pas», a-t-elle exprimé.

La naissance de son enfant a agi comme un élément déclencheur. «Ç’a été un déclic. Tout a remonté. À la naissance d’un enfant, on ressent un amour inconditionnel. C’est inimaginable de faire ça à un enfant. Ce n’était pas normal. Le viol détruit à jamais une personne», a-t-elle confié, ajoutant qu’il fallait «plus que du courage pour en parler». Et toujours non loin un sentiment de culpabilité. «On se sent coupable de punir une personne. On se demande si ce n’est pas notre faute.»

La fille adoptive a vécu des années difficiles, comme «prisonnière d’un trou noir». «J’ai tout fait pour en sortir. Cette peine me suit, me broie le cœur en 1000 morceaux», a-t-elle exprimé.

Elle a aussi reçu comme un coup de poing la nouvelle, au cours des procédures judiciaires, comme quoi Paul-Émile Therrien n’était pas son père biologique. «J’ai ressenti beaucoup de colère, me suis sentie comme un objet, non pas comme une personne.»

Aujourd’hui, elle doit apprendre à vivre avec son passé. «J’espère renaître. Peu importe la peine qui sera imposée, je peux dire haut et fort que j’ai été entendue», a-t-elle terminé.

Par la suite, la fille de Paul-Émile Therrien s’est amenée dans la boîte de témoin. Émotive, elle a confié, d’entrée de jeu, que ce qu’elle a vécu «a brisé quelque chose et je dois vivre avec ça».

Malgré les thérapies, a-t-elle dit, rien de peut effacer les images qu’il lui reste. «C’est une sentence à vie, a-t-elle noté. Les abus ont affecté ma confiance, mon estime de soi. J’ai vécu beaucoup d’incompréhension, de la rage aussi parfois, car mon père avait une emprise sur moi. J’en ai encore honte.»

L’impact est tel qu’elle éprouve un mal de vivre, avouant avoir songé au suicide à quelques occasions. «Pour une fille, son père, c’est le plus fort, c’est la personne en qui on peut avoir le plus confiance. Il a tout détruit ça. Avec de l’aide, je dois apprendre à composer avec ça tous les jours», a confié la femme, toujours en arrêt de travail.

Une autre thérapie se dessine pour elle. «Ma maison s’est écroulée. Mais avec de l’aide, je travaille à refaire les fondations de ma maison intérieure, a-t-elle exprimé. Depuis quatre ans, ça m’a rentré dedans. Il me reste à me reconstruire avec les années.»

De voir que son père ne comprenne pas les gestes posés la peine beaucoup. «J’ai beaucoup de difficulté à pardonner. J’aimerais y arriver un jour. Mais on verra…»

Le père continue de tout nier

Paul-Émile Therrien avait couché sur papier les mots qu’il souhaitait adresser au Tribunal. Il a d’abord rappelé son court parcours scolaire qui s’est arrêté à la 7e année. Il manquait régulièrement l’école, lui l’aîné d’une famille de 12 enfants, pour aider son père à la ferme afin de subvenir aux besoins de la famille.

Il a évoqué sa vie professionnelle, rappelant qu’il est devenu entrepreneur, qu’il travaillait de longues heures par jour. «Je n’ai jamais fait faillite, jamais eu besoin d’aide sociale, jamais manqué à mes obligations. Je n’ai pas d’antécédent judiciaire. Et je n’ai jamais agressé mes filles», a-t-il affirmé, ajoutant pratiqué l’échangisme avec de vrais couples.

Ces échanges, selon lui, permettaient à sa conjointe d’obtenir ce qu’il ne pouvait plus lui apporter en raison de ses problèmes de dysfonction érectile. «Je n’ai plus d’érection depuis 1981», a-t-il avoué, tout en exposant aussi sa «santé précaire», comme il dit, tout en parlant du cancer qu’il a combattu et de ses problèmes de digestion, de prostate, de thyroïde, de cholestérol et d’arthrose.

Paul-Émile Therrien a aussi confié n’avoir jamais pensé qu’un homme pouvait se retrouver en prison pour un crime qu’il n’a pas commis. «Je n’ai jamais abusé de mes filles, a-t-il repris. Je ne comprends pas ce qui se passe avec elles. Je les ai peut-être trop gâtées.»

La position de la défense

L’avocat de Paul-Émile Therrien, Me Ronald Robichaud, qui d’ailleurs interjette appel du verdict, a relevé différents passages des témoignages des victimes, tant à l’enquête préliminaire qu’au procès, exposant au juge des contradictions. «Elles sont importantes ces versions contradictoires, a-t-il plaidé. Elles devraient avoir une influence sur la peine à imposer.»

Et en raison de ces contradictions, et même des «mensonges», a-t-il soutenu, son client est bien fondé, selon lui, de continuer d’affirmer publiquement qu’il n’a jamais abusé de ses filles.

Me Robichaud a, de plus, déposé six ou sept cas de jurisprudence lesquels font état de diverses peines de 14 mois, 2 ans moins 1 jour  et 3 ans de détention imposées à des délinquants sexuels.

Après les avoir exposés et commentés, l’avocat de Paul-Émile Therrien a estimé que le magistrat devait imposer une peine de détention se situant entre 18 mois et 2 ans moins 1 jour.

Me Michel Verville de la poursuite a réclamé huit ans de pénitencier. (Photo lanouvelle.net – Archives)

Du côté de la poursuite, Me Michel Verville a fourni au juge Francoeur un tableau et diverses décisions faisant état de lourdes peines de 6, 7, 8, 10 ans de pénitencier, des cas en lien avec des facteurs aggravants, comme les liens de confiance et de dépendance, la manipulation, l’emprise exercée, la fréquence des gestes, leur durée dans le temps, leur caractère intrusif, planifié et prémédité.

Dans la présente affaire, concernant l’âge et l’état de santé de Paul-Émile Therrien, Me Verville a fait valoir que les problèmes de santé évoqués ne suffisent pas à obtenir la clémence du tribunal.

«M. Therrien en rajoute sur les victimes. Il les traite, par la voie de son avocat, de menteuses. Lui-même se place en victime», a souligné le représentant de la poursuite qui dit ne voir aucun facteur atténuant si ce n’est l’absence d’antécédent judiciaire, un facteur toutefois «amenuisé et même réduit à néant», en raison, ici, de la gravité des gestes. «On parle ici d’un père incestueux», a signalé Me Verville.

En conclusion, le représentant du ministère public a revendiqué une peine de huit ans de pénitencier. Au magistrat maintenant de trancher!