La petite fille qui livrait la paye aux maîtresses

En 1982, Kathleen Pépin devenait enseignante. Trente-six années scolaires plus tard, elle achève son parcours en éducation à la direction de l’école Saint-David. Malgré les réformes et les transformations sociales, elle constate que les besoins des enfants demeurent inchangés : être aimés, entendus et en sécurité.

La retraite cogne à la porte. Kathleen Pépin se rappelle. À 9 ans, son père, secrétaire municipal, lui confie les payes des maîtresses, dans un petit sac qu’elle doit livrer à l’école. En échange, il lui donne des sous pour s’acheter une barre de chocolat. Deux fois, elle oublie le précieux colis à l’épicerie, dans la rangée des friandises. «Je repartais à toute vitesse en espérant que personne n’avait pris ces chèques. J’ai toujours retrouvé mon petit sac», se réjouit-elle.

À 18 ans, étudiante au baccalauréat en enseignement, elle assure un remplacement à l’école Albert-Morissette, dans une classe de dactylographie. Un élève mécontent lui fait «la prise de l’ours». Elle se souvient encore du regard ébahi du laveur de vitres, qui effectue sa besogne à ce moment, tandis que ses pieds ne touchent plus le sol. Des années plus tard, cet étudiant, croisé par hasard, lui confie qu’après cet incident, son cours était devenu son préféré. Elle ne l’avait pas puni, mais avait plutôt eu une bonne discussion avec lui. L’approche humaine adoptée par Mme Kathleen, comme l’appellent les enfants, reste sans doute ce qui qualifie le mieux sa carrière en éducation.

Autres mœurs

Dans la première moitié des années 1980, à l’école primaire de Daveluyville, les enseignants doivent animer le mois de Marie. Une de ses collègues la désigne pour réciter le chapelet deux mardis par mois. Or, elle ne sait pas le faire. «Ils ne vous apprennent donc rien à l’université?», lui lance sa consœur. Elle se tourne alors vers son père pour s’en instruire et remplit sa tâche d’animation durant trois années. Pendant 18 ans, elle prodigue des enseignements à tous les niveaux primaires, dont 11 ans en sixième année.

Kathleen Pépin vit sa première expérience de directrice d’école en 2000. «Ç’a été clair pour moi que je voulais dorénavant occuper un poste de direction. J’ai fait 15 ans à Notre-Dame-des-Bois-Francs et Saint-Christophe», témoigne-t-elle. Pour elle, évoluer dans un même établissement s’avère bénéfique pour tous puisque cela permet une familiarité accrue avec les enfants, leur entourage, leurs frères et leurs sœurs. «Je souhaite connaître leurs forces, leurs défis et qui ils sont. J’ai aussi la croyance que notre travail se fait avec les familles, car nous désirons la même chose», note-t-elle. En 2014, elle rejoint les rangs de l’école Saint-David afin de découvrir ce milieu qui jouit d’une belle réputation. Une pédagogie visionnaire, un esprit de collaboration et un service de garde hors du commun, voilà ce qui se dit de l’école à travers la commission scolaire. En fait, il n’y a que les murs de l’école qui sont vieux.

«J’ai une tante qui a travaillé ici pendant 39 ans et j’ai fait mon premier stage en éducation ici, à 19 ans. Je termine ma carrière au même endroit», dit-elle la voix teintée d’émotions.

Tous les matins, Mme Kathleen accueille les enfants dans la cour d’école, elle leur dit bonjour, les appelle par leur prénom. Ce qu’elle apprécie de son emploi, ce n’est pas le temps passé dans son bureau, mais d’entendre lire les enfants et visiter les classes. Elle adore découvrir les réalisations diverses des jeunes. «Une direction, ce ne sert pas qu’à chicaner les enfants. Souvent, ils se retrouvent dans mon bureau pour recevoir des éloges ou simplement pour discuter», raconte-t-elle. De fait, l’empathie prend une grande place dans son quotidien, alors qu’elle demeure aux aguets des joies et des peines des gens qui l’entourent.

La réforme

D’hier à aujourd’hui, elle note nombre de transformations. Alors qu’on privilégiait le «par cœur», dans l’indifférence des dispositions de l’enfant, désormais, on s’assure de leur bien-être avant de transmettre le savoir. D’ailleurs, on parle davantage de «faire du sens» et de «savoir-faire», plutôt que de connaissances brutes. La réforme de l’an 2000, qui a déplu à plusieurs à l’époque, a coïncidé avec de nombreux changements sociaux. La multiplication des figures parentales, le dédoublement des foyers, les services de garde qui deviennent une sorte de deuxième école, la gym, le hockey et les différentes consignes qui émanent de tous ces lieux alourdissent les responsabilités de l’enfant. Mme Kathleen souligne la capacité d’adaptation étonnante des petits, mais que tout cela, additionné à la pression grandissante liée à la performance, engendre de l’anxiété. «On ne voyait pas ça avant. Nous avons beaucoup d’élèves anxieux. Probablement parce que leurs parents le sont aussi, car ils veulent être de bons parents.» Aujourd’hui, l’école offre les outils pour comprendre les apprentissages, les évaluations se font graduellement et les professeurs disposent de moyens pour aider ceux qui éprouvent des difficultés. Pour Mme Kathleen, seuls les besoins des enfants s’avèrent inchangés : «être reconnus, aimés, entendus, encadrés et en sécurité».

Plus que quelques jours avant la fin des classes. Elle songe déjà avec amertume à la prochaine rentrée…un moment qui l’a toujours rendue fébrile. En septembre, elle ne tiendra pas la porte à une nouvelle cohorte. Elle sillonnera les chemins de Compostelle et en profitera pour se recentrer sur elle-même, après tant de saisons à se soucier des autres. Bien entendu, elle sait que, rapidement, elle s’impliquera dans différentes organisations afin de faire une différence pour ceux qui deviendront les adultes de demain.