Une approche bienveillante qui séduit et porte fruit

En quelques mois à peine, la nouvelle approche du psychoéducateur Yannick Fréchette, basée sur la bienveillance, produit ses effets positifs à l’école primaire de la communauté algonquine de Lac-Simon près de Val-d’Or en Abitibi. Un établissement fréquenté par 370 enfants.

Un concours de circonstances a mené le Victoriavillois, qui est aussi conseiller municipal, jusqu’à Lac-Simon. Des intervenantes l’avaient remarqué à Amos alors qu’il animait un atelier traitant des actes de bienveillance dans les interventions en milieu scolaire. Yannick Fréchette a donc mis les pieds sur la réserve en décembre dernier. «À mon arrivée, sans connaître tout l’historique, je savais qu’il s’agissait d’un milieu difficile qui traînait une certaine réputation. On m’a fort bien accueilli. Les intervenants m’ont demandé s’il y avait de quoi à faire? Il y avait assurément de quoi à faire avec une équipe mobilisée de façon incroyable, une volonté bien présente. Il fallait juste réorienter un peu et amener l’espoir», raconte le psychoéducateur embauché comme consultant.

Yannick Fréchette en compagnie de Marlène Jérôme, membre du Conseil de la nation Anishnabe et responsable du volet éduction, et Chantal Langevin, directrice de l’école (Photo gracieuseté)

En décembre, Yannick Fréchette a entrepris de former les intervenants, nombreux en éducation spécialisée, dit-il, pour en arriver en janvier à la mise en place de l’approche. Et les résultats n’ont pas tardé. «Enseignante pendant 19 ans, la nouvelle directrice Chantal Langevin, depuis un an, affirme n’avoir jamais vu son école comme ça en 20 ans, n’avoir jamais vu autant de sourires, autant d’enfants bien en l’espace de quelques mois», témoigne-t-elle.

Les représentants du Conseil de bande, dont la responsable du volet éducation Marlène Jérôme, ont aussi constaté les remarquables résultats : une masse de 370 jeunes élèves qui déambulent dans le calme avec des adultes souriants. Auparavant, les déplacements se voulaient quelque peu chaotiques au pas de course pour certains, avec des cris, bref un brouhaha comme peuvent le faire des centaines d’enfants. «Yannick est perçu véritablement comme «un king» là-bas», observe son ami magicien Richard Picard.

Il l’a lui-même constaté récemment en y séjournant deux jours. Deux journées où il n’a cessé de faire des tours de magie aux enfants. Une expérience empreinte d’émotions. «Les enfants proviennent d’un milieu difficile. Ils n’avaient jamais vu un magicien de leur vie. Ils m’appelaient le tricheur, rigole-t-il. Ils étaient souriants, joyeux, s’accrochaient après moi. Après deux jours, ils ne voulaient pas que je m’en aille. Ils veulent que j’y retourne pour leur donner des trucs et offrir un spectacle à toute la communauté.» Ce que fera Richard Picard à l’automne, probablement en novembre.

Soutenant avoir vécu l’une des plus belles expériences de sa vie, le magician Richard Picard a captive les enfants pendant deux jours. (Photo Yannick Fréchette)

«On a mis des choses en place. Il fallait un peu de magie», poursuit Yannick Fréchette qui, à ce jour, s’est rendu à cinq ou six occasions à Lac-Simon. Chaque fois, il y séjourne pendant deux jours. Entre ses visites, les intervenants sur place ont des travaux à faire, des façons à mettre en place. «Quand j’y vais, je les accompagne. À ce jour, le changement est éloquent : je le constate d’une visite à l’autre. Un revirement de 180 degrés. Et la situation se maintient, c’est très encourageant.» Ce qui l’amène à dire que les écoles disposent de tout pour effectuer des changements de la sorte. «Quand on a l’orientation et les bonnes intentions, la magie opère», assure-t-il.

L’approche de Yannick Fréchette propose la mise en place de deux éléments : l’augmentation de la qualité de présence des adultes et leur quantité, leur nombre aussi. «Il y a une différence entre croiser 2 ou 10 adultes dans un corridor en se rendant à sa classe, 10 adultes arborant un sourire, hochant la tête au passage des enfants et leur souhaitant une bonne journée», fait valoir le psychoéducateur, désireux que cette façon de faire fasse des petits. «On a de quoi de solide, des écoles de Victo (Notre-Dame-des-Bois-Francs, Saint-Christophe, Saint-David) y ont cru, note-t-il. Par la mobilisation de mes équipes-écoles autour de la bienveillance, j’ai compris qu’il y avait de l’espoir en éducation. Je suis terriblement fier d’eux. Cet espoir m’a motivé à aller encore plus loin pour contribuer à un monde meilleur. Partout où je vais, par ce qu’elles sont, ces équipes m’encouragent à porter ce message d’espoir.»

Une vidéo qu’il a tournée à Lac-Simon montre des élèves qui circulent avec grand calme dans l’école. «Avant, on entendait crier, ça courait, ça tapochait. On parle d’intimidation ces années-ci, mais la création d’un environnement bienveillant fait toute la différence. On se doit de travailler l’environnement en premier, explique-t-il, et pas seulement les sensibiliser en paroles à l’intimidation. Si tu crées un terreau fertile à la bienveillance, cela va couler de source.»

L’idée, c’est aussi, souligne le Victoriavillois, que des zones de transition sécuritaires et saines (les corridors, les déplacements, les sorties de classe sont sécuritaires et sains) ont un impact sur le climat en classe. Pour implanter son approche, Yannick Fréchette s’est allié des gens du milieu, notamment la collaboration de la seule enseignante algonquine, Mary-Jane Brazeau, pour y apporter une saveur culturelle.

Le Victoriavillois avec un passeur culturel (Photo gracieuseté)

Ils ont aussi engagé dans l’école des gens de la communauté. On les appelle les passeurs culturels. «Pour que les jeunes aient accès à des adultes de leur milieu. Ça amène un côté rassurant», précise Yannick Fréchette. C’est un projet-pilote qu’il mène à Lac-Simon. «On l’a fait sans ajout de services. Et on a réussi la mise en place sans effectif complet sur place puisqu’il manque de professionnels, psychoéducateur, orthopédagogue et psychologue.» Yannick Fréchette continuera d’y aller au cours de la prochaine année. «J’en suis à former des gens qui prendront ma place, car je ne veux pas devenir indispensable.»

L’approche bienveillante est appelée à se développer. «On est dans une autre sphère d’intervention. On en entendra parler dans les prochaines années», note-t-il. Des recherches en neurosciences font état, selon lui, de l’impact sur le cerveau de la bienveillance. Celle-ci permet d’obtenir des résultats, de bons comportements, sans recours à un système de renforcement, sans qu’on doive les monnayer.

À Lac-Simon, l’expérience génère des impacts positifs, non seulement pour les élèves, mais aussi pour le personnel. La direction observe une diminution des congés de maladie. «La travailleuse sociale, de son côté, ne se souvient plus à quand remontent les problèmes de gestion au retour des récréations», ajoute Yannick Fréchette. Sans compter les retraits de classe ou les suspensions qui surviennent beaucoup moins fréquemment. «Je ne dis pas qu’il n’y en a plus, mais il y en a assurément moins. À Victo, dans mes écoles, on a réduit de 80% le taux de retrait de classe», fait-il remarquer.

L’influence qu’il exerce ainsi au primaire, Yannick Fréchette souhaite qu’elle se transpose ensuite à l’école secondaire pour en arriver ultimement à une augmentation du taux de diplomation. Admiratif, Richard Picard trouve formidable le travail de son ami. «J’ai vu sur place et entendu des gens les bienfaits et tout ce qu’il apporte. Il va changer ces jeunes qui voudront s’instruire et intégrer le marché du travail parce qu’ils veulent s’en sortir», souligne le magicien qui affirme avoir vécu là-bas une des plus belles expériences de sa vie. Et il confie avoir bien hâte d’y retourner.

Confiance

Après la magie, les jeunes vont spontanément vers Richard Picard. Photo Yannick Fréchette

Yannick Fréchette ne doutait pas de sa formule, convaincu de son efficacité. Mais il n’avait pas anticipé des résultats aussi rapides. «Ils ont fait des pas de géants en peu de temps.» Maintenant le psychoéducateur croit qu’on en entendra parler davantage de son approche au fil des ans. «Mon rôle, c’est d’inspirer et d’en parler. Inspirer les gens à voir qu’on peut faire autrement, créer de l’espoir sans grande structure, sans ajout financier énorme», précise Yannick Fréchette qui démontre l’importance de la bienveillance. «La bienveillance, elle part de soi. On ne l’impose pas. Il faut agir comme personne inspirante et de là tu deviens un modèle pour les jeunes.»

La mise en place de son approche, termine-t-il, vient avec une certaine responsabilité. «Après avoir effectué un changement de pratique, vous avez la responsabilité qui vient avec, celle d’inspirer les gens», conclut-il.